L'homme est un apprenti, la douleur est son maître.
Musset
Qu’est-ce que la douleur nous apprend ?
L’enfant tend le doigt vers la flamme. « Attention, tu vas te brûler » mais lui il ne sait pas ce que ça veut dire ; il touche. Maintenant il sait ce que ça veut dire : il ne recommencera plus. Vous n’avez plus qu’à tabasser vos mouflets à chaque fois qu’ils feront une bêtise, et si vous tapez assez fort, alors ils apprendront et deviendront des hommes. Voilà, vous êtes content avec ça ?
Moi, quand j’entends ça, je sors mon Kant. Que dit-il ? Il dit que l’humanité a évolué au cours de son histoire toujours dans le même sens, mais sous l’effet alternatif de deux impulsions différentes : d’une part pour fuir la douleur ; d’autre part grâce à son intelligence et à la connaissance de la situation. Le premier cas est celui de la barbarie et de ténèbres de la préhistoire ; le second est celui des lumières de la raison, et pour le dire en termes plus technique de « l’Aufklärung » (1). Bref, il n’est pas digne de l’homme d’apprendre comme les bêtes en fuyant sous les coups.
Mais voilà, ce n’est pas du tout ça que voulait dire Musset… Car il écrit : « L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. » Voilà, ne râlez pas, mais c’est vrai, j’avais tronqué la citation : je recommencerai plus, c’est juré. Reste que c’est toujours problématique : c’est donc dans l’épreuve et dans la souffrance qu’on se découvre. On découvre quoi au fait ? Le pathos romantique me laisse à peu près indifférent : l’idée que les pleurs sont l’exaltation et la quintessence de l’âme relève d’un posture fort peu sincère selon moi. En revanche je crois plutôt que c’est en se heurtant à ses limites qu’on les découvre et donc que c’est dans l’échec qu’on peut se connaître. D’où l’utilité des désirs fous, des désirs irréalisables qu’on s’efforce malgré tout de réaliser, parce que renoncer à un désir, ce n’est pas dans notre nature.
Et revoilà Kant : « nous n'apprenons à connaître nos forces que dès lors que nous les essayons. Cette illusion inhérente aux vains souhaits est donc seulement la conséquence d'une bienfaisante disposition de notre nature » (2) : décidément, Kant, vous n’y échapperez pas aujourd’hui !
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8cle_des_lumi%C3%A8res
(2) Kant - Critique de la faculté de juger – Introduction, III, note
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