J'ai été de ces braves gens qui ont cru dur comme fer qu'il suffisait de changer le système de distribution des biens pour que disparaissent les vols, les assassinats, les malheurs de l'amour.
Louis Aragon - Article dans Le Monde du 13 septembre 1967
J’ai été de ces braves gens… en forme de confession, on a ici une profession de foi. Oui, Aragon croit encore en 1967 que la révolution marxiste est la solution à tous les malheurs de l’humanité - y compris, soit dit en passant aux malheurs de l'amour : tout est économique donc tout est politique, même ça !
Croit-on qu’aujourd’hui nous sommes plus lucides sur la réalité humaine et sur le cours de l’histoire ? Peut-on dire qu’aujourd’hui nous n’avons pas le même style de croyance, avec nos tris d’emballages et nos éoliennes ? Grand débat, actuellement en cours. Mais sans vouloir me défiler, j’aimerais revenir sur la période dont parle Aragon. 1967 : j’ai bien connu…
Ces braves gens qui ont cru dur comme fer, qui étaient-ils ? Des sectaires dangereux manipulés par des Gourous magnétiques ? Non, ils ont été des jeunes de 18-25 ans, des ménagères de moins de 50 ans, peut-être même des ouvriers-et-employés.
En 1967, les hippies tenaient le haut du pavé, on partait encore pour Katmandou, on tapait dans les mains quand les Krishna dansaient sur nos trottoirs et les Enfants de Dieu allaient bientôt trôner en haut du Top 50 - avant de tenir le haut de la rubrique des faits divers les plus sordides. Tout ça, ce n’est pas méchant. Mais, ça aurait pu le devenir ; voyez un peu :
- on croyait aussi que la révolution prolétarienne devrait inexorablement produire une société sans Etat, autogérée par les travailleurs ; sur ce thème, on disait aussi que la Révolution Culturelle chinoise devrait bien faire un tour par chez nous, que Mao était un grand homme parce qu’il avait su faire marcher au pas le peuple chinois. Un peu plus tard on allait admirer que Pol Pot supprime l’argent et vide les villes…
Inexcusable, soit, mais explicable. Les croyances sectaires ne sont que la limite d’un processus d’identification qui commence dans chaque groupe humain : ce qui est vrai, c’est ce qu’affirment les membre de mon groupe, de ma mouvance, de ma chapelle. Pire encore : ce qui est vrai, c’est ce que notre chef - Gourou ou tout ce que vous voudrez - affirme que nous devons croire. Et la réalité n’est rien en face de cette croyance.
Alors, Aragon victime de sa naïveté ? Peut-être, mais, ce qui me désole, c’est qu’il écrive cela en 1967 : il a 70 ans. Et il ne sait pas encore qu’en changeant le système de distribution des biens, il ne va pas supprimer les vols, les assassinats, les malheurs ; il va en créer de nouveaux.
Si les vieux ne servent même plus à démystifier le monde pour les plus jeunes, alors à quoi pourraient-ils encore servir ?
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