Un livre n'est rien qu'un petit tas de feuilles sèches, ou alors, une grande forme en mouvement : la lecture.
Jean-Paul Sartre - Situations
Nous avons posé ici plusieurs fois la question (1): quelle est cette rage de se faire lire qui obsède les écrivains, du plus petit au plus grand ? Et la réponse nous la tenons : c’est que sans la lecture, leur ouvrage n’est rien.
- Je ne suis pas un écrivain, mais j’imagine l’écrivain. Et je le vois, enflammé par son œuvre, découvrant à chaque ligne la vie de ses personnages : il ne s’imagine pas auteur, mais spectateur de l’histoire qu’il raconte. - ou plutôt : que sa muse lui souffle derrière l’oreille.
Vision bien romantique de la littérature. Outre qu’elle oublie l’effort de l’écriture (si bien décrit par Flaubert), elle tient pour négligeable l’œuvre … du lecteur.
Contre cela, Sartre : sans le lecteur, un livre n'est rien qu'un petit tas de feuilles sèches.
Sartre étaye son propos : d’où vient, dit-il, l’émotion, d’où viennent les représentations, les sensations qu’on éprouve en lisant ? Du livre ? Non. Tout cela est une production de notre conscience, une attitude existentielle prise, certes en fonction d’une situation évoquée - crée - par le livre, mais qui n’aurait aucune existence sans le lecteur. Quel est le mode d’existence du livre ?(2) Un petit tas de feuilles sèches, ou bien les états de conscience qui se succèdent au cours de la lecture ?
Mais alors, faut-il tout accorder à la lecture,et rien à l’œuvre ? Absurde bien sûr. La preuve de l’existence de l’œuvre, ce n’est pas le petit tas de feuilles, c’est la résistance à la lecture. Si tout venait du lecteur, on entrerait dans une œuvre comme dans un roman de kiosque de gare.
Quelqu’un a dit (qui ?) qu’un roman - ou une œuvre littéraire ou même un essai philosophique - était rédigé dans une langue étrangère, qu’il faut d’abord la déchiffrer avant de le comprendre - de prendre en soi - J’aime bien cette idée : ça explique pourquoi on met parfois si longtemps à aimer un ouvrage - quelque fois 100 pages (3).
A aimer… ou à jeter.
(1) Voir principalement Post du15 mai 2007
(2) Voir aussi Post du 5 avril 2007 - à propos de la musique.
(3) Je me rappelle encore du Goncourt 2000 (Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl), pour le quel j’ai une véritable admiration et que je n’avais réellement compris qu’au bout de 100 pages. Compris, c’est à dire investi par cette « grande forme en mouvement ».
2 comments:
Dans un autre registre culturel et tout à fait personnel, ce sont les livres Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien ou encore Harry Potter de J.K. Rowling pour lesquels j'ai mis "beaucoup" (200 et 100 pages respectivement) de temps à "rentrer dedans" et pour lesquels (dans les deux cas) j'ai été submergé par cette grande forme en mouvement (j'ai l'idée d'une grosse vague bleue personnelement (cf post du 2 novembre 2007)) qui m'a obligée de les lire où que je sois et d'en sortir uniquement quand ils étaient finis (avec dans les deux cas ce sentiment de nostalgie à la fin du roman).
Toutefois, je pense que cette citation et cette observation, fonctionnent pour tout œuvre de création qui demande une part d'investissement personnel de la part du spectateur (livre, poème, film, théâtre, jeux vidéo, etc.)
Oui, ça fonctionne partout où il y a création, et dans la musique aussi.
Ce que je relèvee dans votre Post et qui me paraît très significatif, c'est l'impossibilité d'abandonner un livre une fois commencé. Ce n'est certes pas le cas de tout les livres, mais de certains seulement. Je crois qu'effectivement on est alors pris dans ce mouvement qui fait qu'on est appelé par ce qu'on a mis dans le livre.
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