Friday, July 04, 2008

Citation du 5 juillet 2008

Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l'enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ?

Montaigne – De l’institution des enfants, Essais I, 26

Commencer la philosophie à la maternelle… Que ceux qui n’en sont pas persuadés continuent leur lecture de Montaigne : « On nous apprent à vivre, quand la vie est passée. Cent escoliers ont pris la verolle avant que d'estre arrivez à leur leçon d'Aristote de la temperance. » (1)

Encore sceptique ?

A quel âge convient-il de commencer la philosophie ?

On sait que Platon considérait qu’il n’était pas convenable de philosopher avant d’avoir 50 ans, parce qu’avant les passions qui dévorent l’âme l’en empêchent. Il pensait bien sûr aux passions sexuelles, et on se doute qu’être tourmenté par la chose ne soit un obstacle à la spéculation abstraite ; les matheux le confirmeront sans doute. L’observation de Montaigne prouve que si Platon avait pris la vérole à supposer qu’elle ait existé en Grèce de son temps, c’aurait été bien fait pour lui.

Sur le même plan, Rousseau considérait que son Emile devait être éduqué entre 8 ans, au sortir de la petite enfance et 14 ans, âge de la puberté. Avant, il ne comprendrait pas ; après il n’écoutera plus. Vous avez deviné que Rousseau est un autodidacte militant.

Aujourd’hui encore, la philosophie n’est enseignée que dans les classes terminales, sur la base d’une antique conception qui en fait la discipline reine, celle qui vient couronner les autres sciences. D’abord acquérir le savoir ; en suite réfléchir dessus (2).

Bref : pas question, quelle qu’en soit la raison, de philosopher avec les mioches.

Or, l’observation de Montaigne reste pourtant pertinente : si la philosophie est si importante, pourquoi ne pas la commencer plus tôt ? Et certes on ne compte plus sur Aristote pour éviter la vérole, mais nous sommes encore très exigeants à l’égard de la philosophie.

Alors, j’entends bien que la réduction des heures de classe du primaire rend très invraisemblable un tel enseignement. Reste que ce n’est pas parce qu’on ne le fait pas qu’il ne faudrait pas le faire.

(1) Heureux temps où la philosophie enseignait comment éviter la vérole. Aujourd’hui, c’est le pape.

(2)Vous avez deviné également que les philosophes ne se sont pas fait que des amis parmi les spécialistes de ces disciplines-sujettes.

2 comments:

Djabx said...

les matheux le confirmeront sans doute

Je ne me sens pas forcement visé, mais c'est quoi le rapport entre "la chose" et les matheux ?
Est-ce qu'il faut deviner ici l'image du matheux boutonneux qui passe son temps dans ses bouquins plutôt qu'avec les filles ?
Car dans ce cas je confirme que je suis pas matheux :)


Reste que ce n’est pas parce qu’on ne le fait pas qu’il ne faudrait pas le faire.

Je doute que j'ai pu être un modèle durant mes cours de philo, mais déjà que je comprenais rien de se que me disait mon prof, des notions qu'il devait nous expliquer etc.
Il n'empêche que j'ai du mal à imaginer des élèves plus jeunes qui discutent de la notion de nature (par exemple).
De plus, comment (si vous le faites) évalueriez vous les élèves? Par une discertation alors qu'ils savent à peine écrire ?
A l'oral ? Dans ce cas là, il faudra en effet beaucoup de temps...

Jean-Pierre Hamel said...

Car dans ce cas je confirme que je suis pas matheux

Félicitations. Je voulais dire simplement que les maths et la philosophie ont la même caractéristique d’être spéculation abstraite, et plus encore les maths que la philosophie. Quand à la sexualité des post-adolescents, je soulignerai simplement que les statistiques montrent que les filles sont plus bûcheuses que les garçons. Je n’en dirai pas plus, de peur de déclencher une polémique que je n’ai pas trop envie d’assumer.


- Il n'empêche que j'ai du mal à imaginer des élèves plus jeunes qui discutent de la notion de nature (par exemple)

Ça, c’est tout le problème de l’enseignement de la philosophie dans des classes où les élèves ne lisent pas – 99% des cas, les autres lisant de l’heroic fantasy – et forcément de contrôle de ce qui a été compris.
Sommairement, dans les cas les plus défavorables, on peut attendre des élèves qu’ils acceptent d’entrer dans une réflexion dans la quelle leur propre point de vue n’est qu’une hypothèse à argumenter, et que pour cela il acceptent de connaître d’autres hypothèses, et de les discuter également.
Ça suppose qu’on ne parte pas du concept (la « nature » pour reprendre votre exemple), mais d’un exemple concret qui peut y mener.
Je dirai que le prof de philo doit aussi faire avec une réputation défavorable : exemple de cet élève – un « bon » - qui le jour de la rentrée devant les promesses de débats alléchants que j’étale, me dit, avec un défit dans le regard : « Ah… vous voulez nous intéresser ? Ça sera difficile. »