Monday, December 07, 2009

Citation du 8 décembre 2009

Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer.

Aristote

On relèvera bien sûr dans cette citation l’étrange incertitude où étaient du temps des grecs les passagers d’un bateau d’arriver à bon port. Et on songera que de nos jours on n’écrirait plus de telles choses : même si les risques courus avec les transports maritimes sont encore grands, ils n’en restent pas moins affectés d’un coefficient de probabilité assez faible – du moins si on décide de sortir malgré eux du port.

Par contre il est bien plus intéressant de remarquer que selon Aristote il existe un état intermédiaire entre la vie et la mort : c’est l’état de l’homme qui sent probable sa mort prochaine. Et cet état est celui de tous les hommes qui sont menacés d’une mort imminente : ils ne sont pas encore morts, mais ils ne sont déjà plus vivants. Ils sont dans ce que certains ont nommé l’en deçà de la mort.

Et bien sûr, cet état est celui des passagers du bateau d’Aristote, mais aussi des vieillards et des malades incurables. Mais c’est aussi celui de tout être vivant du moment qu’il est mortel. Car, qui suis-je pour être certain que ma mort n’est pas pour demain ? Suis-je même certain d’avoir le temps de terminer ce Post ? Pas besoin d’être un grand philosophe pour remarquer que notre mort est à la fois certaine et incertaine : certaine comme événement ; incertaine quand à sa date. Et pourquoi pas pour tout de suite ?

Si l’on n’a pas besoin de grand philosophes, on a besoin néanmoins de beaucoup de sagesse pour dominer notre angoisse, et pour ne pas nous considérer comme embarqués sur le bateau d’Aristote.

--> Epicure, pour ne citer que lui, considérait que la représentation de la mort était à elle seule la totalité des maux dont la mort peut nous accabler : il est pire de se penser menacé de la mort que de mourir effectivement – traduisez : la souffrance est bien pire. Si l’épicurisme est bien une morale, si donc il exige exercice et ascèse, c’est bien dans la maîtrise de nos représentations mortifères qu’il se trouve.

Certains ont dit que la philosophie était l’art d’apprendre à mourir (1). Et si c’était l’art de ne pas redouter le naufrage ?


(1) Platon Phédon ; Montaigne – Essais I, 19. Voyez ici (avec la réponse de Spinoza)

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