Tuesday, January 05, 2010

Citation du 6 janvier 2010

L'art, c'est l'homme ajouté à la nature.

Francis Bacon

…il est possible de parvenir à des connaissances […] fort utiles à la vie [que] pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature.

Descartes – Discours de la méthode, sixième partie.


Je m’étonne qu’en cette période où l’on déplore les effets néfastes du développement technique on n’ait pas abondamment cité cette phrase de Bacon.

Car étant entendu que le mot art y est pris dans son sens premier de savoir appliqué, donc de technique, on voit bien que pour qu’il y ait technique, il ne suffit pas qu’il y ait des hommes, il faut encore qu’il y ait une nature. Si nous la détruisons, nous empêchons en même temps la technique de se développer. L’idée est alors que faute de pouvoir préserver la nature de nos catastrophes techniques, il faudrait supprimer la technique, ou du moins l’encadrer très sévèrement.
Et donc, les actes de contrition que nous exécutons à l’égard de la nature devraient prendre ce sens précis : la nature est quelque choses qu’on « n’augmente pas », quelque chose à quoi on ne peut ni on ne doit « s’ajouter ». Tel est le message des peuples premiers qui nous expliquent que la nature doit être respectée, parce qu’elle est un grand Etre et que nous devons nous la concilier plutôt que l’exploiter.

Quelle est notre attitude vis-à-vis de la nature ? La considérons-nous comme ce à quoi « nous nous ajoutons » ? Ou ne serait-elle pas plutôt ce qui vient s’ajouter à nous ?

Heidegger appelle « arraisonnement » (Gestell) de la nature la provocation par laquelle elle est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée (1).

Il n’est sans doute pas besoin d’y insister : Heidegger a mieux que quiconque exposé la situation : nous considérons la nature comme un réservoir de ressources, et même quand nous voulons la protéger de nos abus, c’est encore en tant que réservoir que nous la considérons. Voyez ce qu’on dit à propos de la régulation de la pêche au thon rouge : il s’agit seulement de préserver le stock de poisson.

Il serait peut-être temps de se convertir à une autre vision de la nature, qui ferait d’elle de nouveau un milieu qui nous exprime en tant qu’être vivant. Mais pour cela il faudrait jeter Descartes pardessus bord


(1) La question de la technique [1954] par Martin Heidegger publié dans Essais et conférences

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