La honte suit toujours le parti des rebelles ; / Leurs grandes actions sont les plus criminelles : / Ils signalent leur crime en signalant leur bras, / Et la gloire n'est point où les rois ne sont pas.
Racine – La Thébaïde
S’il est une doctrine qui nous fait horreur, à nous les enfants de la Révolution française, c’est bien celle qui interdit la rébellion contre l’injuste pouvoir de l’Etat : les barricades sont dans notre ADN comme on dit aujourd’hui (à moins qu’on dise – comme autrefois – c’est la faute à Voltaire, et surtout à Rousseau (1)). La honte faite ici aux rebelles choque profondément notre sens de la justice. Oui, pour nous, la résistance à l’oppression est plus qu’une réaction compréhensible devant les abus du tyran : c’est un devoir.
On pourrait même en faire un trait de notre identité nationale… Mais chut ! Ne réveillons pas le débat qui dort. Par contre on pourrait faire une classification des nations selon qu’elles valorisent la rébellion, ou qu’elles la châtient comme un crime.
Quoique… Où serions nous classés, nous qui faisons aujourd’hui de la sécurité la valeur cardinale de notre République ?
Examinons donc la justification de cet interdit, tel qu’on peut la trouver chez deux principaux auteurs :
1 – D’abord Kant « Il ne peut même pas y avoir dans la constitution un article qui permettrait à un pouvoir de l'État, au cas où le chef suprême transgresserait la loi constitutionnelle, de lui résister, et par conséquent de lui imposer des bornes. » Kant - Doctrine du droit (II, 1ère section, remarque A). Autrement dit :
a) aucune loi ne peu justifier la violence contre la loi, même si le chef suprême la transgresse ;
b) ensuite, aucun ordre politique juste ne peut se fonder sur la violence – ce qui disqualifie bien sûr les révolutions.
2 – Ensuite Jean Bodin (2) : « [Le peuple dit à son roi] Nous te prions, nous voulons aussi, et t'enseignons que tu regnes sur nous: alors le Roy dit, si vous voulez cela de moy, il faut que vous soyez prests à faire ce que je commandera : que celuy que j'ordonneray estre tué, soit tué incontinent, et sans delay, et que tout le Royaume soit commis et establi entre mes mains ; le peuple respond, ainsi soit-il. Puis le Roy continuant dit : la parole de ma bouche sera mon glaiv ; et tout le peuple l’applaudit. » Jean Bodin - Six Livres de la République (Chapitre 8 – De la souveraineté).
Ainsi, pour Bodin, le pouvoir souverain ne peut être soumis à aucune condition et l’obéissance à ses décrets doit être sans discussion. Bien entendu la démocratie ne déroge pas à ce privilège, chaque citoyen étant collectivement solidaire du pouvoir souverain, et individuellement soumis à ses ordres.
C’est là qu’est la difficulté.
Gavroche, réveille-toi ! On a encore besoin de toi…
(1) Rappelons la chanson de Gavroche, qui la chantait sur les barricades et qu’une balle interrompit avait qu’il pût terminer son couplet :
Je suis tombé par terre, / C'est la faute à Voltaire, / Le nez dans le ruisseau, / C'est la faute à...
(2) Jean Bodin, était un juriste contemporain de Montaigne. Vois la notice de Wikipédia ici.
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