Saturday, February 27, 2010

Citation du 28 février 2010

Pourvu que je ne parle ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs.

Beaumarchais – Le Mariage de Figaro

S'il était aussi facile de commander aux esprits qu'aux langues, tout souverain régnerait sans danger.

Spinoza - Traité théologico-politique ch. XX

Censure 2.

Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé – Est-ce donc avec cette formule qu’on va pouvoir définir la censure ? Ne vaudrait-il pas mieux dire : Tout ce qui n’est pas autorisé est interdit (par exemple : il est permis de manifester sa joie pour l’anniversaire du Cher-leader. Tout le reste est interdit) ?

Peut-être, mais pas tout à fait – Beaumarchais nous le rappelle fort justement : il faut en plus l’inspection de deux ou trois censeurs.

Ce qui permet de rappeler fort justement que, comme nous le disions hier, la censure a beaucoup de mal à interpréter le sens des pensées humaines, et donc que le contrôle de deux ou trois censeurs n’est pas de trop.

Mais il est sans doute nécessaire de distinguer aussi, comme le fait Spinoza, le pouvoir sur les langues du pouvoir sur les esprits. C’est là qu’on voit les limites du pouvoir. Et c’est la raison pour la quelle le pouvoir tyrannique ne se contente jamais des interdits qu’il a promulgués et n’a de cesse qu’il ait fait disparaître tous ceux qui sont capables de créer de la pensée. Parce que la liberté humaine, intarissable jaillissement de pensées neuves, est un danger permanent pour le pouvoir. Benjamin Constant disait dans notre citation d’hier que la raison en était l’ondoiement subtil et insaisissable de la pensée. En réalité ça va beaucoup plus loin : personne ne sait quelle pensée jaillira de son cerveau demain, aujourd’hui, tout à l’heure – maintenant !

On a vu que Spinoza en prenait acte comme d’un fait qui pouvait inquiéter le souverain. Kant, de son côté, tout en admettant que le pouvoir était capable de stériliser cette liberté, ne pouvait réellement l’empêcher – en sorte que le despote éclairé devait, un peu comme le web master qui modère a posteriori un forum, avoir une bonne police pour contrer les effets de cette liberté qu’on ne saurait donc empêcher (1).

Le danger, comme on l’a vu, c’est lorsque la modération s’exerce a priori, c'est-à-dire lorsque les policiers au lieu de punir les publications, assassinent les auteurs pour éviter qu’ils publient.

Un jour prochain – si ce n’est déjà fait – ce sera le cas des modérateurs du web en Chine.


(1) « Mais aussi, seul celui qui, éclairé lui-même, ne redoute pas l'ombre, tout en ayant sous la main une armée nombreuse et bien disciplinée pour garantir la tranquillité publique, peut dire ce qu'un État libre ne peut oser: " Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! » Kant – Qu’est-ce que les lumières ?

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