Longtemps j'ai médité sur la vraie raison qui m'a fait abandonner mon poste de professeur de lycée. Lorsque j'y réfléchis à présent, il me semble que cette situation me convenait tout à fait. Je commence aujourd'hui à voir clair : ma raison était justement que je me sentais entièrement apte à remplir ce poste.
Kierkegaard - Ou bien... Ou bien... (Diapsalmata)
Eloge de l’imprudence 2
Je pense aux jeunes professeurs, ceux qui viennent juste de réussir leur concours, et qui, trimant comme des nègres bénédictins, ont fait leur plein d’heures de service dès septembre – et qui, malgré tout ça, se déclarent satisfaits de leur situation : les voilà dans la bonne place, celle où ils peuvent se sentir à leur aise et compétents.
Eh bien, qu’ils sachent que c’est là le danger, selon Kierkegaard : qu’ils démissionnent et qu’ils s’engagent dans une troupe de comédiens ambulants à condition qu’ils n’aient aucune expérience ni aucune disposition pour ce métier (lire le texte de Kierkegaard en annexe).
On peut hausser les épaules et dire que ça manque vraiment de sérieux. Mais qu’on y prenne garde : les philosophes ont l’ironie facile, c’est vrai, mais en général ils s’en servent pour démasquer une illusion et révéler un sens inaperçu.
Après tout, ce que dit ici Kierkegaard, c’est exactement ce qu’on entend un peu partout quand de jeunes ambitieux dénigrent la fonction publique : le fonctionnaire est celui qui recherche la sécurité de l’emploi, et qui, une fois installé, ne fait que pantoufler dans sa fonction.
Alors que la remise en cause permanente de la hiérarchie dans l’entreprise privée, avec son cocotier que viennent secouer les jeunes pousses – et les vieux (40 ans !) qui s’accrochent aux branches : voilà qui est un peu plus stimulant et fécond.
Kierkegaard, apôtre du libéralisme ???? Bof…
J’en étais là de mes réflexions quand je suis tombé sur la déclaration de Christian Jacob (UMP) demandant la fin de la garantie d’emploi à vie du fonctionnaire : comme quoi, Kierkegaard a des lecteurs dans les plus hautes sphères de l’Etat !
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Annexe – Texte de Kierkegaard :
« Une raison, somme toute, est chose étrange ; si je la regarde avec toute ma passion, elle se gonfle jusqu'à devenir une énorme nécessité, capable de remuer ciel et terre ; si je suis sans passion, je la juge avec dédain. - Longtemps j'ai médité sur la vraie raison qui m'a fait abandonner mon poste de professeur de lycée. Lorsque j'y réfléchis à présent, il me semble que cette situation me convenait tout à fait. Je commence aujourd'hui à voir clair : ma raison était justement que je me sentais entièrement apte à remplir ce poste. Si j'y étais resté, j'aurais eu tout à perdre, rien à gagner. C'est pourquoi j'ai jugé plus sage de me démettre de ma charge et de me faire engager par une troupe de comédiens ambulants - car, n'ayant aucun talent d'acteur, j'avais tout à gagner. »
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