Charles Peguy
Morale kantienne II
- Viens ici, Kévin, j’ai à te parler.
- Oui, Papy. Qu’est-ce que tu veux me dire ?
- J’ai entendu les confidences de ta mère. Elle dit que
tu passes tes nuits loin de la maison. Que, quand tu rentres au petit matin, tu
sens très fort l’herbe et l’alcool et que de surcroit tu as des cernes sous les
yeux qui n’ont même pas disparu quand tu te réveilles – à midi. Est-ce
vrai ?
- Ben oui, Papy. Je fais la teuf avec mes amis. On picole
c’est vrai, mais pas trop. Juste ce qu’il faut pour que nos copines qui en font
autant soient joyeuses et qu’elles nous laissent les approcher.
- Les approcher ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Ben tu sais bien ? Rappelle-toi, Papy, quand tu
étais jeune, que tu te retrouvais pour la soirée avec Mamie – et ses
copines ?
- Ne détourne pas la conversation s’il te plait !
Moi, je voudrais que tu me dises quand tu te lèves le lendemain et que tu te
regardes dans le miroir qu’est-ce que tu vois ?
- Je vois que je ne suis pas fraichou, et en plus que
j’aurais mieux fait de me déshabiller avant de me coucher.
- Non Kévin, non. Ce que tu vois c’est un petit débauché
qui au fond de lui a honte de ce qu’il a fait et honte de ce que ses parents –
et moi-même – vont en penser.
- Oh ! Lala… et toi, Papy ? Hein, toi. Quand tu
te regardes le matin qu’est-ce que tu vois – à part ta vieille peau ?
- Moi, Kévin, j’ai peut-être une vieille peau toute fripée,
mais au moins je me sens parfaitement tranquille. Je n’ai pas à avoir honte
parce que je n’ai pas succombé à mes pulsions.
- Tes pulsions ! De quoi tu parles ? Te
rappelles-tu seulement ce qu’elles étaient ? C’est facile pour vous les
vieux d’être purs : vous n’avez plus rien qui puisse vous tenter.
Tiens tu veux que je te dise ? Tu me fais penser à
Kant – Kant, tu sais le philosophe. L’autre jour, notre prof de philo nous a
cité Péguy : Kant
a certes les mains propres, mais le problème tient au fait qu’il n’a pas de
mains.
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