Thursday, March 27, 2014

Citation du 28 mars 2014


L'homme est incapable de vivre seul, et il est incapable aussi de vivre en société.
Georges Duhamel
J'entends ici par antagonisme l'insociable sociabilité  des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société.
Kant – Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique
Duhamel aime le paradoxe constitué par  une formule bien cinglante – en revanche il plante le lecteur au milieu du gué : comment va-t-il en sortir ? Mystère…
Ce paradoxe est développé et expliqué par Kant : c’est bien le moins qu’on puisse attendre du philosophe, qui a pour but d’enrichir notre esprit au lieu se comporter comme le picador avec le taureau.
Ce développement de Kant (qu’on peut lire ici) consiste à observer que les hommes aiment dominer les autres hommes ; mais ils savent que ceux-ci sont comme eux. Du coup, si chacun a besoin des autres pour avoir quelqu’un à dominer, chacun préfèrerait aussi vivre seul plutôt que d’être assujetti au pouvoir des autres.
Toutefois, comme l’observe Duhamel, la société existe bel et bien : comment est-ce possible ?
La réponse est dans le mécanisme de l’insociable sociabilité.
Alors que dans le cas de l’amitié selon Schopenhauer ce mécanisme d’attraction-répulsion entraîne un équilibre stable (1), chez Kant le même mécanisme amène à un état très instable qui exige un perpétuel rééquilibrage. Le pouvoir sur l’autre n’est jamais totalement acquis, et l’espoir de le reconquérir fait que le dominé continue de lutter au lieu de se réfugier dans la résignation. Du coup la société toute entière est fécondée par cette compétition agressive qui est éminemment productrice de richesses. On reconnait alors l’influence de Mandeville et de sa Fable des abeilles (2).
o-o-o
Que peut-on en conclure ? Au moins ceci : que le libéralisme impliqué dans cette cruelle disposition de l’être humain à faire son profit du malheur des autres relève d’une croyance en une certaine nature humaine : que certains considèreront comme un défaut, mais que Kant, avec son invincible optimisme attribue à une salutaire disposition de la Nature désireuse de stimuler le progrès de l’humanité.
Ajoutons qu’à l’exact opposé de ce libéralisme on trouve l’anarchie qui croit elle aussi à l’existence d’une nature humaine ; par contre elle serait selon eux faite de bonté – et corrompue seulement par la loi de l’Etat.
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(1) La fable des hérissons est racontée par Schopenhauer et on la trouve ici
(2) Après les hérissons, les abeilles… Une ruche qui symbolise la société humaine est prospère tant que durent les vices des abeilles jalouses et agressives ; par contre elle périclite quand ces mêmes abeilles deviennent miraculeusement vertueuses. A lire ici.

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