En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes
hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par nos paroles.
Montaigne
Essais Livre I, chapitre 9 « Des menteurs » (cf. citation en annexe)
Nous avons vu il y peu comment selon Durkheim les hommes
tenaient les uns aux autres grâce à la satisfaction des besoins sociaux. Pour
Montaigne, la situation est différente. Ici point d’échanges économiques, point
de dépendance mutuelle selon des règles, ni de satisfaction collective des
besoins individuels – du moins ce n’est pas ce qui prime, car c’est par la parole que nous tenons les uns aux
autres : la parole devient le lieu primordial d’échange, principal
pont jeté entre les individus. Mais la parole ne peut réunir les hommes
qu’autour de la réalité, c’est à dire quand cette parole est vérace :
maudits soient les menteurs ! Si la parole est partage, elle ne l’est vraiment
que si elle nous offre le partage non pas de sentiments ou d’opinions, mais de
réalité.
Ou plutôt : on peut bien sûr partager avec les autres
en « disant » nos sentiments ; mais ils doivent alors être dits
avec sincérité et non simulés : peu
importe que l’amoureux parle avec élan et poésie de son amour. S’il le fait
tant mieux ; mais si c’est menterie, alors c’est un désastre. On doit
avoir confiance dans la parole de l’autre, sinon c’est tout l’édifice des
relations sociales qui s’écroule.
On dit qu’en économie la confiance est indispensable :
voyez les créanciers de la Grèce qui refusaient de croire les promesses des
négociateurs grecs : il fallait mieux que des mots – il fallait des
dépôts de garantie. Mais au bout des nuits de négociations, c’est quand même la
signature apposée au bas du parchemin qui a scellé l’accord.
Signer, c’est donner sa parole.
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« En vérité le mentir est un maudit vice. Nous ne
sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous
en connaissions l'horreur et le poids, nous le poursuivrions à feu, plus
justement que d'autres crimes. Je trouve qu'on s'amuse ordinairement à châtier
aux enfants des erreurs innocentes, très mal à propos, et qu'on les tourmente
pour des actions téméraires, qui ne laissent ni empreinte ni suite. La
menterie seule, et un peu au dessous, l’entêtement, me semblent être celles desquelles
on devrait à toute instance combattre la naissance et le progrès, elles
croissent avec eux : et après qu'on a donné ce faux train à la langue, c'est
merveille combien il est impossible de l'en retirer. Par où il advient, que
nous voyons des honnêtes hommes d'ailleurs, y être sujets et asservis. J'ai un
bon garçon de tailleur, à qui je n'ouïs jamais dire une vérité, même pas quand
elle s'offre pour lui servir utilement. » (Texte légèrement modifié – Cf.
Edition Pinganaud – Arléa)
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