Sunday, August 30, 2015

Citation du 29 aout 2015

L’intempérance animale dans la jouissance de la nourriture est l’abus des moyens de jouissance, qui contrarie ou épuise  la faculté d’en faire un usage intellectuel.
Kant – Doctrine de la vertu (Première partie, section 1, article 3, §8)
(Lire le texte complet en annexe)


Pire que l’abus d’alcool, pire aussi que l’usage des stupéfiants qui stimulent un moment l’imagination, la gloutonnerie est une jouissance animale parce qu’elle n’occupe que les sens et jamais l’imagination ; elle met donc dans un état encore plus proche de la brute.
La faute n’est pas seulement de rechercher la jouissance pour elle-même, de vivre comme un des ces « pourceaux d’Epicure » (1). Plus grave peut-être, cette faute consiste à refuser de rechercher la jouissance par des moyens « intellectuels ». Car enfin, je peux aussi user de mon intellect et de mon imagination pour en tirer un plaisir. Ainsi, moi qui vous parle, je suis entrain de jouir en écrivant ces petits textes qui flattent mon narcissisme (2) : et si ce n’était que pensum, je ne me livrerais sans doute pas si volontiers à ce travail.
Ainsi donc, ce qui est indigne de l’homme ne consiste pas à chercher le plaisir, mais à l’obtenir sans la complicité de son esprit.
A ce titre (et toujours selon Kant), la drogue (« l’opium et autres productions du règne végétal ») est moins coupable que la gloutonnerie parce qu’elle stimule pour commencer les forces imaginaires dont le texte (cf. en Annexe) nous dit qu’il s’agit d’un jeu actif des représentations.
Bon. Et si on trouve quelque substance d’origine végétale qui stimule encore plus l’imagination, ne serions nous pas justifiés d’en consommer ? C’est ce qu’ont pensé beaucoup de poètes et artistes, dont André Breton.

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(1) Horace, Epitres I, 4 «Au milieu de tes espérances, de tes soucis, de tes craintes, de tes emportements, regarde comme le dernier chacun des jours de ta vie. L'heure que les dieux y ajouteront, tu la recevras avec reconnaissance, comme une faveur inattendue. Si tu veux rire, viens me visiter ; tu verras un homme gras, poli, fort occupé de sa peau, un pourceau d'Épicure. »
(2) Evidemment, ce genre de plaisir n’a qu’un temps : il s’agit ensuite d’expurger ces productions de tout ce qui n’a d’autre effet que de donner un plaisir complaisant.
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Annexe :
« L'intempérance animale dans la jouissance de la nourriture est l'abus des moyens de jouissance, qui contrarie ou épuise la faculté d'en faire un usage intellectuel. Ivrognerie et gourmandise sont les vices qui rentrent sous cette rubrique. En état d'ivresse l’homme doit être traité seulement comme un animal, non comme un homme. Gorgé de nourriture et un tel état il est paralysé pour un certain temps, s’il s'agit d'actions qui exigent de l'adresse et de la réflexion dans l'usage de ses forces.- Que ce soit transgresser un devoir envers soi-même que de se mettre en un tel état, c'est là ce qui tombe sous les yeux. Le premier de ces états qui nous ravalent en dessous de la nature animale même, est habituellement l'effet de boissons fermentées, mais aussi d'autres moyens de s'étourdir, tel l'opium et autres productions du règne végétal, et il est séduisant par le fait qu'il procure pour un moment le bonheur rêvé, qu'il libère des soucis et donne même des forces imaginaires ; mais il est nuisible parce qu'il entraîne par la suite abattement, faiblesse, et, ce qui est le pire, la nécessité de prendre à nouveau du produit qui permet de s'étourdir et même d'en prendre plus. Aussi bien la gloutonnerie (gefrässigkeit) peut encore être classée parmi les jouissances animales, puisqu’elle n’occupe que les sens, qu’elle laisse dans un état passif, et jamais l’imagination, comme il arrive dans l’état précédent où se rencontre un jeu actif des représentations ; elle est donc encore plus voisine de la jouissance de la brute. » Kant Métaphysique des mœurs, Doctrine de la vertu, § 8


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