Le plus prudent serait que chacun laissât dormir sa colère,
car personne ne connaît le fond de personne, et tel va chercher de la laine qui
revient tondu.
Cervantès
– Don Quichotte de la Mancha (1605-1615)
On reconnait dans cette phrase la prudence de Sancho Pança
et son goût immodéré pour les proverbes. Oui, n’est-ce pas, se livrer à la
colère quand on peut la retenir n’est pas prudent, car c’est aller à l’inconnu
qui gît au fond de nous. Et cet inconnu pourrait bien nous faire tout perdre,
par exemple si dans notre fureur nous nous attaquons à plus fort que nous.
Tout cela est assez facile à comprendre, et ne mérite guère
qu’on s’y arrête.
Sauf que cette idée « personne ne connaît le fond de personne » est une affirmation
surprenante quand on veut bien l’étendre jusqu’à soi-même (« personne ne
connaît le fond de sa propre personne »)
et que 4 siècles plus tard Freud a eu bien du mal à faire entendre quand il a
parlé de l’inconscient psychique. Car voilà ce qu’il nous dit : le fond de
votre personne fait encore partie d’elle ; elle n’est pas une étrange
force habitant le corps et qui produit un afflux de sang aux tempes ou de la
bile noire qui s’écoule en surabondance. Plus encore : à l’instant même où
je suis entrain de causer avec civilité, ou alors de mignonner ma douce amie,
ce monstre est toujours tapi au fond de moi, et – pire encore – peut-être
influence-t-il le déroulé de mes civilités ou mes caresses les plus tendres.
Cet alien qui nous manipulerait sournoisement introduit le
conflit en nous mêmes : nul besoin de partir en guerre contre un ennemi
étrange, loin de nos frontières. C’est en nous qu’il se trouve.
On comprend que cette vision ne fasse pas plaisir.
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