La souffrance à bicyclette est noble car elle correspond au
plein épanouissement de la volonté.
Henri
Desgranges – Créateur du Tour de France en 1903
Supposez que vous n’ayez que le début de cette
citation : « La souffrance est
noble, car… ».
Comment seriez-vous tenté de la compléter ? Quelque
chose du genre « … car elle est
productive » - sachant qu’on parlerait de la souffrance de
l’accouchement, ou des soins qu’il faut endurer alors que les anesthésiants
n’existent pas ; ou encore – bien mieux ! – des punitions infligées au
coupable pour l'obliger à renoncer aux crimes qu’on lui impute ?
Hé bien non ! « Elle correspond au plein épanouissement de la volonté ».
Étrange, n’est-ce pas ? Voyons cela :
- Déjà, comment comprendre cette correspondance entre la
souffrance et l’épanouissement de la volonté ? S’agit-il de ce qui
accompagne cet épanouissement, d’une sorte d’épiphénomène, un peu comme
l’échauffement du moteur quand il fournit de l’énergie ? Ou alors de son
effet ? N’en serait-il pas plutôt la condition ? Oui, c’est cela
qu’on suppose, un peu comme quand on dit qu’il faut «souffrir pour être
belle » : la volonté qui s’épanouit ne peut le faire qu’en imposant à
l’individu la souffrance.
Le mystère s’épaissit, car comment la souffrance, qui est
une alerte que la nature à disposée en nous pour nous obliger à mettre fin à un
état pathologique pourrait-elle devenir ce qui accompagne le passage à ce qu’il
y a de meilleur ?
- Il ne s’agit toutefois pas de n’importe quelle
souffrance : si vous avez mal aux dents, inutile de croire que ça va vous
aider à devenir meilleur : allez chez le dentiste. Mais la souffrance
« à bicyclette », ça oui, c’est rien que du bonus. Alors, qu’est-ce
que cette souffrance a de particulier ? Le grimpeur qui titube sur son
vélo dans les derniers lacets du col : en quoi sa souffrance l’aide-t-elle
à devenir meilleur ? Est-il en lutte contre la nature pour l’obliger à
supporter une transformation utile à sa vie (comme l’épuisant effort pour
creuser les canaux d’irrigation dans un champ) ? Ou bien plutôt ne
serait-il pas en lutte contre lui-même pour obliger une part de son être à
supporter les efforts voulus par une autre part ? Au quel cas, il faudrait
admettre que la volonté est enracinée dans cette seconde part et qu’elle impose
à l’autre ces souffrances pour se conformer à sa loi.
Oui, voilà la réponse : si le coureur cycliste doit
souffrir, c’est parce que sa volonté en a décidé ainsi. Mais comme toujours, ce
n’est pas celui qui décide qui fait : il oblige l’autre part – à savoir les muscles, les tendons, le cœur et
les poumons – à faire le travail, comme le bœuf de trait est obligé de souffrir
les efforts que le paysan a décidé de lui imposer.
Pas de quoi se vanter.
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