Les richesses donnent de la générosité aux âmes élevées, de
la présomption aux âmes communes, et de l'insolence aux âmes basses.
Chauvot
de Beauchêne – Maximes, réflexions et pensées diverses (1819)
Moi qui ne joue jamais, je m’offre ce plaisir gratuit de
regarder un homme ou une femme qui a acheté son « truc-à-gratter » et
qui, à peine sorti du bureau de vente gratte son billet. Lire sur son visage
l’expression qui s’y peint avant et après l’opération est un délice, certes fort
peu charitable, qui me donne le plaisir de ne pas avoir joué. Car à peine cette
opération – qui n’a duré que 2 ou 3 secondes – terminée, nous voilà à égalité,
lui et moi, sauf que moi, ça ne m’a rien couté.
L’espoir déçu… Mais quel espoir ?
o-o-o
Supposons que vous soyez un joueur de
« truc-à-gratter », et que quelqu’un vienne vous demander :
« Dis-moi, qu’est-ce que tu ferais
si tu gagnais ? » Répondriez-vous « Je partirais en vacances aux Bermudes » ? Ou bien
« J’achèterais une maison neuve à
mes parents » ? Ou bien tout simplement : « Si je gagne un jour je me cacherai si bien que tu ne le sauras jamais
parce que ça ne te regarde pas ».
Mais en réalité, la véritable raison qui pousse à jouer, ce
n’est pas le gain, mais l’espoir de
gagner, en sorte que les gens devraient répondre qu’avec ces jeux ils gagnent à
tous les coups, parce que ce qu’ils achètent, c’est du rêve.
Du coup, il est inutile de chercher à savoir en quoi
consiste cet espoir car ce n’est qu’après coup, quand on a jeté le billet (ou
bien acheté avec le gain un tas d’autres billets), qu’on le désigne, car
c’est une construction a posteriori.
Le jeu de hasard, c’est une rupture, un trou dans la durée :
le moment où le joueur gratte son billet est extraordinaire car il fait que
l’instant suivant est totalement indéterminé. Je parle bien sûr uniquement des jeux de hasard, parce qu’ils sont les
seuls à offrir pareille chance de gagner que l’on soit savant ou ignorant, riche
ou pauvre, puissant ou miséreux ; qu’on en soit à la millième tentative de
la semaine ou bien à la première de l’année.
Nulle autre expérience de la vie quotidienne ne peut offrir
pareille sensation.