Wednesday, June 30, 2010

Citation du 1er juillet 2010

Un intellectuel est un type qui est rassuré quand il n'est pas compris.

Pierre Perret – Les pensées

Voilà une pensée qui date terriblement… Sans savoir quand elle a été écrite, je parierai qu’elle remonte aux années 50 ou 60.

Car depuis, l’intellectuel a connu une mutation : il est devenu un penseur médiatique. Habitué des plateaux de télévision ou des studios de radio, non seulement il a sur tout ce qui arrive une théorie, mais en plus il est là pour vous faire voir ce que vous avez déjà vu, vous faire entendre ce que vous avez déjà entendu.

- Heu, je comprends pas bien ce que vous dites là. Seriez pas un intellectuel par hasard ?

Mais non. C’est pourtant simple. L’intellectuel est là pour lui donner du sens à votre quotidien, pour vous montrer que ce que vous avez vécu est un signe de quelque chose de plus profond, de plus durable qui émerge là, dans votre quotidien. Grâce à ce monsieur vous allez donc pouvoir attraper l’évènement par les oreilles et voir à quoi il est rattaché.

Et pour faire tout cela il doit être éminemment compréhensible. Je dirai même que ses propos doivent être cristallins, qu’on doit les recevoir comme s’ils sortaient de notre propre cerveau : que ses pensées deviennent les notres.

L’intellectuel d’aujourd’hui ne se contente pas de vous donner l’impression qu’il est intelligent mais encore que vous êtes aussi intelligent que lui. Bref il vous fait penser par sa pensée.

Voilà qui rapproche l’intellectuel des sophistes qui régnaient à Athènes au temps de Socrate, eux qui selon Platon se prétendaient capables de vous persuader de n’importe quoi.

- Un exemple ? Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, je donnerai l’exemple qui me vient à l’esprit maintenant : je veux parler du désastre (1).

Ecoutez bien les commentaires (2), comme celui d’Alain Finkielkraut, pour qui tous les problèmes des cités de banlieues – à savoir ethnicisation, pertes des valeurs morales et politiques, perte de la structure de la langue française – émergent dans les évènements qui nous ont à tort amusés durant le bref passage de cette équipe en Afrique du Sud.

Résumons-nous : selon moi les intellectuels dont on critique l’obscurité sont des profs de facs qui s’imaginent parler à leurs étudiants. Il n’y en a pas tant que ça.

Pour le reste – et sauf ceux qui se donnent le but de stimuler la pensée de leurs lecteurs – on trouve chez les intellectuels des gens hyper-brillants qui vont vous dispenser de penser, à condition bien sûr que vous soyez bien crédules.

Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle.

Merci René ! (3)


(1) Il s’agit bien sûr de celui de notre Equipe Nationale de Football.

(2) Ou bien relisez celui que j’ai mis en ligne le 24 juin

(3) René qui ? René Descartes bien sûr ! Suivez un peu !

Tuesday, June 29, 2010

Citation du 30 juin 2010

C'est le baiser, le baiser du vampire / Le baiser qui vous fera défaillir / Un seul de ces baisers dans votre cou / Et vous voilà tout sans dessus dessous.

Le baiser du vampire (Comptine d’Halloween)

La citation du jour poursuit son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutesAttention : aujourd’hui on renverse la vapeur : un peu de brutalité dans un univers de douceurs


Il y a des enchaînements terribles : comment parler du baiser du vampire après avoir évoqué le monde merveilleux du bisou ? Comment faire sourire avec le bisou dans le cou quand c’est en réalité le Vampire qui cherche votre jugulaire ?

Les vampires existent surtout au moment d’Halloween, chacun le sait. Et ils terrorisent parce qu’ils possèdent leurs victimes en les séduisant d’abord, pour les saigner en suite. Et leur baiser est à la fois ce qu’on désire et ce qu’on redoute : est-ce que tous les baisers ne seraient pas comme ça – à commencer en douceur pour finir en morsure ?

Mais dans notre comptine, les vampires font sourire parce qu’on voit qu’ils ne sont pas si forts que ça. Relisons-la ensemble : notre petite héroïne va faire fuir le Vampire quand il la demande en épousailles ("Voulez vous m'épousâtes ? " [zat zat]), en lui disant :

Hélas, mon triste sire [sire sire] / Je ne puis vous mentir [tir tir] / Je préfère les yeux de Firmin à votre beau sourire.

Et voilà l’amour qui reprend ses droits : le baiser du vampire s’évanouit devant celui de l’amoureux, fier chevalier servant de la gentille dame.

Quoique… Continuons je vous prie notre lecture : Isabelle est mariée [yé yé] / Depuis plusieurs années [néné] / Avec Firmin pas de dangers il n'avait qu'un dentier

Moralité : jeunes filles, si vous vous cherchez un soupirant, prenez en un vieux aux chicots branlants. C’est moins dangereux.


Monday, June 28, 2010

Citation du 29 juin 2010

Sans petit bisou, les rêves sont flous.

Bill Watterson – Calvin et Hobbes - En avant, tête de thon ! (Bande dessinée)

La citation du jour poursuit son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutes…

Je vais maintenant réparer un oubli regrettable : comment en effet parler du baiser sans parler du bisou ? Le bisou, c'est-à-dire le baiser enfantin, celui que l’enfant nous donne ; et celui que nous lui donnons.

Quelle différence entre le baiser et le bisou ? Est-il moins appuyé, ou bien moins humide ? Est-il plus ou moins goulu ? Est-il silencieux ou bien fait-il un gros smack ? Non. Rien de tout ça n’est vraiment significatif. Le bisou se différencie du baiser par l’endroit où il est donné – je veux dire : l’endroit du corps où il est déposé.

Alors que le baiser affectueux est donné sur chaque joue, que le baiser amoureux se dépose sur les lèvres, le baiser paternel sur le front et le baiser facétieux derrière l’oreille, le bisou se donne dans le cou, juste pour la chatouille.

Mais cela ne suffit pas pour donner sa véritable mesure. Comme le dit notre auteur, le bisou a aussi pour caractéristique de permettre une nuit calme. C’est lui qui apporte la sécurité et la paix, et lui aussi qui rend possible toutes sortes de rêves en validant les histoires qu’on a lues au petit enfant pour lui permettre de s’endormir.

Et qu’est-ce qu’on voit dans ces rêves ?

Ça :

Le Bisounours-Rose

Finalement, je me demande s’il ne vaut pas mieux que les images des rêves soient un peu floues…

Sunday, June 27, 2010

Citation du 28 juin 2010

Un baiser apaise la faim, la soif. On y dort. On y habite. On y oublie.

Jacques Audiberti - La Poupée

La citation du jour reprend son enquête sur le baiser : un peu de tendresse dans un monde de brutes…

On vous donne un baiser et voilà ce qui arrive : vous n’avez plus ni faim, ni soif, vous y dormez, vous y logez, et toute la durée de votre vie s’épanouit dans l’instant présent.

C’est un miracle, un vrai miracle, aussi incompréhensible qu’inexplicable.

Comment ça marche ?

Premier effet du baiser : on n’a plus faim ni soif. Autrement dit, les besoins élémentaires, ceux dont la présence nous tourmente au point d’oublier tout le reste, se trouvent satisfaits, ou au moins mis à l’écart. Ne dit-on pas couramment qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche ?

Deuxième effet du baiser : On y dort. On y habite. Là, il s’agit de l’osmose parfaite réalisée entre nous et le lieu qui nous abrite. Par le baiser s’ouvre à nous l’espace d’un gîte avec le quel nous sommes en parfaite harmonie.

Quel est ce gîte ? Mais c’est forcément le corps de l’autre, ce corps qu’il m’est donné de tenir entre mes bras – et de ressentir par ma bouche et par ma langue. (1)

Troisième effet du baiser : on y oublie tout, aussi bien les souvenirs que les projets. Seul le présent y a sa place, seule sa jouissance peut emplir notre âme. Telle est la ressource extraordinaire du baiser : nous donner l’expérience d’un bonheur plein et authentique.

--> On l’a compris : ce qui compte dans le baiser, ce n’est pas la technique, mais le partenaire.

Inutile de me demander comment choisir la – le – partenaire : si votre instinct ne vous le dit pas c’est que ça ne va pas marcher.

Mais peut-être pourrais-je ajouter ceci : ce qu’Audiberti nous décrit à travers l’effet du baiser, c’est l’état du fœtus dans le ventre maternel. C’est là qu’on n’a ni faim ni soif, là que nous nageons dans un milieu en parfaite harmonie avec nous – et là encore qu’une heureuse inconscience nous préserve des soucis.

Grâce au baiser nous sommes donc comme un poisson dans l’eau – ou plus exactement comme le bébé dans le ventre de sa maman.

Votre partenaire-baiser devra donc avoir un indice positif de ce côté ci.


(1) Excusez cette rupture de style : je n’ai pas réussi à maintenir le registre romantique jusqu’au bout. Mais j’y retourne.

Citation du 27 juin 2010

La société devient enfer dès qu'on veut en faire un paradis.

Gustave Thibon

Quand l'homme essaye d'imaginer le Paradis sur terre, ça fait tout de suite un Enfer très convenable.

Paul Claudel – Conversations dans le Loir-et-Cher

Ceux qui lisent de temps à autre ce Blog connaissent mon aversion pour les prêcheurs d’évidence, les admirateurs de connivence, les enfonceurs de portes ouvertes. Ils doivent donc être surpris de me voir citer – et à deux reprises encore – cette banalité selon la quelle dès que nous tentons de réaliser le paradis sur terre, c’est l’enfer que nous créons (le meilleur des mondes – l’avenir radieux, etc.).

Mais justement, même dans les évidences les plus évidentes, il y a encore des zones d’ombre à éclairer.

Car, n’y a-t-il pas un paradoxe à constater que nous autres, les humains, doués de désir et de conscience – et d’intelligence – nous ne parvenons qu’à produire du malheur là où on voudrait créer du bonheur ?

Laissons de côté la question du désir (qui ferait mon bonheur au prix du malheur des autres), et refoulons la quête de bonheur au profit de celle du Paradis : après tout, est-ce que je sais si le bonheur suffirait à définir le Paradis ? Certains n’hésiteront pas à le nier, tant la béatitude leur paraîtrait la seule idée vraiment opportune ici.

Alors il ne reste plus que l’hypothèse suivante : le Paradis n’est paradisiaque que s’il nous est donné, et il devient infernal s’il est notre œuvre.

Voyons ça – Donné par qui ? Sûrement pas par nos semblables, déjà parce qu’il n’y a rien à attendre de bon de leur part (L’enfer, c’est les autres), et ensuite parce que même si on s’y essayait, il faudrait une collection innombrable de Paradis tous différents pour satisfaire tout le monde. Jamais personne n’y parviendra.

Personne… si ce n’est Dieu lui-même, car Lui seul sait ce qu’il nous faut.

Conclusion : il n’y a qu’une chose à faire pour restaurer le Paradis sur terre : prier Dieu. Et aussi faire ce qu’il faut pour mériter que l’accès au Paradis terrestre soit rouvert.

Et ça, c’est pas gagné.

Friday, June 25, 2010

Citation du 26 juin 2010

Ce que les hommes veulent en fait, ce n'est pas la connaissance, c'est la certitude.

Bertrand Russell

... Eh quoi ? notre besoin de connaître n'est-il pas justement notre besoin de familier ? le désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger, inhabituel, énigmatique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ? Ne serait-ce pas l'instinct de la peur qui nous commanderait de connaître ? Le ravissement qui accompagne l'acquisition de la connaissance ne serait-il pas la volupté de la sécurité retrouvée ?..."

NIETZSCHE – Le gai savoir [Aph. 355]

Retour sur un paradoxe qui nous avait déjà un peu occupé dans un Post de l’an dernier (ici) : l’extraordinaire crédulité des hommes, qui les pousse à admettre les plus grosses bêtises comme certitudes sans aucune discussion. Pourquoi en effet affirmer une chose comme étant vraie, alors même qu’on se soucie comme d’une guigne de son authenticité ?

Selon nos auteurs du jour, cette contradiction s’expliquerait par le fait que la vérité difficilement découverte nous importe moins que la sécurité de la certitude immédiate.

Il y a deux formes d’attachement à la certitude qui n’impliquent pas nécessairement la vérité :

1 - L’une est liée au désir : devant le malheur, l’illusion du bonheur vaut mieux que la lucidité. Qu’importe l’erreur, si seulement elle m’apporte du plaisir… ou m’épargne une souffrance. C’est ainsi que le mari trompé ne veut justement pas être détrompé.

--> Ce n’est pas cette forme qui nous occupe ici.

2 - L’autre origine de la crédulité vient de la peur du doute et de l’incertitude qui créent l'insécurité source d’inquiétude et de souffrance.

C’est comme cela que s’est créé un énorme malentendu à propos de la philosophie : on veut croire qu’il y a comme ça des hommes (des sages, des philosophes) qui possèdent la vérité sur tout et qu’il suffit de consulter pour être à l’abri du doute (1).

Alors, oui, il y a bien des systèmes philosophiques qui énoncent des vérités démontrées – ou du moins argumentées. Mais en même temps aucune de ces vérité ne peut être tenue pour utile tant qu’on n'a pas fait soi-même le chemin qui y mène. Voyez Descartes qui vous demande – dans ses Méditations métaphysiques (2) – de refaire pour votre propre compte en 6 jours (pas un de moins) de chemin qui va du doute à la certitude.

- Dis, René, c’est encore loin la Vérité ?

- Tais-toi et cherche !


(1) C’est comme cela que j’ai titré mon autre Blog « Docteur-Philo », en espérant que chacun lira l’autodérision sous la couche bien épaisse de suffisance.

(2) Méditations métaphysiques, sous titrées : Méditations touchant la première philosophie dans les quelles l’existence de Dieu et la distinction entre l’âme et le corps de l’homme sont démontrées.

Thursday, June 24, 2010

Citation du 25 juin 2010


Entre le soutien-gorge et la culotte, s'étend cette brève zone de chair nue, boursouflée par les élastiques: étonnante erreur de la mode qui scie en deux le tronc féminin!
Hervé Bazin - La mort du petit cheval
Curieuse ne trouvez-vous pas, cette critique des sous-vêtements féminins à la quelle se livre Hervé Bazin, On se prend même à sourire en se rappelant la plaisanterie déjà bien ancienne : sur la plage un agent accoste une dame en bikini.
- Madame, sur cette plage, les maillots deux pièces sont interdits.
- Ah bon s’étonne la dame. Et la quelle dois-je ôter ?
Mais je dirais quant à moi que cette citation de Bazin ne me donne pas envie de sourire
.
Essayons en effet de visualiser ce dont il parle : voyez par exemple ces sous-vêtements conçus par notre Miss préférée.
Où voyez-vous donc de la chair boursouflée ? Où voit-on un tronc féminin scié en deux ?
Sous des dehors plutôt débonnaires, cette citation ne constitue-t-elle pas en réalité un fantasme de tueur pathologique, de dangereux schizophrène ?
Est-ce bien Bazin qui parle ici ?
- Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, sors de ce corps, Landru !

Wednesday, June 23, 2010

Citation du 24 juin 2010

L'honneur doit être un éperon pour la vertu, et non pas un étrier pour l'orgueil.

Charles Cahier – Proverbes et aphorismes

J’ai longtemps hésité avant de mettre un ligne quelques réflexions sur l’échec de l’équipe de France de football à la Coupe du Monde, parce que faute de la plus petite empathie avec mes compatriotes qui souffrent des frasques ridicules de notre Onze national, je me sentais bien incapable d’y comprendre quelque chose.

Et puis je suis tombé sur cette citation de ce monsieur Cahier (improbable auteur dont la bio se trouve seulement sur la version anglaise de Wikipédia) et j’ai compris que le déshonneur ressenti par les amateurs de football français au spectacle jugé désolant de leur équipe nationale (1) n’était en fait qu’une blessure narcissique, un orgueil froissé.

Alors, le vieux misanthrope qui se cache en moi a marmonné : Qui sommes nous, nous les Français, pour nous sentir humiliés par le comportement de onze « sportifs » ?

Voilà ce qui se passe :

- La France se sent humiliée par insultes proférées par Nicolas Anelka car voilà le jargon des voyous de banlieues qui remplace le verbe de Racine (Finfielkraut dixit… à peu près).

- Quand c’est le capitaine de l’équipe qui se prend au collet avec le préparateur physique, nos yeux ébahis voient une mutinerie lancée paradoxalement par le capitaine du paquebot France.

- Quand cet épisode de la grève de l’entraînement se prépare sur le terrain, on voit à la télé Raymond Domenech qui désigne d'un geste du bras à ses joueurs les photographes et journalistes installés sur la hauteur qui les surplombe : les indiens se préparent à la curée – c’est la civilisation qui est menacée.

Sauvegardons notre honneur : envoyons pour affronter les équipes adverses non plus 11 joueurs chevronnés mais incapables de jouer en équipe, mais plutôt 11 « bras-cassés » solidaires et dociles.

Qu’on perde tout, sauf l’honneur.


(1) A noter que Fernando Arrabal dans le Libé du 22 juin (p.15) félicite Nicolas Anelka d’avoir injurié le coach, considérant que, soutenu par ses camarades, il avait réitéré le geste inaugural de la Révolution française : ne manquait plus que la tête de Domenech au bout d’une pique.

Tuesday, June 22, 2010

Citation du 23 juin 2010

Une chose folle, et qui découvre bien notre petitesse, c'est l'assujettissement aux modes.

La Bruyère – Caractères

Non – Nous n’allons pas dénigrer la mode d’été qui s’étale dans nos vitrines, ni nous lamenter sur les fashion victime. Après tout que deviendrait notre beau Karl sans elle ?

Nous souhaiterions parler non de la mode, mais des modes. Vous pigez ? Non ? Vous le faites exprès ?

Je pense aux lieux à la mode, aux mots qu’on répète parce que tout le monde le fait, aux idées qu’il est bon de colporter… . Bref suivre ce genre de mode c’est adhérer à un conformisme paradoxal parce qu’il évolue constamment, et que s’il nous permet de faire partie de la tribu – c’est à condition de connaître le mot de passe qui change tout le temps.

Je crois que ce sont les jeunes qui aiment les modes, du moins qui les suivent – et les vieux comme moi (si, si) qui les détestent.

Pourquoi ? Parce que le temps passant et l’expérience aidant, nous constatons que non seulement les modes changent – ça c’est une banalité – mais aussi et surtout qu’elles reviennent.

Il ne suffit pas de brûler ce qu’on a adoré, pour faire comme tout le monde et pour ne pas paraître une pauvre cloche. Il faut aussi retrouver ce qu’on avait aimé avant de le détester il y a 20 ou 30 ans et le faire avec un ravissement tout neuf. Oublier qu’on l’a déjà fait, déjà dit, déjà porté. Et oublier aussi qu’on a dit et écrit que c’était le comble de la ringardise, que ceux qui fréquentaient ces bistrots ou adoraient ces chanteurs, c’étaient des pauvres ploucs.

Bref, non seulement les modes nous mettent sous la tutelle des autres ; mais en plus elles exigent qu’on se déjuge, et voire même qu’on soit en contradiction avec nous-mêmes.

Et ça, ça fait beaucoup.

Monday, June 21, 2010

Citation du 22 juin 2010


Définition (TLF) :

Bulle - IMPR. Courbe entourant les paroles prononcées par les personnages de bandes dessinées


Greg – Les insolences d’Achille Talon

Bulle 3

Je ne pouvais quitter le domaine de la Bulle sans évoquer celles de la bande dessinée.

La bande dessinée est née selon moi avec la bulle qui insère du texte dans l’image. Autrement dit, je me refuse à considérer des planches dessinées comme celle du Sapeur Camember comme étant une bande dessinée.

De ce point de vue, il me semble que la série des Achille Talon constitue un sommet. Non seulement le langage d’Achille Talon sent bon son 18ème siècle, mais encore les dialogues sont rythmés par un système de bulles – des bulles à fragmentation – qui introduisent du sens qu’un texte platement écrit ne saurait nous dire. Essayez donc d’imaginer le contenu de ces bulles ramenées dans un cartouche en bas de l’image comme chez le Sapeur ; et voyez tout ce qu’on y perd.

On a vitupéré contre la bande dessinée en pensant qu’elle était une rivale du livre – de littérature – et que la jeunesse y perdait le goût de la « vraie » lecture. Que ceux qui ont prétendu ça aient été des vieux schocks, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais aussi ce sont des gens qui n’ont jamais lu une bande dessinée, sinon ils auraient compris que le texte y avait un rôle au moins aussi important que l’image, et qu’en plus ce rôle tenait dans la mise en page – j’allais dire « la mise en image ».

Certains poètes nous montrent également le rôle essentiel joué par la typographie de dans la production du sens. On pensera à Apollinaire (Les Calligrammes), à Mallarmé, à Claudel, et à d’autres encore étudiés dans le passionnant article de Marthe Gonneville – Poésie et typographie(s) (à consulter ici)

Sunday, June 20, 2010

Citation du 21 juin 2010

Regardez bien au fond du flacon d'où est sortie la bulle Internet : vous verrez qu'il y reste encore beaucoup de savon !

Jean-Pierre Raffarin – Discours Sur la société d'information - 11 Novembre 2002

Bulles 2

Après les bulles de savon, les bulles boursières! Moins jolies, plus dangereuses, mais pas plus solides.

Comment pouvons-nous nous passer de Jean-Pierre Raffarin ? Sa bonhomie, ses tirades frappées au coin du bon sens, ses lapalissades, tout cela nous manque et quand il sort de sa réserve c’est toujours pour notre plus grand bonheur.

Je ne me moque pas, je parle sérieusement : voyez comme cette mise garde contre les désordres de la spéculation boursière en 2002 anticipait la grande crise des subprimes et de tout ce qui s’ensuit encore aujourd’hui. Que ne l’avons-nous écouté ?

En fait ce qui nous importe ici c’est que J-P Raffarin ne nous signale pas seulement que la bulle Internet ne pouvait que crever parce que c’est une bulle. Il nous invite aussi à prendre garde au fait que les bulles boursières supposent surtout un flacon – le marché – et du savon, c'est-à-dire de la matière ad hoc – les fonds spéculatifs

Les bulles ne sont pas inessentielles et accessoires. Ce n’est pas parce qu’elles crèvent sans laisser de traces (du moins pas celle de leur matière propre) qu’elles n’ont pas d’importance. Elles doivent être regardées comme des indices, des marqueurs des mécanismes (ici financiers) plus durables, plus profonds.

Par exemple ici, comme nous le dit J-P Raffarin, elles montrent qu' il ne suffit pas de retirer le savon qui traîne encore au fond du flacon. Il faut aussi le casser ce flacon !

Et hop ! Voilà Jean-Pierre enrôlé dans la clique des dangereux anarchistes, altermondialistes etc ?

Saturday, June 19, 2010

Citation du 20 juin 2010

Les mots c'est comme des bulles d'air. C'est brillant, c'est doux quand ça passe et après, vous cherchez et y a rien.

Claudette Lawrence – Les Solitudes d'automne

Bulles 1


Oui, je sais…. Cette photo,a déjà employée chez Docteur philo. Mais voilà : j’ai un faible pour elle, parce qu’au moment même où je l’ai prise, j’ai senti qu’elle contenait quelque chose d’important

Les citations sur les bulles concernent souvent des bulles de savon et mettent l’accent sur le fait qu’elles symbolisent le néant des choses humaines. On est dans la bienpensance chrétienne – Sachez, Ô mes frères, vous voir tels que vous êtes et prosternez-vous devant Dieu…

Pourtant, rien de tel dans cette citation : il s’agit de dire combien les bulles – d’air et non de savon d’ailleurs – sont belles et séduisantes, et combien elles disparaissent sans laisser de trace. Et ça c’est fort !

Cette beauté-là, c’est quelque chose qui apparaît sans crier gare et qui disparaît sans laisser de traces. La beauté n’est immortelle que dans la mesure où elle est pleine de vie. Elle peut aussi cesser d’être, et alors elle laisse la place nette pour une autre belle chose qui remplira à son tour l’espace.

C’est en cela que l’art moderne me ravit : il a mis au rancart le concept d’œuvre immortelle, on a cessé de sculpter dans le marbre pour modeler avec du sable. L’éphémère est solidaire de la beauté, ou du moins – car la beauté est devenu un concept suspect aux yeux de bon nombre d’artistes aujourd’hui – de la création.

Et si ce n’est pas l’éphémère, ce sera le bref : comme ce Post qui s’achève avant que vous n’en soyez fatigué.

Small is beautyful !

Friday, June 18, 2010

Citation du 19 juin 2010

Se marier à un homme divorcé montre que vous êtes "écologiquement" responsable. Dans un monde où il y a plus de femmes que d'hommes, il faut participer au recyclage.

Rita Rudner – Choses à savoir sur les hommes

S’agit-il vraiment de recyclage ici ?

J’imagine deux façons de recycler les hommes divorcés :

- la première consiste à les détruire proprement – comme un vieux pneu – pour éviter qu’ils ne polluent l’environnement.

- la seconde consiste à réemployer leurs composants parce qu’on est dans la pénurie et qu’il faut économiser. Ça, c’est plutôt le développement durable.

La première est en cours de développement : il s’agit de ces techniques de cryogénisation des corps des défunts, pour éviter l’incinération au bilan carbone désastreux. Mais alors que ces gens soient divorcés ou pas ne fait rien à l’affaire.

La seconde met au premier plan la pénurie. Les hommes sont alors considérés comme une espèce menacée par la civilisation, leur consommation doit être régulée, un peu comme la pèche au thon rouge.

Ça, ça me convient tout à fait : je suis sûr que c’est à ça que pensait notre auteur.

Voilà donc l’homme prêt à assumer son rôle de géniteur – à supposer que ce soit ça, mais enfin si on parle d’écologie, on parle aussi de reproduction de l’espèce. Il faut donc non seulement participer à son recyclage, mais aussi il faut le maintenir en état de fonctionner.

Mesdames, si vous voulez participer au recyclage des hommes qui restent encore dans la nature, voici un liste des gestes à faire pour sauver l’espèce :

– Un petit peu de tendresse

– Un petit pastis quand il fait chaud

– Et un petit massage pour stimuler sa libido au bon moment.

Thursday, June 17, 2010

Citation du 18 juin 2010

La Belgique, c'est un terrain vague où des minorités se disputent au nom de deux cultures qui n'existent pas.

Jacques Brel

Alors, ça y est ? Les Belges, ils vont divorcer ?

Moi, ça ne me regarde pas : après tout ils font ce qu’ils veulent, même s’ils se disputent et font du bruit dans le voisinage après 10 heures du soir.

Mais quand même : ils devraient penser à leurs enfants. A qui vont-ils les confier ? Au père flamingant ? A la mère wallonne (1) ?

Pour le garçon, je ne me fais pas trop de souci : il est célèbre, tout le monde va vouloir l’adopter.


Mais c’est sa sœur qui m’inquiète : cette pauvre petite Jeanne, personne ne pense à elle ni ne vient la voir et avec ses habitudes un peu rustiques elle risque de se faire chasser de partout.

Alors, amis belges, si ce Post vous tombe sous les yeux, rassurez moi ; promettez-moi de conserver un minimum de communauté nationale pour que ces beaux enfants ne se retrouvent pas à l’orphelinat.


(1) Je suis prêt à intervertir le sexe des parents si ça vous arrange

Wednesday, June 16, 2010

Citation du 17 juin 2010

…un général anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves français, rendez-vous ! Cambronne répondit : Merde !

Victor Hugo – Les misérables – Cosette, ch. 14

Audace 3

Oui, il en fallut de l’audace à Cambronne pour répondre ainsi aux anglais et il en a fallu aussi à Victor Hugo pour écrire ce mot – le mot de Cambronne, périphrase employée justement pour éviter de se salir la bouche en disant « merde » !

On nous dit que les académiciens, devant ce passage du grand Hugo se sont voilés la face et détourné les yeux. Le scandale fut à nul autre pareil, mais il faut dire que Hugo avait enfoncé le clou avec énergie : « Dire ce mot, et mourir ensuite. Quoi de plus grand ! car c’est mourir que de le vouloir, et ce n’est pas la faute de cet homme, si, mitraillé, il a survécu. (…) L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. » (Idem – Ch. 15)

Vous avez bien lu : L’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne, et s’il l’a gagnée, c’est en disant Merde !

Il y a de quoi pour un académicien avaler son brevet d’immortalité…

Reste à remarquer que notre question d’hier (l’audace peut-elle se trouver dans les mots et non dans l’action) reçoit ici un élément de réponse. Car, lorsque les mots ne sont pas en balance avec l’action – autrement dit quand l’action est impossible, ce qui est le cas pour Cambronne, ou bien hors propos comme pour l’écrivain – alors il peut y avoir des mots inconsistants, mais il peut aussi y en avoir qui soient audacieux.

Tuesday, June 15, 2010

Citation du 16 juin 2010

Audace – Quiconque manque d'audace peut encore réussir dans la philosophie, la prêtrise, la poésie. Mais il n'est pas d'escroc ni d'aventurier sans audace ; ni même de financier.

C'est pourquoi l'audace figure parmi les plus hautes qualités de l'homme.

Elgozy – Le Fictionnaire ou précis d'indéfinitions

Audace 2

Encore de l’audace ? Oui, mais celle-ci est plutôt à rechercher dans l’accumulation des paradoxes.

Car, comme on le voit, notre auteur du jour les multiplie joyeusement :

- D’abord financier, aventuriers, escrocs sont à mettre dans la même catégorie.

- Ensuite ils y sont parce qu’ils possèdent l’une des plus haute qualité de l’homme : l’audace.

- Enfin, parmi les dégonflés, les faiblards, les ramollos du calcif, on va trouver les philosophes, les prêtres, les poètes…

On comprend que les philosophes sursautent quand on les traite comme cela. Mais enfin, avant de s’indigner il faut se demander si effectivement ils ne prêtent pas le flanc à un tel grief.

Le plupart des philosophes institutionnels vont répéter encore et encore que la philosophie est un risque, qu’il faut du courage pour s’y aventurer, que même si le sort de Socrate ne les menace plus, le simple fait de penser comporte un risque : Ose penser ! répètent-ils après Kant… (1)

Peut-être. Mais ne peut-on tout de même pas songer à la différence entre dire et faire ? Entre s’enflammer pour un principe, dont on suppose qu’il mérite d’y sacrifier sa vie, et la sacrifier vraiment, il y a tout de même une petite différence, et les penseurs sont rarement morts au combat. Rousseau qui haïssait les philosophes disait à leur propos : c'est [par la philosophie] … qu'il dit en secret, à l'aspect d'un homme souffrant : péris si tu veux, je suis en sûreté. (2)

Au fond, le problème, c’est d’arriver à savoir dans quelle mesure la simple parole peut être audacieuse. Peut-être en saurons nous un peu plus demain…


(1) Sapere aude! (Kant – Qu’est-ce que les lumières ?)

(2) Rousseau – Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité, 1

Monday, June 14, 2010

Citation du 15 juin 2010

« De l'audace ! Toujours de l'audace ! » Qu'est-ce à dire ? Ce serait trop simple, s'il suffisait d'oser. … Il y a les réussites ravissantes de l'audace. Il y a aussi ses catastrophes. Quoi de plus fréquent que le courage puni ?

Montherlant - Mors et vita

Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît.

Michel Audiard – Les Tontons flingueurs

Audace 1

Aller un peu à contre courant de l’opinion commune, voilà un exercice que tout esprit philosophique devrait pratiquer régulièrement, au même titre que le doute méthodique de Descartes.

Donc : au lieu de louer l’audace, celle de la belle jeunesse qui part à l’assaut de la vie sans souci des échecs, parlons un peu de ces échecs lamentables qui ne font que révéler son manque d’expérience et de réflexion : Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît.

Alors dira-t-on, et Bonaparte au Pont d’Arcole ? Le voilà qui s’élance le drapeau à la main sur le pont balayé par la mitraille autrichienne, pour ouvrir le passage à ses troupes. En voilà de l’audace !

Sauf que, n’en déplaise aux amateurs de légendes, dans la réalité il a fallu reculer et la bataille d’Arcole n’a été gagnée que par ruse (voir ici)

Le problème comme souvent, c’est de définir les frontières entre l’audace « intelligente » et l’audace des « cons » (1).

On pourrait par exemple suggérer que l’audace est stupide quand elle fait courir le risque d’un échec sans commune mesure avec le succès escompté. Ainsi, si l’audace de Bonaparte est blâmable, ce n’est pas seulement parce que ça risquait de rater, mais c’est surtout parce qu’il risquait sa vie : un chef conscient de ses responsabilités doit se protéger, comme aux échecs où le roi n’est jamais pris ou plutôt que sa prise prochaine signe la fin de la partie.

C’est ça la catastrophe de l’audace.


(1) Qui sont les cons ? Comment les définir ? Une fois qu’on a dit que ce sont les autres, tout reste à dire. S’il fallait rédiger un traité de sémantique consacré à la « connerie » il est sûr qu’il faudrait une brouette pour arriver à le transporter.

Sunday, June 13, 2010

Citation du 14 juin 2010

Il est dans l'amour de certaines caresses que l'amour nous apprend.

Helvétius - Notes et Maximes

Les caresses de l’amour… Voilà un beau sujet, et dangereux en plus ! Car le risque de dérapage dans le vaseux, le graveleux, voire même le vulgairement pornographique nous guette…

Oui, mais rien de tel avec Helvétius : ce qu’il nous dit, c’est que rien ne s’apprend en amour, que tout s’invente, et qu’en conséquence il est inutile de dire ou de montrer si c’est pour enseigner.

Voilà donc renvoyé au placard la prétention à faire une éducation sexuelle qui serait autre chose que celle de la responsabilité et du principe moral du respect d’autrui.

Mais même cela est pris en défaut par la pensée d’Helvétius, du moins si on croit pouvoir faire un catalogue du permis et du défendu au nom du respect de l’autre. Car que signifie le respect de l’autre, si je ne sais pas en quoi telle ou telle pratique amoureuse – telle caresse, tel baiser, etc. – pourrait lui porter atteinte, l’humilier, le blesser ? Et comment le savoir si ces caresses sont une invention hic et nunc, résultant de l’instant et de l’effet produit par l’autre ?

Nous retrouvons aussi une idée qu’on admet souvent sans trop savoir pourquoi, simplement parce que ça ne heurte pas le bon sens : c’est que rien ne peut être criminel dans l’amour à condition que ce soit entre adultes consentants.

Déjà, ce principe est un peu limite : que signifie donc consentir ? Si ce consentement est obtenu en échange d’un emploi (promotion canapé), ou d’argent, peut-on encore le juger justifié ?

Mais voici la réponse d’Helvétius : tout cela n’a aucun intérêt, car en amour, les caresses ne sont pas échangées contre quelque chose, mais contre d’autres caresses (1). Mieux : elles s’inventent au fur et à mesure sous l’impulsion du désir vécu dans son rapport au corps de l’autre (2).

C’est comme ça que certain(e)s nous rendent plus inventif, que d’autres …


(1) On se rappelle peut-être de la règle d’échange des baisers (à 4 pour un) inventée par Louise Labbé (voir ici).

(2) J’oubliais : ce qui s’invente, ce ne sont pas seulement les caresses qu’on veut donner, mais aussi celles qu’on cherche à recevoir.

Saturday, June 12, 2010

Citation du 13 juin 2010

Les hommes sont si bêtes qu'une violence répétée finit par leur paraître un droit.

Helvétius - Maximes et pensées

Thèse à débattre : tout droit, quelqu’il soit, est coutumier, dans ce sens que la coutume des ancêtres, ou l’habitude prise de longtemps finit par légitimer quelque conduite que ce soit. Ce que nos ancêtres ont fait, alors il est juste de le faire encore et encore.

On comprend dès lors pourquoi des pratiques aussi barbares que l’excision des femmes ou l’esclavage des enfants soit revendiqué au nom de la coutume, au nom de la nécessité sociale, voire même au nom de la religion. « Une violence répétée finit par paraître un droit ».

Plutôt que d’entrer dans le débat par la grande porte, celle du choc des civilisations – ou celle des droit de l’homme, je propose de passer par le petit portillon : qu’est-ce que le temps apporte en matière de légitimation ?

Laissons pour un instant de côté la violence, prenons plutôt la croyance. Suffit-il qu’on ait depuis des temps immémoriaux cru que quelque chose était juste – ou vrai – pour que ce soit effectivement le cas ?

Voyez ce que nous disent les adeptes de l’astrologie. L’astrologie, disent-ils, est une science sur la quelle on peut compter parce qu’elle remonte aux assyriens ou aux chaldéens – je ne sais plus mais en tout cas c’est une discipline qui a été cultivée depuis plusieurs millénaires. Bien. Et qu’est-ce que ça prouve ? N’a-t-on pas, de temps immémoriaux assuré aussi que la terre était le centre du monde et que le soleil tournait autour d’elle ? Une longue erreur reste une erreur.

Revenons à la violence. La violence peut-elle être coutumière ? Sans doute. Mais cette coutume est-elle une légitimation ? Chacun trouvera son exemple car hélas ils ne manquent pas. Quant à moi je pense à la vendetta (coutume connue chez nous en Corse, mais il est certain qu’elle existe bien ailleurs quoique sous un autre nom). La vendetta signifie qu’on a le droit – que dis-je ? le devoir – de tuer un membre d’une famille dont un ancêtre a commis un crime semblable à l’encontre de notre famille. Et notez que ce code de l’honneur est un code non écrit et qu’il ne se justifie même pas de l’autorité de la religion comme c’est le cas pour le Talion.

Ce que cette violence gagne à être répété, c’est de paraître solidaire d’un ordre qui nous semble d’autant plus important qu’il est plus ancien. Celui qui y déroge, détruit l’ordre, et menace le socle sur le quel repose la société. L’omerta est le respecte de ce principe.

Friday, June 11, 2010

Citation du 12 juin 2010

La censure intérieure de l'homme est impitoyable : nous ne connaissons même pas les pensées que nous ne voulons pas enfanter.

Stanislaw Jerzy Lec – Nouvelles pensées échevelées

On l’a vu récemment : la pire des censures est celle qui ne se remarque pas. C’est bien sûr le cas avec la censure psychique, qui ne se manifeste que par des micro-anomalies dans le raccord entre des souvenirs ou dans les récits de rêves. On parlerait d’auto-censure s’il s’agissait d’un fait non conflictuel. Seulement voilà : ce n’est pas parce que la censure est indolore qu’elle ne provoque pas des dégâts.

Car le pire n’est peut-être pas dans l’infanticide des pensées suggéré par notre auteur. Après tout, les poètes surréalistes ont montré qu’il y avait des moyens pour contourner la censure (écriture automatique, rêve éveillé, etc.).

Ce que Freud a montré – et ce sont là les premiers acquis de la psychanalyse, ceux qui ont servi à révéler l’existence des conflits inconscients – c’est que nous sommes en permanence travaillés par les interdits qui refoulent hors du champ de notre conscience des représentations et des désirs.

Ce qui veut dire qu’à chaque instant – oui, même moi, même à cet instant où mes doigts agiles courent sur le clavier pour essayer de suivre les pensées ailées qui s’échappent de mon esprit fécond – nous sommes entrain également de dépenser une énergie considérable pour refouler dans l’inconscient les désirs censurés.

On comprend bien que l’énergie psychique ainsi dépensée à surveiller les frontières de notre conscience est prélevée sur les ressources de l’esprit et va donc lui manquer pour la création, ou tout simplement pour la vie quotidienne.

Faudrait-il (à supposer qu’on le puisse) censurer la censure et refouler le refoulement ? Pourquoi pas – mais à quel prix ?

Car ce que ne dit pas notre auteur, c’est ce qu’il se passerait si la censure n’existait pas. Qu’est-ce que mon cerveau pourrait faire de toute cette énergie, et surtout de toutes ces représentations dont on suppose qu’elles ne sont pas compatibles avec l’éducation que j’ai reçue ?

Thursday, June 10, 2010

Citation du 11 juin 2010

Le déficit est le trésor de la nation.

Mirabeau (cité par Jean Jaurès dans son Histoire socialiste, p. 244)

L’histoire ne se répète pas, dit-on. Hé bien on l’a échappé belle, parce qu’en ce moment on trouve de furieuses ressemblances entre ce qui se passe en France (et en Europe), et la période révolutionnaire, en particulier celle qui a correspondu à la convocation des Etats Généraux.

Comparez en effet cette citation de Mirabeau à ce que disent aujourd’hui les spécialistes financiers des déficits des pays européens et de la crise de l’euro :

- Chic ! disent-ils. Enfin l’euro baisse : en voilà une bonne nouvelle…

Petit rappel : En 1787-88, on découvre dans les finances du royaume un déficit énorme, qui met la France en cessation de payement en espèces. Du coup, le seul moyen de résoudre le problème est de convoquer les Etats Généraux, qui ont pour tâche de trouver de nouvelles ressources, mais qui vont en priorité s’ingénier à trouver le moyen de faire craquer le pouvoir politique.

Trois solutions étaient proposées : Necker se faisait fort de rétablir le Trésor grâce à des bidouillages financiers ; certains étaient plutôt pour une levée d’impôts supplémentaires ; enfin les derniers – dont Mirabeau – étaient pour que la France se mette en banqueroute tout simplement. (1)

Extraordinaires similitude avec notre époque ; de 1789 à aujourd’hui, nous retrouvons les mêmes incertitudes les mêmes divergences d’analyses. Par exemple : la Grèce a-t-elle intérêt à faire banqueroute (2) ? Faut-il manipuler le cours de l’euro ? Faut-il lever des taxes et des impôts sur les riches (3) ? etc…

Extraordinaires incertitudes où nous sommes de la solution à choisir : depuis deux siècles, on dirait que la science de l’économie n’a pas vraiment progressé. Les Diafoirus et les Purgons ne sont plus médecins, ils sont devenus économistes.

Une seule certitude : nous ne ressemblons pas complètement à nos ancêtres les sans-culottes, parce que eux, la finance ils n’en avaient rien à faire et que la seule questions qui les agitait était : comment fonder la République.


(1) Sur la période des Etats généraux et les aléas des ministères Necker, voir ici.

(2) Aujourd’hui on dit « restructurer la dette » – ça fait plus propre.

(3) Petite anecdote pour se dérider un peu : ça se passe en Roumanie. A des opposants qui proposaient de faire payer les riches pour combler le déficit des comptes publics, Sebastian Vladescu, ministre des finances roumain a répondu "La Roumanie ne dispose pas de suffisamment de riches pour partager avec tous les pauvres." (Cité dans Libé du 8 juin p.4)

Wednesday, June 09, 2010

Citation du 10 juin 2010

J'ai un peu l'impression quand Nicolas Sarkozy nous donne des leçons de maîtrise budgétaire, c'est un peu M. Madoff qui administre quelques cours de comptabilité.

Martine Aubry (vidéo)

Je sais bien que ça doit être casse pied pour les lecteurs non hexagonaux de ce blog de lire des commentaires de politique intérieure française, mais j’ai une bonne excuse : il s’agit pour moi de rectifier une erreur que chacun pourrait commettre concernant une figure de rhétorique extrêmement courante : l’analogie.

Martine Aubry a-t-elle comparé Notre-Président à Bernard Madoff ? Pas du tout. Elle a dit : ce que Monsieur Madoff est à la comptabilité, Nicolas Sarkozy l’est à la maîtrise budgétaire.

Autrement dit, elle a établi une analogie en comparant des rapports et non des réalités – et donc pas des personnes.

A quoi sert une analogie ? A éclairer un élément dont on ignore – ou feint d’ignorer – la réalité, grâce à un rapport établi avec d’autres éléments.

Ce que nous dit Martine Aubry ce serait cela :

- Je ne peux pas vous dire en détail qui est Nicolas Sarkozy, mais je suppose que vous connaissez Bernard Madoff – et ce qu’il a fait dans le domaine de la finance.

Je dirai donc ce que sont les compétences de monsieur Sarkozy en matière budgétaire, en les comparant à celles de monsieur Madoff, même – et cela est également très important – si ce n’est pas dans le même, domaine qu’ils ont œuvré : Notre-Président n’a pas fait de placement financiers et Madoff n’a pas été un ténor de la politique.

Concluons : une analogie ne dit rien de la substance des éléments qui la composent, elle dit simplement comment chacune de ces substances interagit avec les autres. C’est d’ailleurs ce que chacun avait compris avec ce récent Post (du 8 juin) où Bataille établissait une analogie entre l’acte sexuel et le tigre.

Seulement voilà : dès qu’on se trouve dans le registre politique, le démon de la polémique l’emporte sur l’analyse rationnelle.

Tuesday, June 08, 2010

Citation du 9 juin 2010

Aujourd'hui, la censure a changé de visage. Ce n'est plus le manque qui agit mais l'abondance.

Bernard Werber – La révolution des fourmis

Les mots ont une histoire, et qui plus est, une histoire qui s’accélère de plus en plus.

C’est ainsi que le mot « censure » a à peu près disparu de notre vocabulaire courant, et excepté certains psychanalystes, plus personne ne l’emploie.

Par contre d’autres mots font leur apparition : ainsi la « désinformation » est apparue il y a quelques décennies pour caractériser non l’interdit sur l’information (censure), mais la diffusion de fausses nouvelles, ou d’interprétations falsificatrices. A l’époque c’était l’URSS qui était la spécialiste de ce genre de pratique. Plutôt que de censurer, mieux vaut affaiblir et fausser l’information.

Mais la perte de contrôle des Etats sur les medias de l’information, en particulier avec les technologies numériques (Internet, téléphones portables) a fait disparaître ce genre de pratiques, et la censure étatique des medias, n’a guère de chance de réussir – comme nous l’ont montré la Chine ou l’Iran.

- C’est alors qu’on s’est aperçu que la censure était une fatigue inutile, non pas seulement parce que ça ne marche pas, mais surtout parce que les informations se censurent toutes seules, par le simple fait du débordement incroyable des messages, qui entraîne la perte du contenu, sa dilution, sa disparition dans le flot incessant des « nouvelles » nouvelles. C’est donc bien l’abondance d’information qui censure l’information, un peu comme dans le jeu « Où est Charlie », on cache ce qu’on montre en le noyant dans une masse extraordinaire de détails.

C’est une preuve de plus que les hommes ont des facultés qui n’ont plus de rapport avec leur capacité de production. Il nous faut des machines pour conduire nos machines, telles que nos fusées, nos avions et bientôt nos voitures.

Hé bien pour entendre et voir ce que nous produisons il nous faut déjà des moteurs de recherches (entièrement automatisés) ou des scanners qui analysent à notre place des millions de documents. Bientôt il nous faudra des machines qui verront les films à notre place ou qui écouteront les musiques qu’on n’a pas le temps d’écouter.

--> Et pendant ce temps là, nous on pourra sortir avec nos petites amies.