Saturday, May 31, 2008

Citation du 1er juin 2008

Les mots sont les passants mystérieux de l'âme.
Victor Hugo - Les Contemplations
- Notre âme serait-elle visitée par les mots comme nos songes par les fantômes ?
Je ne sais pas exactement à quoi pensait Victor Hugo en écrivant ce vers ; mais on peut imaginer que le poète a un rapport aux mots qui en font des être autonomes, doués d’un sens qui leur appartient en propre, et d’une vie qui dépend plus de leur liberté que de la notre.
J’aime à imaginer que nous sommes visités par les mots, qu’ils nous apparaissent, qu’ils se réunissent et qu’ils s’accouplent devant nous comme si nous n’étions que des spectateurs et non leur maître. Que les muses n’existent pas, mais que l’inspiration existe, qu’elle vient du langage dès lors que nous sommes ouverts à ses influences. Bref, ce sont les mots qui nous viennent et non pas nous qui allons à eux. Les mots sont nos muses.
- S’agit-il d’un fantasme ? Devrions-nous imaginer plutôt que nous sommes comme Humpty Dumpty qui fait dire au mot « gloire » exactement ce qu’il veut, parce que c’est lui le maître ? (« - Quand j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins. » (1) )
Nous avons souvent ici même évoqué les différences entre la philosophie et la poésie. C’est sans doute le moment de reconnaître qu’elles peuvent certes porter sur le même objet, mais que tout de même le philosophe reste plus proche de Humpty Dumpty que de Victor Hugo.
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(1) "I don't know what you mean by 'glory,'" Alice said.
Humpty Dumpty smiled contemptuously. "Of course you don't -- till I tell you. I meant "there's a nice knock-down argument for you!'"
"But `glory' doesn't mean `a nice knock-down argument,'" Alice objected.
"When I use a word," Humpty Dumpty said in a rather a scornful tone, "it means just what I choose it to mean -- neither more nor less."
"The question is," said Alice, "whether you can make words mean different things."
"The question is," said Humpty Dumpty, "which is to be master -- that's all."
Alice was too much puzzled to say anything, so after a minute Humpty Dumpty began again.
"They've a temper, some of them -- particularly verbs, they're the proudest -- adjectives you can do anything with, but not verbs -- however, I can manage the whole lot! Impenetrability! That's what I say!" Lewis Carroll - Through the looking glass chapter VI

Friday, May 30, 2008

Citation du 31 mai 2008

Quand nous enlevons la vie aux hommes, nous ne savons ni ce que nous leur enlevons, ni ce que nous leur donnons.

Lord Byron Sardanapale

Cette affirmation devrait faire réfléchir ceux qui soutiennent que la peine de mort est la seule acceptable dans des cas des crimes les plus odieux (1).

On raconte (je crois que c’est Michel Foucault) qu’autre fois, lorsqu’on rouait un criminel, on l’étranglait au bout d’un certain nombre d’heures d’agonie, pour que son âme ne désespère pas de Dieu. Autrement dit on ne voulait pas être responsable de sa damnation ; on savait qu’on lui retirait la vie, mais on ne voulait pas être responsable de lui donner l’enfer.

Personne ne sait ce qu’est exactement la mort, pas plus qu’on ne sait ce qu’il y a après elle : elle est « métempirique » comme disait Jankélévitch – entendez qu’elle est au-delà de toute expérience possible.

Que nous soyons si friands de récits de gens qui sont revenus de l’au-delà de la mort pour nous raconter la belle lumière qu’ils ont vue, et la corde d’argent qui les reliait à leur corps, montre à mon avis qu’on ne se résignera jamais à admettre notre ignorance. Ignorance radicale, parce qu’elle n’est pas simplement le fait de ne pas savoir ce qui se cache sous le voile ; elle est aussi de savoir s’il y a quelque chose de caché.

Redescendons de ces cimes – ou plutôt : remontons de ces abîmes. Car Byron commence en parlant d’autre chose : « Quand nous enlevons la vie aux hommes, nous ne savons [pas] ce que nous leur enlevons ». Car qu’est-ce que la vie qu’on leur prend ? Quand Socrate a bu la ciguë, il avait 71 ans : ce n’est pas la même chose que s’il avait eu 21 ans. Supposez que le suicidé qui se manque soit condamné comme un criminel à la peine capitale : peine absurde puisqu’on lui infligerait ce qu’il voulait se faire à lui-même. En tout cas, la vie qu’on lui prendrait n’aurait pas grande valeur pour lui.

La vie n’a pas une valeur prédéfinie, ni mesurable : lorsqu’on inflige la peine capitale à un homme, il faut admettre que lui seul pourrait connaître le poids de cette peine.

Mais remarquez que c’est la même chose pour la privation de liberté : en vous privant de liberté, de quoi vous prive-t-on ? Supposez que dans votre cellule on vous laisse la télé ?

(1) Inutile de citer la cas de l’affaire Fourniret, sauf pour observer que le rétablissement de la peine de mort en France pour un tel cas n’a pas été évoqué : peut-être que les fanatiques de la guillotine se sont lassés…

Thursday, May 29, 2008

Citation du 30 mai 2008

Aussi loin qu’on remonte en arrière à des états antérieurs, on ne trouvera jamais dans ces états la raison complète, pour la quelle il existe un monde et qui est tel.

Leibniz – De la production originelle des choses prise à sa racine. (Traduction Schrecker, p. 83)

La métaphysique et la science sont depuis l’origine séparées par ce clivage : l’une pose la question de l’origine absolue, cause première – l’inconditionné ; l’autre pose la question de l’enchaînement des phénomènes dans le temps – le conditionné.

Qu’il y ait du conditionné sans condition première ; autrement dit qu’il y ait un univers sans créateur (une horloge sans horloger aurait dit Voltaire), voilà ce qui choque la raison humaine, et depuis Kant on est résigné à admettre que le refus de cette opposition fasse partie de la nature humaine.

Résigné parce qu’on sait qu’on ne parviendra jamais à répondre scientifiquement à la question : « Pourquoi y a-t-il un univers plutôt que rien du tout ? »

Résigné… pas tout à fait.

On commence ces jours-ci à mettre en service l’accélérateur de protons qui se situe à la frontière franco-suisse (le L.H.C.). Or, voilà que dans leur programme de recherche, les scientifiques, à côté de la mise en évidence de particules aux noms plus ou moins exotiques, vont essayer de savoir pour quoi l’univers existe encore.

En effet, lors du Big Bang, on admet que sont apparues autant d’anti-matière que de matière: dès lors l’univers était condamné à disparaître à peine né, puisque matière et anti-matière ne font pas bon ménage. Or, voilà que la matière s’est « imposée » : d’où vient cette dissymétrie ? Pourquoi y a-t-il un univers plutôt que pas d’univers du tout ?

Wednesday, May 28, 2008

Citation du 29 mai 2008

Il vaut mieux qu'une injustice se produise plutôt que le monde soit sans loi.

Goethe
Quand l'ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice

Romain Rolland - Quatorze juillet

Ordre et désordre : de quel côté mettre la loi ?

Si on estime que l’anomie est le désordre le plus absolu, alors même une loi injuste doit être préférable à sa contestation. C’est ainsi que Kant affirmait que le peuple n’avait jamais le droit de se rebeller contre son prince, même si celui-ci était injuste (1).

D’abord, entendons-nous sur ce qu’est l’injustice.

On a vu des peuples courbés sous la férule d’un despote, supporter des dizaines d’années son autorité tyrannique pour la seule raison qu’il apparaissait comme la condition de la prospérité économique. Que tout le monde mange à sa faim, telle est la première et la principale justice ; qu’à côté cela la presse soit bâillonnée, les intellectuels soient exilés, que les fils et les cousins du dictateur soient tous ministre, qu’importe ?

Disons donc que l’injustice est ce qui porte atteinte au droit à l’existence du plus grand nombre. Que le peuple soit affamé, qu’il soit pillé, violé, incendié - comme au Darfour : voilà l’injustice dans son expression la plus claire.

Mais dans ce cas, ceux qui se dresseront contre cet ordre injuste ne le feront pas au nom du désordre, ni dans l’anomie, mais bien dans l’ordre d’une loi supérieure, celle de la survie de l’espèce – en l’occurrence du peuple qui souffre. Ce n’est pas l’ordre contre le désordre, c’est une loi supérieure contre une loi inférieure ; c’est l’ordre de la survie de tous contre l’ordre de la destruction.

La justice c’est donc la paix ? N’avons-nous pas déplacé l’idée même de loi : au lieu de la faire reposer sur un accord des volontés, nous la découvrons dans l’ordre de la nature ? Ne faisons-nous pas alors de la société humaine quelque chose que ne renierait pas une horde de chimpanzés (ou mieux : de bonobos).

Il y a certes place heureusement pour un ordre supérieur de justice et de lois.

Mais quand bien même les sociétés humaines ne vivraient que dans la paix des singes, et ça sera déjà mieux…

Un exemple ? « Chez les bonobos, les relations sexuelles, feintes ou réelles, sont plus souvent utilisées comme mode de résolution des conflits, à côté des mécanismes de domination. » - Lire le reste

La paix selon les bonobos : je suis pour.

(1) En vérité le propos de Kant est un peu décalé : il dit que la révolution est injustifiée si elle prétend, en abattant un tyran, mettre à sa place un ordre juridiquement juste, parce qu’aucune justice ne peut être fondée sur une violence.

Tuesday, May 27, 2008

Citation du 28 mai 2008

Il ne manque à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât travailler.

Jean de La Bruyère –Les Caractères

Pour La Bruyère, l’oisiveté et le travail sont deux dénominations qui peuvent recouvrir une seule et même réalité.

Peut-on étirer ainsi la notion de travail et l’appliquer à de telles activités ou états sans la faire craquer ? Ce n’est possible qu’à condition de la redéfinir ; mais alors, ne risque-t-on pas d’effacer les limites du concept au point de le rendre inintelligible ?

- D’abord, reconnaissons que si le travail est une activité non pas d’ordre économique (= destinée à satisfaire les besoins du travailleur) mais destinée à produire une transformation de la matière, on progresse, mais on n’est pas encore arrivé au but.

Il faut donc ajouter que le travail n’est pas exclusivement une transformation de la matière, mais qu’il comporte aussi une large part d’activité intellectuelle. C’est même l’opposition entre travail matériel et travail intellectuel qui semblait à Marx être l’expression la plus nette de l’aliénation par le travail : pourquoi celui qui travaille ne pourrait-il méditer, parler, lire, dans l’exercice même de son travail ?

- Reste : être tranquille. On dira que c’est cela l’oisiveté, et que le travailleur ne peut être oisif. Mais on devrait sans doute concevoir l’oisiveté sur le fond d’une autre activité dont elle constituerait une condition d’exercice.

Mai-68 : métro-boulot-dodo : comme Aristote, les jeunes contestataires de l’époque refusaient au repos un statut bienheureux, car il y voyaient la condition du travail et non sa récompense (1).

Etre tranquille c’est le fait ne pas dissiper son énergie dans le monde extérieur, et de la réacheminer vers notre propre être, la mettre au service de notre propre pensée.

- Résumons-nous : Travailler, c’est agir, c’est créer, comme Hannah Arendt nous invite à le penser. Agir créer, c’est aussi bien transformer la matière qu’élaborer une pensée, à plusieurs ou tout seul – et dans ce cas, la tranquillité en est une condition.

Mais pour parvenir à cet état, il faut désolidariser l’idée de travail de celle de satisfaction des besoins – la quelle suppose le labeur.

La Bruyère a donc tort mais en partie seulement : on peut bien nommer travail l’oisiveté du sage, à condition de dire qu’il doit aussi exercer un labeur pour manger chaque jour.

Spinoza était aussi polisseur de lentilles (2).

(1) On dirait tout aussi bien « dodo-métro-boulot »

(2) Pour les ignorants qui ricanent, je suis obligé de préciser qu’il ne travaillait pas chez William Saurin.

Monday, May 26, 2008

Citation du 27 mai 2008

Dans toute morale ascétique, l'homme adore une part de soi-même sous les espèces de Dieu, et il a besoin pour cela de changer en diable la part qui reste...

Nietzsche - Humain, trop humain

Que l’idéal ascétique soit pour Nietzsche essentiellement issu de la haine de la vie, et que la haine de la vie ait partie liée avec la haine de soi-même, voilà ce que nous ne discuterons pas ici.

Par contre nous retiendrons essentiellement que l’homme ne peut se déifier sans se diaboliser en même temps.

Nous avons ici quelque chose d’un peu plus clair que l’affirmation pascalienne « Qui veut faire l’ange, fait la bête », car ce n’est pas à une alternative, mais à une dualité permanente que renvoie Nietzsche.

J’entends bien que pour celui qui n’est pas contaminé par la morale ascétique, l’homme n’est ni Dieu ni Diable. Mais c’est que simplement il peut s’accepter avec ses aspirations morales et ses cruautés toutes ensembles, sans avoir la nécessité de rejeter les unes au profit des autres.

Car c’est cela que Nietzsche nous propose : acceptez vos contradictions, elles font partie de la vie.

Mais une vie sans idéaux, n’est-ce pas la vie d’un pourceau ? Et l’absence d’efforts ne fait-il pas de l’homme un être mou et velléitaire, c’est à dire tout sauf un surhomme…

Peut-on vivre sans ascétisme ? Sûrement pas, et Nietzsche le sait.

Car n’oublions pas que Nietzsche a aussi valorisé l’ascétisme en tant qu’il permet de dresser la bête humaine, qu’il permet de renvoyer à leur place nos craintes et nos tremblements, comme on renvoie un chien fourbe dans son chenil. C’est que, comme le rappelle Deleuze, chez Nietzsche, ce qui importe c’est la force qui s’empare des valeurs. L’idéal ascétique peut être aussi au service du "maître" qui s’élève grâce à lui.

C’est à cette condition que l’homme deviendra non pas un Dieu, mais un « surhomme ».

Sunday, May 25, 2008

Citation du 26 mai 2008

L'horreur d'un accident qu'on découvre sur sa route provient de ce qu'il est de la vitesse immobile, un cri changé en silence (et non pas du silence après un cri).

Jean Cocteau - La Machine infernale

Evard Munch – Le Cri (huile et pastel) 1893

Faut-il lire les explications données par les artistes sur leurs œuvres ? Peut-être pas. En tout cas, voyez celles que Munch a données sur les circonstances dans les quelles il conçut son célèbre tableau : « J'étais en train de marcher le long de la route avec deux amis - le soleil se couchait - soudain le ciel devint rouge sang – j'ai fait une pause, me sentant épuisé, et me suis appuyé contre la grille - il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville - mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là tremblant d'anxiété - et j'ai entendu un cri infini déchirer la Nature ».

Autrement dit, le personnage central n’est pas entrain de crier, il est sidéré d’effroi par le cri de la nature.

- Je persiste à dire que, pour mon propre compte je préfère voir une représentation d’un cri venant du personnage qui se bouche les oreilles, alors même que son cri restera étranglé dans sa gorge.

Ce n’est qu’une interprétation ? Peut-être. Mais voici ce qui importe : ce cri, d’où qu’il vienne, est un cri silencieux, et comme le dit Cocteau, un cri changé en silence et non un silence changé en cri.

Seulement Cocteau pense quant à lui à la pétrification du cri : comme la vitesse des véhicule est exprimée par l’enchevêtrement immobile des tôles, le cri des victimes est devenu silence de la mort.

La charge émotionnelle qui explose dans le tableau de Munch tient à ce qu’il nous donne à « entendre » un cri silencieux : tout comme le cri est l’au-delà de la parole, le silence est l’au-delà du cri.

En effet, le cri est habituellement considéré comme l’en deçà de la parole : là où l’animal crie, l’homme parle. Mais là où la parole est impuissante, devant l’indicible horreur, le cri revient comme le seul exutoire. Mais poussez encore plus loin l’horreur, quand le cri lui-même devient impuissant à l’exprimer, il ne reste plus que le silence, ou plutôt un cri silencieux, celui qui ne peut même plus sortir d’un gosier étranglé par le spasme de la terreur.

Autrement dit : si l’on n’entend pas le cri du personnage peint par Munch, ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un tableau ; c’est parce qu’il n’y a rien à entendre.

Saturday, May 24, 2008

Citation du 25 mai 2008

C'est aujourd'hui dimanche, / Tiens ma jolie maman / Voici des roses blanches, / Toi qui les aime tant.

Les Roses blanches - Pothier – Raiter - Chantée par Berthe Sylva 1927

J’ai une triste nouvelle à vous apprendre : la pauvre Lucienne – vous vous rappelez : celle qui fut séduite et abandonnée par son amant de Saint-Jean - la voilà morte ! Son enfant – le petit que lui a fait l’odieux séducteur avant de disparaître – a volé des fleurs sur le marché pour lui apporter les roses qu’elle aime tant : et voilà qu’elle est morte (de tuberculose je crois)…

– La fête des mères… Vous avez pensé à acheter des fleurs à votre maman ? Des roses blanches ? Faites le vite avant que de devenir orphelin.

Dans l’émotion qui entoure la célébration de la Fête des mères, stimulée par tous les marchands de quelque chose censé être aimé des femmes-mamans, n’y aurait-il pas quelque chose de « lacrymal »? Quelque chose du genre : « Célébrons notre maman, parce que les mamans ça ne dure pas toute la vie ! »

J’exagère ? Oui, mais pas tant que ça. Car ce n’est pas n’importe quoi qu’on célèbre en célébrant les mamans. Et s’il doit y avoir de l’émotion, c’est parce que c’est toujours le petit enfant qui fête la maman nourricière – même s’il est devenu un ado et que la maman est plus proche de la Granny que de la jeune fille.

Au fond ce que je crois, c’est qu’il y a toujours une part de nostalgie (1) dans les rapports qu’on a avec sa mère, même quand elle est bien vivante, ce que je vous souhaite. La maman, c’est un peu le paradis perdu de la petite enfance, celui qui nous rappelle la douceur de ses caresses, et que le temps a emporté avec lui, même quand on n’a rien fait pour mériter de le perdre.

S’il y a en nous le regret de l’enfance passée, il est sûr qu’il y a aussi celui de la maman sans la quelle cette enfance n’aurait pu être.

Alors que cette maman ait été remplacée dans la réalité par une Mamie ou une Nannie, ou qui vous voudrez, qu’importe.

D’ailleurs vous avez parfaitement le droit de réenregistrer la chanson : «Tiens ma jolie Mamie / Voici des roses blanches… »

(1) J’ai bien dit « une part » ce qui signifie qu’il n’y a pas que ça – certes.

Friday, May 23, 2008

Citation du 24 mai 2008

La France est un pays qui adore changer de gouvernement à condition que ce soit toujours le même.

Honoré de Balzac

Balzac écrivit cette phrase dans une période où se succédèrent les monarchies constitutionnelles, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, et plus tard l’Empire qu’il ne connût pas….

Il connut les révolutions, celle de Juillet 1830, celle de 1848, et plus tard le coup d’Etat du 2 décembre 1852, qu’il ne connut pas…

Bref, plus ça change et moins ça change ; et en plus on a besoin de ça.

Qu’est-ce qu fait que le parti au pouvoir soit régulièrement battu à l’élection suivante ? Qu’est-ce qui fait que l’on croit toujours que les promesses électorales seront réalisées ? Pourquoi, quand il n’y a que deux partis susceptibles d’exercer le pouvoir, les démocraties fonctionnent par un mouvement de balancier, allant de l’un à l’autre, alors même que les nouveaux élus reproduisent ce que les anciens ont déjà produit ? Voyez aux Etats-Unis, le prestige d’Obama : c’est qu’il est crédible lorsqu’il dit qu’avec lui, ça va changer.

- Oui, mais si ça changeait vraiment ?

L’idée forte de Balzac, c’est qu’on change de gouvernement à condition que ce soit toujours le même. Que les hommes politiques fassent finalement toujours la même politique, ce ne serait pas une conséquence de leur incompétence, mais bien la réalisation des aspirations secrètes du peuple. On pourrait même dire que celui qui voudrait tout changer, celui qui dirait « Vous m’avez élu pour que ça change, et ça va changer » se tromperait lourdement.

- Maintenant, peut-on dire que Balzac a raison ? L’alternance démocratique ne serait-elle finalement qu’un leurre, quelque chose qui aurait pour fonction simplement de rendre supportable le pouvoir ? Le déficit de gouvernance ne serait-il pas la faute la plus grave qu’on aurait à reprocher au chef d’Etat ?

Moi, je crois savoir ce que, dans le secret de leur cœur, les électeurs veulent vraiment : « Que rien ne change, mais que tout aille mieux. »

Fastoche….

Thursday, May 22, 2008

Citation du 23 mai 2008

Ce n'est pas la mort qui nous prend ceux que nous aimons ; elle nous les garde au contraire et les fixe dans leur jeunesse adorable …; c'est la vie qui dissout l'amour.

François Mauriac – Le désert de l'amour

Il est vrai que Mauriac parle ici plus particulièrement de l’amour, mais pour une fois il me semble que le couple amour/mort est moins pertinent que celui de jeunesse/mort :

– Vous voulez rester jeune ? Mourez jeune.

Il y a des paradoxes qui se dissipent en même temps qu’ils nous apparaissent : celui-ci en est un. Reste à comprendre ce qui se passe.

Pour dire les choses d’une façon un peu abrupte, il faudrait affirmer que l’éternité est celle du souvenir, et que rien d’autre de ce qui est humain n’est éternel. Nous serons à jamais – si toute fois nous accédons à cette forme d’éternité – cette image que les autres auront fixée de nous, et qu’ils transmettront aux autres générations. Si cette image est celle d’un jeune être qui n’a pas eu le temps de vieillir, alors c’est elle qui sera « à tout jamais » notre image.

Deux observations :

1 – D’abord on a un peu ici l’idée du péché mortel, celui qui scelle notre destin post-mortem dès lors que nous mourons juste après l’avoir commis et avant de nous en être repentis. Nous resterons pour l’éternité définis cette faute qui nous a damné.

2 – Ensuite, on comprend vite que le souvenir que nous laisserons derrière nous n’a guère de chance de survivre à nos enfants, au mieux à nos petits enfants. Vous avez le souvenir de votre arrière grand-mère, vous ?

Conséquence : si vous voulez être immortel, laissez des œuvres qui vous incarnent : Homère avec l’Iliade, Michel Ange avec la Sixtine, etc…

Oui, mais alors, la jeunesse ? Ce n’est pas mon œuvre que je veux immortelle, c’est MOI, moi JEUNE !

C’est très simple : créez une œuvre géniale très jeune et puis disparaissez à 20 ans, comme Evariste Gallois.

Vous avez passé l’âge ? Pas grave : attendez votre prochaine réincarnation.

Wednesday, May 21, 2008

Citation du 22 mai 2008

Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on est heureux qu’avant d’être heureux.
Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse,
La paix fait partie de la béatitude non dans son essence, mais comme un antécédent et une conséquence. (...) Elle est conséquente parce qu'ayant obtenu la fin ultime, l'homme reste apaisé dans le repos de son désir
Thomas d'Aquin – Somme théologique
Voilà : le philosophe est habitué à ces débats entre des auteurs pardessus les siècles, mais pour tout un chacun, ce genre de rencontre est habituellement assez stérile.
Pourtant on a ici la preuve que, sur des questions éternelles comme le bonheur, on arrive à découvrir des positions assez instructives.
Au fond, ce qui frappe ici c’est que Rousseau fait ressortir par son absence l’importance de la béatitude. L’homme heureux de Rousseau est celui qui jouit en imagination ; c’est dans le fantasme que se trouve le bonheur, et c’est bien ce que savent les publicitaires qui, comme Séguéla, se vantent de vendre du rêve : que voudriez-vous acheter d’autre ?
Dans la béatitude par contre, comme le dit encore Thomas d’Aquin la volonté se repose dans la fin dont elle jouit.
Je vous sens intrigué : la béatitude ça existe vraiment ? Vous pourriez donner un exemple ?
Un exemple ? Écoutez un aria de Mozart ou admirez un but de Pauleta (1) : la béatitude à la quelle vous parvenez se concrétise dans le fait que vous pourriez regarder ou écouter en boucle sans que jamais votre plaisir diminue. Analysez maintenant ce qui se passe : êtes-vous dans le désir ? Non puisque ce que vous n’avez, le temps de cette jouissance, rien à désirer de plus - sinon que ça dure indéfiniment ; et justement ça peut durer indéfiniment, sans que jamais la lassitude ne s’installe.
Maintenant si vous n’êtes jamais encore parvenu à cet état de béatitude, ne vous découragez pas : ordinairement on considère qu’elle est le privilège des sages… ou des saints !
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(1) Si vous avez le cœur solide regardez ça : il y en a 6 !

Tuesday, May 20, 2008

Citation du 21 mai 2008

Il vaut mieux des droits sur les denrées que des impositions. Un cordonnier à qui vous demanderez deux écus disputera tant qu'il pourra; et, si vous lui faites payer 25 livres de droits pour un muid de vin, il les payera sans s'en apercevoir, et gaiement.

Montesquieu - Mes Pensées

Montesquieu a l’art d’enfoncer des portes ouvertes : chacun sait aujourd'hui que l’impôt est impopulaire parce qu’on sort de l’argent de sa poche pour le donner à l’Etat, mais que la TVA nous indiffère parce qu’on ne sait jamais combien on donne à chaque achat.

L’impôt fait souffrir, et c’est pour ça que Montesquieu lui préfère les taxes. Certains aujourd’hui proposent le prélèvement de l’impôt à la source pour éviter justement ces contestations, d’autres le refusent justement pour les rendre possible.

Ajoutons que Montesquieu ne parle pas de l’impôt progressif sur les revenus, qui eux ne peuvent pas être calculés comme des taxes sur le coût d’un produit, mais sur un certain état de la fortune. Il n’en parle pas parce que ça n’existe pas à son époque, ou du moins que les tentatives faites pour l’instituer se sont soldées par un échec : une société de privilégiés est une société où les plus riches – ou les plus puissants – sont précisément exemptés de l’impôt.

Aujourd’hui le débat entre plus de taxes ou plus d’impôt est un débat centré sur la justice fiscale et sur la solidarité entre les citoyens.

Heureusement que 2 siècles de démocratie et de républicanisme se sont écoulés…

Quoique… Vous avez suivi le débat sur la suppression des niches fiscales ? Vous avez vu par quoi ça s’est soldé ?

Monday, May 19, 2008

Citation du 20 mai 2008

J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
Stendhal
- Alors Kévin, qu’est-ce que tu fais-là, à la terrasse du Flore au lieu de réviser ton bac ?
- Ouahou ! Mate un peu la meuf… Comment qu’elle est belle… On dirait un Top Model.
- Attention Kévin, tu es trop jeune encore pour le savoir, mais contempler la beauté n’est pas sans risques. Tu connais Stendhal ?
- Qui ça ? Sandale ? Connais pas.
- Stendhal a découvert que la beauté pouvait provoquer un désordre psychosomatique qu’on a depuis appelé syndrome de Stendhal : tiens écoute ce qu’en dit le dictionnaire :
« Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge de chefs-d'œuvre artistiques. Cette perturbation est assez rare et touche principalement des personnes trop sensibles. Ce syndrome fait partie de ce qu'on peut appeler les troubles du voyage ou syndromes du voyageur. »
- Qu’est-ce que tu viens me casser les pieds avec ton syndrome de Stendhal ? Mater une meuf, ça fait de l’effet, oui, mais c’est pas ton Stendhal qui va me l’apprendre.
- Mais Kévin, Stendhal parle de la beauté suffocante des œuvres artistiques, celles qu’on trouve dans les Eglises ou les musées, et pas spécialement à la terrasse du Flore.
Il faut que tu le saches, Kévin, la beauté n’est pas exclusivement ce qui te met en heureuse disposition sexuelle.
- La beauté, c’est une belle fille voilà tout. Et tu sais qui c’est qui a dit ça ? Hein ? C’est mon prof de philo. Même qu’il a dit qu’il avait trouvé ça chez Platon dans son bouquin sur un type nommé Hippias. (1).
Alors là ton Stendhal, il peut toujours nous parler de ses Musées et de son syndrome, Son syndrome c’est qu’il a vu une meuf et qu’il a envie de lui mettre un bon coup de …
-…Tais-toi Kévin !
(1) Platon Hippias majeur - 287e

Sunday, May 18, 2008

Citation du 19 mai 2008

Nous avons eu Dieu, la raison, la nation, le progrès, le prolétariat. Il fallait aux sauveteurs un radeau de sauvetage. Voilà donc, pour les aventuriers de l'Arche Perdue, les droits de l'homme comme progressisme de substitution.

Régis Debray - Que vive la République

Tiens ? Voilà les aventuriers de l’Arche perdue de retour ? C’est l’effet Festival de Cannes sans doute…

Les droits de l'homme progressisme de substitution. Que ceux qui se frottent les yeux en se demandant s’ils ont bien lu ne s’étonnent plus et qu’ils sachent (ou qu’ils se rappellent) qu’en Mai-68, les droits de l’homme et la démocratie avaient très mauvaise presse :

- que la dictature du prolétariat, était évidemment revendiquée comme un progrès,

- que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen était impitoyablement dénoncée comme idéologie bourgeoise.

Bon. Mais c’est vrai que Régis Debray met justement le prolétariat sur le même rang que Dieu ou les Droits de l’homme et que – surtout – son ouvrage date de 1989.

Ce qu’il réclame, c’est le renouveau de l’esprit républicain. Puisqu’un peuple n’existe que par l’unanimité d’un projet, et que cette unanimité ne peut naître que du débat, alors les principes des Droits de l’Homme sont totalement insuffisants. Pour Régis Debray on ne va pas réunir politiquement le peuple autour d’un idéal pareil, les Droit de l’homme ne seront pas une Nouvelle Alliance (et revoici l’Arche perdue !).

Alors, depuis 20 ans qu’avons-nous inventé pour progresser vers la République ? En quoi sommes nous un peuple plus républicains aujourd’hui ? Debray critiquait à l’époque les médias (c’est sa période médiologiste), comme ce qui asphyxie le débat. Bien : nous avons trouvé la démocratie participative.

Alors ça fait un peuple, la démocratie participative ?

Nous autres philosophes, quand nous entendons le mot « participation » nous pensons « Platon ». A quoi participons nous par cette forme de démocratie ? A quelle Idée, à quelle Essence commune parvenons-nous ?

Je n’ironiserai pas sur le niveau des revendications qui se font jour dans de tels cas. Mais je soulignerai que la démocratie participative n'a trouvé rien d'autre pour faire un projet politique que la compassion. C'est donc, comme nous le disions le 2 mars, c’est le pleurer-ensemble qui sera le socle de notre peuple.

Même Rousseau - qui pleure beaucoup - n’avait pas pensé à ça !

Citation du 18 mai 2008

L'association de ces deux mots, « organe » et « pensée », pose un problème philosophique fondamental. La pensée peut exister sans cerveau dans le quatrième monde, celui de la planète des signes, de l'écriture ou d'Internet. Quand un individu n'est pas là pour penser, sa pensée existe quand même, en dehors de lui.

Boris Cyrulnik - L'Ensorcellement du monde

A votre avis, la question « le cerveau pense-t-il ? », est-elle un sujet de bac ou une question d’oral pour l’agrég de philo ?

Laissons cela de côté, et tenons l’essentiel. Pour Cyrulnik la pensée sans cerveau existe, elle est dans les signes. Disons, pour faire simple : la pensée de Descartes existe même depuis que Descartes n’est plus là pour penser, puisque nous avons ses livres.

Voilà une bien grosse banalité… Pourtant on y échappe en comprenant que Cyrulnik affirme que la pensée n’a pas besoin du cerveau du lecteur, et donc que dans un livre fermé il y a de la pensée.

Voilà la question : la pensée de Descartes existe-t-elle si je ne suis pas là pour la penser ? Suis-je un réceptacle voire - même un médium ? - ou bien au contraire ne serais-je pas plutôt celui qui crée – ou qui recrée – cette pensée ?

Certains diront : vous êtes un récepteur, qui doit pour fonctionner posséder les bons organes. Si vous n’avez aucune connaissance du contexte de l’œuvre, alors cette pensée va vous échapper. Mais si vous avez les bons instruments, alors vous la recevrez 5/5. Ça veut dire que vous ne produisez pas cette pensée, mais seulement qu’il y a des conditions pour la recevoir. Elle existe donc en dehors de vous, même dans le livre fermé posé sur votre table

Voilà qui est diablement séduisant : alors la pensée vraie de Descartes nous est accessible ? Nous ne pourrions qu’être tous d’accord sur son interprétation, non seulement entre nous, mais encore avec les spécialistes des siècles passés ? Et même, qui donc aurait la prétention de commenter Descartes, puisqu’à science égale nous comprenons tous la même chose ?

En réalité, je crois que la lecture, plutôt qu’un dévoilement, est interprétation : comme disait Foucault il faut lire non seulement entre les lignes, mais aussi entre les mots. Le monde des signes dont parle Cyrulnik n’enregistre qu’une partie de la pensée, et cette partie ne fait qu’inciter notre « cerveau » à recherche le reste.

Pas de pensée sans cerveau : oui ; mais aussi : pas de pensée sans un engagement personnel de sa propre pensée dans un processus de réflexion et de recherche.

Friday, May 16, 2008

Citation du 17 mai 2008

Comme venant et nous en allant, nous touchons à la bête ! Il semble que l'âme ne préexiste pas et que c'est une acquisition des années.

Edmond et Jules de Goncourt - Journal - 31 octobre 1860

Qu’on ne s’y trompe pas : l’enfant est le seul être devant qui les Goncourt se pâment d’émotion et d’admiration. L’enfant, et non le nourrisson, comparé un petit cochon de lait (voir l’extrait du texte en annexe).

Qu’est-ce que l’âme ? C’est avec cette question que nous avions ouvert le Post du 28 avril 2008. Mais on ne fait pas si vite le tour d’une telle question.

L’originalité de cette citation, c’est que reprenant l’idée de Rousseau sur la perfectibilité humaine, les Goncourt observent que si l’âme est une création de la vie – il faudrait dire : de l’existence – alors elle peut être un peu plus courte qu’elle. Si elle ne commence pas avec la vie, elle peut aussi finir avant elle : nous en allant, nous touchons à la bête.

Voyez nos préjugés : il ne nous semble pas scandaleux de considérer que l’enfant qui vient de naître n’est pas tout à fait pourvu d’une âme – esprit ou conscience ; bref, qu’il n’existera vraiment comme être humain qu’un peu plus tard (1) - même si par précaution on dira que « le bébé est une personne ». Par contre qui donc dira que Mamie Alzheimer n’est plus un être humain, du moins qu’elle n’a plus d’âme ? Essayez simplement de dire cette phrase à haute voix, même sans personne pour vous entendre : n’allez-vous pas frissonner comme pris dans un mauvais courant d’air ?

(1) « L’enfant est un candidat à l’humanité » disait le psychologue Piéron.

***********************
Voici l’extrait
: J'ai vu deux enfants de quelques jours aujourd'hui. Ce sont vraiment des ébauches de créatures, que la mère devrait un peu plus longtemps nourrir dans son ventre. La guenille n'est pas assez formée, quand elle vient. C'est une pâte humaine, encore trop écrasée par la matrice et qui respire par tout le corps. Cela frémit et tressaute comme un petit cochon de lait. Comme venant et nous en allant, nous touchons à la bête ! Il semble que l'âme ne préexiste pas et que c'est une acquisition des années.

Thursday, May 15, 2008

Citation du 16 mai 2008

L'âge est une donnée biologique socialement manipulable et manipulée.

Pierre Bourdieu

Dire qu’il faut qu’on relance le débat sur l’âge du départ en retraite pour qu’on en vienne à réfléchir sur la signification de l’âge…

Bourdieu, lui, n’a pas eu besoin de ça : distinguons dit-il, entre l’âge biologique et l’âge social. Aucun de ces deux paramètre n’est absolu : on n’a aujourd’hui plus 50 ans comme à l’époque de Descartes - à cet âge il était persuadé qu’il n’aurait plus le temps de créer une œuvre vraiment vaste, et d’ailleurs il mourut effectivement à 54 ans.

On voit également que l’âge social est en complet décalage par rapport à ce qu’il était il y a deux siècles.

- Du côté des jeunes : L’autonomie des jeunes est de plus en plus retardée sur le plan économique, alors qu’elle reste identique sur le plan biologique. Kant pointait là une des sources de crises dans les sociétés, où la maturité sociale était en retard sur la maturité biologique : on dit également que l’adolescence est une « invention » des sociétés moderne. (On sait qu’aujourd’hui l’une des données du problème de la durée de cotisation pour la retraite c’est qu'on commence à travailler de plus en plus tard.)

- Du côte des vieux : reprenons le cas de l’âge de la retraite. On joue sur le décalage qui se serait creusé entre âge biologique et âge social. Comme on n’est plus vieux biologiquement au même âge qu’avant, il faut réaligner le temps social sur le temps biologique. On ne peut manipuler l’âge biologique ; en revanche on ne se prive pas de manipuler l’âge social.

--> Ça veut dire qu’on doit admettre qu’on va rester jeune plus longtemps, et donc travailler plus tard.

Reste que les actifs ne l’entendent pas de cette oreille. Ils voient la retraite comme une période où chacun peut jouir de la vie de rentier qui autrefois était réservé à une petite élite sociale. D’où l’idée que vivre sans travailler est à la fois possible et désirable.

Pour ceux qui disent qu’il faut travailler toujours plus, on voit bien que les retraités sont un exemple déplorable.

On sait bien que ce n’est pas là dessus qu’on attaque l’âge de la retraite – pas encore.

Wednesday, May 14, 2008

Citation du 15 mai 2008

Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! / Suspendez votre cours.

Lamartine – Le lac

On connaît l’ironie d’Alain : « Et combien de temps, temps va-t-il suspendre son vol ? ».

Oui, bien sûr : il y a toujours quelque part une horloge qui continue d’égrener les instants qui défilent. Ne serait-ce que les battements de notre cœur.

Mais si l’on admet la liberté que se donne le poète de limiter le temps à l’intuition que nous en avons, alors il est possible d’arrêter le temps. Il suffit de ne rien faire.

J’évoquais le 19 mars la phrase de Paul Claudel : « Si nous faisons du bruit le temps va recommencer ». Lumineux : décidément, il n’y a que les poètes qui sachent parler clairement du temps. Car le temps, ce n’est pas autre chose que la succession des évènements, et les évènements c’est la succession de nos actions.

Je dis « la succession de nos actions » et non « la succession des phénomènes », pour écarter la conception astronomique du temps, celui qui est décompté par le mouvement indéfiniment répété du soleil et des planètes (ce temps que Platon décrivait comme « l’image mobile de l’éternité »). Autrement dit, à coté de la licence poétique, voici la "licence" philosophique.

Alors quid du temps éternel (ou plutôt sempiternel) ? Est-il à notre portée ? Pouvons nous suspendre le vol du temps ? Suffit-il de ne rien faire ?

D’ailleurs, pouvons-nous ne rien faire ? Voilà la question que bien des gens se posent, et d’éminents philosophes avec eux. On sait que Descartes, pour des raisons dans les quelles je ne rentrerai pas aujourd’hui, disait que l’âme pense toujours. Si l’âme pense toujours, alors elle est toujours en action, et nous avec.

En réalité, la seule expérience de la suspension du temps que nous ayons est le sommeil profond et sans rêves : le sommeil sous penthotal.

Pas de quoi exciter l’envie.


Tuesday, May 13, 2008

Citation du 14 mai 2008

[Le Grand Inquisiteur à Jésus] : Pourquoi es-tu venu nous déranger ? Car tu nous déranges, tu le sais bien. …. demain je te condamnerai et tu seras brûlé comme le pire des hérétiques
Dostoïevski - Les Frères Karamazov (Livre V)
Quand il reviendra, il nous pardonnera / Comme il l'avait fait pour Judas.
Jésus reviens, Jé-ésus reviens, / Jésus reviens parmi les tiens
Paroles de Florence Quentin - Étienne Chatiliez / Gérard Kawczynski – du film : La vie est un long fleuve tranquille.
Il y a 3 jours, le baiser de Judas ; aujourd’hui le retour de Jésus…Avec Jésus il ne faudrait pas commencer, sinon on ne sait pas où ça va mener…
Jésus, quelle icône ! Oui, mais icône de quoi au juste ?
Pour le savoir, et puisqu’il a promis de revenir, nous avons cherché comment son retour serait perçu de nos jours.
1 – Jésus-amour fleur bleue au patronage de Sainte-Mère de Neuilly, etc…
(Inutile de commenter cette petite vidéo je crois que tout le monde la connaît ?)
2 – Le poème du Grand Inquisiteur de Dostoïevski (voir texte).
Même si vous n’avez pas lu les frères Karamazov (= c’est mal), vous devez connaître le « Poème de Grand Inquisiteur » qui se trouve au livre 5.
Pour aller vite, disons que le Grand Inquisiteur qui règne par le fanatisme des foules en faisant brûler les hérétiques va faire brûler Jésus qui revient parce qu’il est porteur de troubles populaires, et parce qu’il n’a pas su enfanter la religion qui soulève les foules. Bref, si Jésus revenait, avec son message christique véritable, il serait jeté en prison, comme il y a 2000 ans, et mis sur le bûcher par les pontifes romains, ceux-là mêmes qui se réclament de Lui. (1).
Maintenant, choisissez l’histoire qui vous va le mieux.
(1) Pour les feignants qui ne liront pas jusqu’à la fin, voici la chute de cette histoire : « Le Prisonnier s’approche en silence du nonagénaire et baise ses lèvres exsangues. C’est toute la réponse. Le vieillard tressaille, ses lèvres remuent ; il va à la porte, l’ouvre et dit « Va-t’en et ne reviens plus… plus jamais ! » Et il le laisse aller dans les ténèbres de la ville. Le Prisonnier s’en va

Monday, May 12, 2008

Citation du 13 mai 2008

Livres dangereux. - Quelqu'un dit : "Je le remarque sur moi-même : ce livre est dangereux." Mais qu'il attende un peu, et il s'avouera certainement un jour que ce livre lui a rendu un grand service, en mettant au jour la maladie cachée de son coeur, la rendant ainsi visible.

Friedrich Nietzsche - Humain, trop humain.

Est-il dangereux de lire ? Je sais que poser cette question aujourd’hui prête à sourire : qui donc lit, ou du moins lit suffisamment pour courir le moindre danger ? Quelle jeune fille croit au prince charmant roulant en Ferrari parce qu’elle en a lu l’histoire dans la collection Harlequin ? Quel Don Quichotte partirait en croisade pour défendre la veuve et l’orphelin comme dans les romans ?

Simone de Beauvoir posait la question Faut-il brûler Sade ?, question qui a été fort mal perçue sans doute parce qu’on a voulu y voir un moralisme étroit et – disons-le – bourgeois. Mais c’est parce qu’on n’a pas lu Sade qu’on a pensé cela.

Le danger de la lecture, et celle des livres de Sade est effectivement exemplaire à cet égard, est de déstabiliser le lecteur en lui faisant prendre conscience des abîmes que recèle son inconscient. Je m’explique : que Sade fasse horreur, qu’en le lisant le cœur se soulève et qu’on rejette le livre avec dégoût, c’est banal. Ce qui l’est moins c’est de découvrir pourquoi, et c’est ici qu’il faut retourner à la citation de Nietzsche.

Bien sûr c’est horrible de penser que certains peuvent prendre du plaisir à faire souffrir des innocents, et même beaucoup de plaisir à l’imaginer. Mais si cette horreur était une horreur à l’encontre de nous-mêmes, nous, dont le tréfonds de l’âme sursaute de joie à cette évocation ? Et si la bête immonde réveillée par la lecture de Sade était en nous ?

Alors c’est là qu’il faudrait remercier Sade de nous avoir fait prendre conscience qu’une maladie est cachée de notre cœur.

Non, décidément il ne faut pas brûler Sade, même – et surtout – si l’on n’en sort pas indemne.

Sunday, May 11, 2008

Citation du 12 mai 2008

Sans les disciples aveugles, jamais encore l'influence d'un homme et de son oeuvre n'est devenue grande. Aider au triomphe d'une idée n'a souvent d'autre sens que : l'associer si fraternellement à la sottise que le poids de la seconde emporte aussi la victoire pour la première.

Nietzsche - Humain, trop humain.

- Le fanatisme est nécessaire au triomphe d’idée, parce que la sottise est le poids qui emporte la victoire. Qui donc va devenir disciple s’il n’est aveugle, ou du moins s’il n'a été aveuglé ? Mais surtout : qui donc peut devenir un maître à penser ou à croire s’il n’a le bénéfice de la sottise humaine ? Voilà le message de Nietzsche.

- Voilà une grosse pierre dans le jardin de nos politiques les plus populaires, dont on pensait déjà qu’elles avaient un comportement de stars…

Mais, inutile de tourner autour du pot : en lisant cette phrase de Nietzsche, c’est à Jésus que je pense. Et je crois qu’elle va choquer les croyants qui estiment que les apôtres les évangélistes et les martyrs, eux qui ont répandu la foi chrétienne, ont répandu la lumière et non les ténèbres.

Peut-être… Mais peut-on être un fidèle sans accepter de renoncer à la vérification des faits ? Peut-on avoir la foi sans oublier toute lucidité, au point d’être offusqué par la lumière de l’histoire ? Voyez comment les créationnistes rejettent en bloc les évidences de la zoologie et de la biologie ; voyez même comment ces super intellectuels que sont les théologiens se contorsionnent depuis Galilée pour faire une place aux vérités révélées à côté – ou : au dessus – des découvertes scientifiques. Bref : sottise consentie, mais sottise quand même.

Jésus a-t-il voulu un tel aveuglement ? Aurait-il dit comme Pascal : « Abêtissez-vous » ? (1)

L’originalité du christianisme, c’est que Jésus n’est pas sur terre pour fonder une nouvelle religion – Jésus n’est pas Mahomet – mais pour racheter les péchés des hommes. Ce sont les autres qui ont fondé une religion avec ça.

Autrement dit, ce n’est pas Jésus qui a eu des disciples aveugles ; c’est Paul.



(1) Extrait du fragment 397 (418 Lafuma) : ". - Ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guéris d'un mal dont vous voulez guérir ; suivez la manière par où ils ont commencé. C'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. - Mais c'est ce que je crains. - Et pour quoi ? qu'avez-vous à perdre ?"

Saturday, May 10, 2008

Citation du 11 mai 2008

Il parlait encore quand parut une foule de gens. Le nommé Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ?

Evangile : Luc, chapitre 22, versets 47-48 (1)

Le baiser de Judas.
(Selon les évangiles, Judas l'Iscariote, dernier des douze Apôtres, assurait le rôle de trésorier. Il aurait "vendu" Jésus pour 30 pièces d'argent aux grands prêtres de Jérusalem. Jésus se trouvait dans les jardins de Gethsémani. Judas le désigne aux gardes en l'embrassant (l'expression « baiser de Judas » désigne aujourd'hui un baiser de "traître").

Oui, mais comment quel sens donner à cette scène ? Et comment la représenter?

Judas est le personnage qui ne prend de sens que par rapport à Jésus. Il est soit de profil, soit de dos. C’est sa position par rapport à Jésus qui importe : la plupart des représentations le montrent abordant Jésus de côté, comme si sa traîtrise l’empêchait de regarder Jésus dans les yeux. Voyez cette image médiévale, et aussi la peinture de Cimabue


Mais il se peut que Judas regarde Jésus dans les yeux quand il l’approche pour l’embrasser

Fra Angelico nous dérobe l’essentiel : l’échange de regard entre Jésus et Judas.

Mais Giotto lui nous l’offre : et quel échange ! Non seulement Jésus domine de sa taille Judas, mais il le domine aussi de son regard. L’intensité du regard de Judas porte en elle la volonté de faire le mal. Celle de Jésus porte la lucidité qui affronte le mal.

Tel est le Jésus qu’embrasse Judas.

(1) Suite du texte : 49 Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : « Seigneur, faut-il frapper avec l’épée ? » 50 L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. 51 Jésus répondit : « Laissez donc faire ! » Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit.
52 Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, chefs des prêtres, officiers de la garde du Temple et anciens : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? 53 Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est maintenant votre heure, c’est la domination des ténèbres. »

Friday, May 09, 2008

Citation du 10 mai 2008

Le défi du jour : trouver une citation sur le printemps qui se soit pas trop cucul
Certains matins de printemps ont une fraîcheur de grenouille.
Francis Dannemark – Zoologie
Merci à Francis Dannemark (1) de m’avoir permis de relever ce défi.
Mais il ne suffit pas d’être surprenant ; il faut encore dire quelque chose de sensé.
Pour le vérifier examinons une grenouille (verte c’est plus printanier).
Voyez plutôt : cette belle couleur vert tendre, ce brillant émaillé, cet œil noir, pétillant de malice … Et toute cette eau rafraîchissante comme venue de la dernière ondée…
Oui, le printemps est frais. La fraîcheur est grenouille.
Donc le printemps est grenouille.
Je vous sens sceptique. Vous dites que le printemps est féminin, qu’une jeune fille s’éveillant après le sommeil de l’hiver vous semblerait mieux approprié ? Je vois bien que vous êtes mal informé.
Ecoutez donc cette histoire. Un jour de printemps une jolie petite grenouille sautillait dans le pré fleuri. Un beau jeune homme ému de la voir si verte et si fraîche la prit dans ses mains, et il embrassa son petit museau. Instantanément, elle se transforma en une belle jeune fille s’éveillant d’un long sommeil.
(Ci-contre : l'éveil du printemps de Aglane de Nivelles)..
Depuis ce temps on oublia la grenouille pour ne se rappeler le printemps que sous les traits de la belle jeune femme
Mais, que voulez-vous, on ne se refait pas. Je préfère la grenouille verte.
(1) Qui est ce Francis Dannemark ? Sur son site ont trouve ceci : « Francis Dannemark est né le 13 avril 1955, année de la Chèvre, à Macquenoise, sur la frontière franco-belge et sous le signe du Bélier. Il est poète et conseiller littéraire »



Thursday, May 08, 2008

Citation du 9 mai 2008

Dans le Un on trouve Dieu, et il faut que devienne Un celui qui doit trouver Dieu.

Maître Eckhart – De l'homme noble

Le salut passe par une expérience ontologique, qui peut être mystique, – si devenir Un signifie faire l’unité avec Dieu ; mais qui pourrait bien n’être que psychologique, s’il s’agit de faire un avec soi-même.

Moi qui ne suis pas mystique, je trouve que cette phrase trace quand même une jolie route vers un certain salut. Faire Un avec soi-même, même si ce n’est pas faire Un en même temps avec Dieu : ce n’est déjà pas si mal.

Mais comme faire l’unité ? Faut-il éliminer tout ce qui n’est pas désirable dans notre personne ? Faut-il hiérarchiser ? Faut-il amalgamer, ou intégrer ? Où trouver la bonne réponse ?

Voyez Freud : Lacan résume ainsi sa fameuse formule « Wo es war, soll ich verden » en disant : cette fin est de réintégration et d’accord, je dirai de réconciliation (versönnung) (1).

Oui, la psychanalyse – et pourquoi pas la psychologie en général, vous propose de vous réconcilier avec vous-même, d’accepter ce que vous êtes ou lieu de le combattre ou d’un tirer un sentiment de culpabilité. Bref : de ne plus faire qu’Un avec vous-mêmes.

Faire Un avec soi-même : mais si nous sommes pluriels, le quel devons-nous choisir ? Maître Eckhart répond : celui qui va vous hisser au plus haut niveau.

Et pour nous hisser au plus haut, ce n’est par épuration, élimination, tamisage de l’être qu’il faut procéder. C’est par harmonisation.

Le message de Freud s’éclaire de cette ouverture sur le mystique rhénan, non pas seulement par l’idée que l’unité est la seule dimension où nous puissions exister, et que le conflit avec nous-mêmes ruine notre existence. Il s’éclaire surtout par cette idée que c’est sur le divin que nous devons nous aligner, non pas pour être Dieu, mais pour trouver en lui le principe de l’unité qui surmonte les divisions (qu’on songe à la mystérieuse Trinité).

(1) Voici le texte : « La fin que propose à l'homme la découverte de Freud, a été définie par lui à l'apogée de sa pensée en des termes émouvants : Wo es war, soll ich werden. Là où fut ça, il me faut advenir.
Cette fin est de réintégration et d'accord, je dirai de réconciliation (Versönnung). » J. Lacan - Ecrits. (p. 523-524)

Wednesday, May 07, 2008

Citation du 8 mai 2008


Gouverner nuit gravement à la santé mentale.

Miss.Tic – Campagne électorale - Mai 2007

La presse s’est faite l’écho du 1er anniversaire de l’investiture de Nicolas Sarkozy, mais nulle part on n’a évoqué celui de la campagne présidentielle de Miss.Tic.

Or, voyez l’injustice : Miss.Tic a fait campagne alors qu’elle savait pertinemment quels désordres psychiques entraîne l’exercice du pouvoir. Inclinons-nous devant son abnégation, et réfléchissons sur son message : Gouverner nuit gravement à la santé mentale.

– 1ère observation : des esprits superficiels affirment que des dictateurs sanguinaires tels que Hitler étaient des fous. Oui, peut-être : mais alors disons qu’ils le sont devenus, et que l’homme élu par le peuple allemand était quand à lui normal – juste un peu exalté peut-être…

– 2ème observation : c’est une question. De quel ordre est cette pathologie mentale ? On évoque souvent la paranoïa, dont il faut rappeler que le délire de persécution n’est qu’une facette. Voyez ce qu’en dit Wikipédia (art. Paranoïa) :

a. la surestimation pathologique de soi-même ;
b. la méfiance extrême à l'égard des autres ;
c. la susceptibilité démesurée ;
d. la fausseté du jugement.

Si ça vous rappelle « quelqu’un » sachez que je vous laisse l’entière responsabilité de votre jugement. Et ce « quelqu’un », conformément à la thèse de Miss.Tic, vous devez l’admirer – ou à la rigueur le plaindre – pour avoir pris tous ces risques, alors qu’il était encore un tout jeune homme tout à fait comme vous et moi.

– 3ème observation : parents, surveillez vos enfants. Si, quand le voisin demande au petit dernier ce qu’il veut faire plus tard, celui-ci répond : « Moi, ze serai Président de la République », privez-le de télévision jusqu’à ce qu’il admette qu’être pompier c’est beaucoup mieux.

Remarque : certains enfants un peu pervers décident qu’ils deviendront maire de Neuilly. Ce n’est pas bon non plus.

Tuesday, May 06, 2008

Citation du 7 mai 2008

On ne parle de clonage qu'en termes biologiques. Or il a déjà été précédé par un clonage mental : le système de l'école permet de fabriquer des êtres qui deviennent une copie conforme les uns des autres.

Jean Baudrillard - Le Monde de l'éducation - Octobre 1999

Voyez avec quelle légèreté nous traitons nos obsessions : voilà qu’on a déjà oublié l’anxiété suscitée, il y a environ 10 ans, par le clonage (Dolly !!) …

Il y a deux types de clones : le clone biologique, qui se traduit par l’identification entre deux organismes – éventuellement d’âge différent.
Et puis il y a le clone « métaphorique », le clone « mental » qui correspond à une identité de pensée.

Les jumeaux nous donnent une idée du premier, à cette différence près que les clones pourraient être aussi nombreux qu’on le voudrait. On pourrait par exemple en avoir 3 :

Etonnant, non ? (1)

Mais ainsi que Baudrillard le rappelle, la ressemblance la plus importante vient du mental, et deux énarques pourraient être plus proches l’un de l’autre que deux frères jumeaux.
On peut se demander quel jugement porter là-dessus. D’abord, est-ce le rôle d’une école que de fabriquer des clones ? Si les élèves apprennent à devenir des instruments, oui. Si par contre ils doivent apprendre à s’en servir, non.

Ensuite on pourrait de demander s’il ne force par la note : de telles ressemblances ont-elles existé réellement ?

Alors, ce n’est sans doute pas à moi d’en juger, il y a des savants très savants pour ça, mais il me semble que les disciples de tous ordres confirment que dans une école de pensée, de telles identifications sont tout à fait avérées. On connaît l’étonnante servilité mentale des adeptes des sectes. Mais il faudrait aussi observer ce qui se passe dans les mouvements philosophiques, politiques, littéraires ou artistiques…

…voire même dans entreprises.

(1) Oui, vous l’avez bien reconnu, c’est Docteur-Philo, le brillant animateur éponyme de votre Blog préféré (après celui-ci). Le jeu consiste à reconnaître le vrai Docteur-Philo

Monday, May 05, 2008

Citation du 6 mai 2008

Fort heureusement, chaque réussite est l'échec d'autre chose.

Jacques Prévert Fatras

Dans la série Les citations qui vous prennent le chou, voici Prévert.

Parce que, admettre qu’il n’y a de réussite que contre quelque chose ou quelqu’un, que chaque succès soit l’aboutissement d’une marche au bord de l’abîme, que la réussite garantie soit une réussite sans joie et sans intérêt, déjà il faut le prouver.

Mais en plus dire que tout cela est fort heureux, voilà qui est plus difficile à montrer.

- D’abord, laissons de côté l’interprétation faiblarde qui consisterait à dire qu’on ne connaît quelque chose que par contraste avec son contraire : que le noir ne se perçoit que se détachant sur du blanc ; que la joie n’est possible que si elle vient sécher nos larmes de chagrin.

Non. Ce qu’il faut remarquer c’est que si le succès est quelque chose d’exceptionnel, ou du moins de pas banal, c’est parce que sa réalisation n’est pas donnée, que l’échec est aussi possible. Lorsque l’échec est devenu impossible, comme le joueur aguerri affrontant un débutant, le succès s’éclipse : A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, comme disait l’autre (1). Chaque réussite est donc l’échec d’autre chose, non pas qu’il faille forcément un opposant, mais au moins de forts aléas. L’enfant qui réussit ses premiers pas : voilà qu’on l’applaudit. Ensuite, qu’il marche, courre comme il veut, on ne le remarque pas.

Ajoutons que ce contraste n’est pas seulement celui d’un voisinage, que l’échec et le succès sont bord à bord, comme deux coureurs qui luttent pour arriver le premier. On dit souvent que l’échec est nécessaire pour connaître le prix du succès, que celui qui a tout sans jamais échouer est un être imparfait. Mais ce qu’on ne remarque pas assez, c’est que c’est en luttant contre l’échec, en faisant échec à l’échec, que le succès peut avoir cette dimension.

Le succès conquis de haute lutte, voilà ce qui a du prix.

Heureux ceux qui ont beaucoup échoué, le bonheur leur est garanti au premier succès.

(1) Corneille – Le Cid, acte II, scène 2

Sunday, May 04, 2008

Citation du 5 mai 2008

Défi du jour : faire l’éloge de la bêtise.
La bêtise est souvent l'ornement de la beauté ; c'est elle qui donne aux yeux cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales. La bêtise est toujours la conservation de la beauté ; elle éloigne les rides ; c'est un cosmétique divin qui préserve nos idoles des morsures que la pensée garde pour nous, vilains savants que nous sommes ! »
Charles Baudelaire - Maximes consolantes sur l'amour
On est souvent étonné de constater combien d’hommes, parmi les plus célèbres pour leur intelligence ou leur talent, ont aimé des femmes dont l’intelligence leur était visiblement très inférieures. On connaît le cas de Rousseau, vivant avec sa lingère - qu’il a même fini par épouser - et avouant qu’il n’avait pas même réussi à lui apprendre à lire l’heure.
Je prends le parti de dire que la bêtise existe vraiment, qu’elle n’est pas simplement un dispositif d’exclusion qui nous permet d’afficher notre mépris pour les autres (comme nous faisons avec les « cons »). Certains lui d’ailleurs ont consacré des chansons (1). Baudelaire lui, la définit avec rigueur.
La bêtise existe, elle est le vide, l’absence de pensée.
Néant de la pensée, elle est absence d’arrière plan : la beauté du corps n’est plus troublée par les expressions de la pensée qui viendraient comme une lame de fond perturber de l’intérieur cette belle surface. Car cette beauté est beauté plastique, celle qu’on voit à la surface des choses, le calme huileux des mers tropicales.
Mais elle est aussi absence de sentiments, du moins des sentiments stimulés perpétuellement par la réflexion. Dans la beauté dont parle Baudelaire, il y a quelque chose de débonnaire, de légumineux ; aucune expression ne vient modifier l’expression du beau visage – imperturbable comme celui de la statue. La beauté est marmoréenne, elle éloigne les rides ; c'est un cosmétique divin.
Ainsi, la bêtise est effectivement l'ornement de la beauté : certes elle ne la crée pas, mais elle la révèle dans sa pureté. Elle permet de réaliser cette dichotomie qui sépare le fond de la forme, isolant cette dernière pour nous la livrer pure, sans contamination d’un sens extérieur.
– Alors attention au glissement de sens : Baudelaire ne dit pas qu’elle est nécessaire à la beauté, qu’il n’y a de beautés que dans la bêtise, qu’il n’y a que les bimbos à être belles. Mais les belles femmes – et les beaux hommes – sont plus évidemment belles si elles sont « de ravissantes idiotes ».
La bêtise est alors un plus !




(1) Voir l’Air de la bêtise auquel nous avons consacré un post récemment.

Saturday, May 03, 2008

Citation du 4 mai 2008

La première qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré.

Marcel Pagnol

Dois-je l’avouer ? Je n’aime guère Pagnol, mais c’est un peu de sa faute.

La première qualité d'un héros, c'est d'être mort et enterré. Peut-on n’avoir rien compris à l’héroïsation au point d’écrire cela ?

Car la première qualité d’un héros, c’est bien sûr d’enflammer l’enthousiasme des vivants, de leur donner le courage de se hisser au niveau qui est – qui fut – le sien. Or voilà que Pagnol nous suggère que nul héros visible ne peut réaliser cet exploit, que seul son souvenir idéalisé par son tombeau peut encore nous stimuler.

Quelle petitesse d’imagination ! La vérité du héros, ce n’est pas qu’il soit mort, mais qu’il meure. Si son exemple doit nous exciter à le venger ou de l’imiter (1). La première qualité du héros, c’est d’être indéfiniment mourant, de mourir sous nos yeux encore et encore. Le héros c’est le soldat qui tombe dans une chute sans fin : une chute arrêtée.

Voilà pourquoi la photo de Robert Capa, cet instantané qui a servi pour l’affiche du film de Frédéric Rossif (Mourir à Madrid), montrant le soldat Républicain espagnol tombant sous les balles des franquistes est l’image type du héros. (2)

D’ailleurs ce n’est pas un hasard si cette image de la guerre d’Espagne vient à l’esprit quand on parle d’héroïsme : le film de Frédéric Rossif révèle l’incroyable ardeur des combattants républicains, leur férocité, leur volonté de détruire l’ennemi. Comme si le fait que cet ennemi soit le compatriote espagnol renforçait encore leur détermination.

On a dit que toute guerre est une guerre civile. Et si c’était parce que les guerres civiles étaient les plus féroces ?

Mais ça, c’est une autre histoire.

(1) Nous aurons le sublime orgueil / De les venger ou de les suivre. Air connu. Et ne me dites pas que ce n’est pas la célébration des héros dont il est question ici !

(2) Comme nous sommes dimanche, je vous offre en prime la chanson reprise dans le film, « Ay ! Carmela

»

Friday, May 02, 2008

Citation du 3 mai 2008

Défi du jour : trouver une citation non crétine à propos des femmes.

On dit communément : "La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a" ; ce qui est très faux : elle donne précisément ce qu'on croit recevoir, puisqu'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix de ce qu'on reçoit.

Chamfort - Maximes et Pensées

Dès que l’on trouve une pensée sur les femmes – et c’est toujours celle d’un homme et bien sûr d’une homme d’esprit – c’est une débauche de vanité et de suffisance ridicule.
Le défi du jour est donc de trouver une pensée sur les femmes qui ne contraigne pas à parler des femmes – du moins : des femmes telles qu'elles sont vues par les hommes.

Parlons donc des humains et des choses.

Qu’il s’agisse des humains ou des choses, c’est toujours le désir éprouvé pour eux qui est la source de leur valeur, et non une quelconque réalité intrinsèque : ainsi, Voltaire disant que même la crapaude est belle pour son crapaud (voir Post du 14 février 2006).

Entre nous et le monde, s’intercale l’espace du fantasme, ou plutôt, le réel n’existe qu’investit du fantasme, il n’a de sens pour nous que comme son support. Ainsi Flaubert disant (aux Goncourt) qu’il n’a jamais « baisé » une femme, que toutes les femmes avec qui il a fait l’amour n’étaient qu’un matelas le séparant de la femme véritable…
« La plus belle femme du monde », c’est donc celle qui est « sous le matelas ».

Vous êtes allé y voir ?

Thursday, May 01, 2008

Citation du 2 mai 2008

La valeur ou l'importance d'un homme, c'est comme pour tout autre objet, son prix, c'est-à-dire ce qu'on donnerait pour disposer de son pouvoir.
Thomas Hobbes - Léviathan (1651)
Or, vous avez bien lu : 1651. C’est en plein milieu du 17ème siècle que Hobbes définit ainsi la valeur d’un homme, en termes d’argent. La valeur d’un homme est devenue une valeur d’échange. Etonnez-vous après cela que l’Angleterre soit devenue la première puissance économique et industrielle dès le XVIIIème siècle.
Hobbes ne définit pas ici une valeur de l’homme, mais la valeur. Le terme est pris absolument, et donc si l’on veut parler de son courage ou de son intelligence ou de sa puissance de travail ou de la sympathie qu’il inspire - voire même de sa sainteté – sachons que ces valeurs sont convertibles en terme de prix.
Bien sûr le prix n’est pas toujours de l’argent ; on peut imaginer un système d’échange : une heure de prof de fac contre 4 heures de plombier (encore que ce raisonnement ne s’applique pas pour les autres déterminants de la valeur tels que le courage, l’intelligence etc.). Mais en tout état de cause la valeur d’un homme est une valeur d’échange, et non une valeur morale. De là à imaginer que la morale elle-même ne soit rien d’autre que ce qui obéit à la règle de l’avantage, et que ce sont les valeurs des boutiquiers qui en déterminent le contenu, il n’y a qu’un pas.
Alors en cette période de commémoration de mai-68 (1), on nous repasse les discours du candidat-président s’enthousiasmant dans la critique de l’esprit-68, dénonçant ce refus des valeurs, de l’autorité, de la morale, etc.
Beaucoup s’indignent aujourd’hui de cette prétention à donner des leçons de morale venant de la part d’un homme si peu exemplaire dans sa vie privée. Mais cette réponse est aussi petite que l’attaque. Je dirais plutôt : d’accord, nous n’avons pas respectée les valeurs. Mais étaient-elles respectables ? Si ces valeurs sont celles de l’argent – et quelles autres valeurs avez-vous à nous proposer ? – alors, permettez-nous de les mépriser encore un petit peu.
(1) Commémoration dont les soixante-huitards sont bien amusés ; ils ne trouvent pas dans l’esprit qui courait dans les rues de l’époque quelque chose qui cherchait à s’ériger en exemple et à se célébrer – au point qu’il faudra bientôt créer une journée spéciale de commémoration…