Saturday, September 30, 2017

Citation du 1er octobre 2017

Le danger dans le passé était que les hommes deviennent des esclaves. Le danger dans le futur est qu'ils deviennent des robots.
Erich Fromm (psychanalyste américain 1900-1980)
« Une machine dicte aux préparateurs de commandes l'allée où il doit se rendre pour prendre la marchandise, puis le nombre de colis qu'il a à porter. Ce dernier répond «ok» lorsqu'il a fini de charger. Les salariés naviguent ainsi sept heures par jour dans l'entrepôt et ne peuvent prononcer que 47 mots, ceux compris par la machine. A la pause, des employés racontent être obsédés par cette voix métallique et disent avoir l'impression de devenir des robots. »
à propos de Lidl
du 27 septembre 2017 sur France 2

Oui, le risque autrefois imaginé de voir les robots supplanter les hommes en faisant les mêmes choses qu’eux – mais en mieux – est resté lettre morte. Non pas que l’intelligence artificielle soit restée dans les cartons, mais bien parce qu’on doit observer que ce n’est pas elle qui représente actuellement le plus grand danger pour les hommes. Ce qui nous fait trembler à présent, c’est que les hommes au travail deviennent des machines parce qu’ils sont contraints de travailler comme des machines. On connaissait depuis longtemps les cadences infernales infligées aux ouvriers par les machines-outils dont ils devaient alimenter l’insatiable appétit. Aujourd’hui, chez Lidl ces mêmes machines ne prennent pas la place des ouvriers ; par contre elles prennent la place du contremaitre.
Ce qui glace le sang à la lecture de ce reportage, ce n’est pas seulement que l’opérateur en soit réduit à recevoir les ordres de la machine, mais qu’il soit contraint de ne parler qu’à elle seule – car on le suppose, pas de temps pour échanger quelques mots, quelques vannes avec les collègues. Chacun a son écouteur enfoncé dans le conduit auditif, un micro à proximité des lèvres et son corps n’est plus que le véhicule de ses bras et de ses jambes pour exécuter la tâche demandée (1). On ne peut obéir à une machine qu’en devenant à son tour une machine et quand bien même elle aurait un vocabulaire un peu plus développé, sa logique serait toujours la même.
C’est ici qu’on peut corriger le sentiment primitivement ressenti : car ce n’est pas tant des robots qu’il faut avoir peur ; c’est de la logique de l’entreprise, celle qui n’a certes pas attendu la robotique pour sévir, qui a reconnu dans l’esclavage une forme idéale, qu’elle n’a de cesse d’imiter aujourd’hui.
Oui, c’est toujours la même logique : – Tu n’es là que pour faire ton travail, et tout le reste doit rester à la porte de l’usine. Et oui, voilà aussi ce qui fait vraiment peur : c’est quand l’opérateur (ou l’ouvrier comme on voudra l’appeler) n’existera dans l’entreprise que comme un outil qui n’existe que comme effectuateur (sic ?) de la tâche qui lui est dévolue.
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(1) A mon avis, si les opérateurs sont maintenus, c’est parce que, pour le moment, ils coûtent moins cher que les machines.

Friday, September 29, 2017

Citation du 30 septembre 2017

Nous ne sommes rien ou vraiment peu de chose / sommes la rose qui pousse au coin des rues / Si la rose meure, il vient une autre rose / Nous n'aurons de noms que ceux de disparus. (Couplet)
Adieu Mes Amis, adieu mes frères / Adieu Rosalita, Carlos et Maria / Car si j'ai gravé vos noms dans ma mémoire / Vous êtes pour moi à jamais disparus (Refrain)

Adieux mes amis…
Version originale Woody Guthrie et Martin Hoffman

L’originalité de cette chanson c’est de regarder aussi bien vers le passé que vers l’avenir : souvenir des noms des amis disparus… Mais aussi Nous n'aurons de noms que ceux de disparus : aujourd’hui comme demain, nous serons la répétition de tous ces compagnons disparus en portant leurs noms, et donc en perpétuant leur souvenir. Là où vous fûtes, nous sommes aujourd’hui et nos enfants seront demain.
Plutôt que de cultiver la nostalgie (« Mais où sont les neiges d’antan ? ») pensons la continuité : les générations passées n’ont pas disparu comme cela sans laisser aucune trace : elles ont survécu dans notre époque par le fait qu’elles sont devenues nos modèles et que nous avons élevé nos enfants pour les reproduire.

Soit. – Mais alors, de qui provenons-nous, aujourd’hui ? De Robespierre ? De Victor Hugo ou de Jaurès ? De Chateaubriand  ou de Rancé ? A moins que ce soit de Rabelais ? Ou de Socrate ? Les hypothèses sont multiples et jamais on n’en viendra à bout de les énumérer.
Et qu’importe ? Que chacun fasse son propre choix et nous verrons qui a opté comme nous.

Mais attention ! L’essentiel n’est pas de choisir mais de réussir à incarner le modèle. Si je veux imiter un compagnon de Rabelais, je serai sans doute au niveau à condition d’avoir bon gosier et bonne braguette. Mais si je rêve d’incarner Jaurès ou Che Guevara, je risque bien d’être ridicule de vouloir me mesurer à de pareils modèles. Qu’on pense aujourd’hui à ceux qui parmi nos orateurs voudraient se mesurer à Jaurès :


Thursday, September 28, 2017

Citation du 29 septembre 2017

Exister réellement, pour les hommes comme pour tout ce qui existe, ne signifie pas autre chose que se manifester.
Bakounine

Manifestation.
A. – Subst. masc.
1. Action, fait de révéler.      
2. Rassemblement de personnes, dans un lieu public ou sur la voie publique, dans le but de faire connaître, de défendre une opinion.
Si le premier sens du terme manifestation relève de la philosophie classique, son second sens, bien que dérivé de celui-ci, en est pourtant très éloigné, au point qu’on se demande s’ils ont quelque chose en commun.
L’intérêt de la citation de Bakounine est justement de laisser entrevoir cette liaison ; car si se manifester consiste à se révéler, il est possible qu’on ne le puisse qu’à condition de sortir de chez soi et de crier très fort dans la rue.  
- Si l’on accepte cette définition, alors on doit conclure que pour exister il faut être plusieurs, et encore, ce rassemblement doit avoir pour caractéristique d’être visible, audible et d’occuper l’espace de façon encombrante. Car, voilà le nœud de l’affaire : s’il faut se rassembler pour exister, il faut aussi le faire de façon tapageuse, en remplissant les rues et les trottoirs (1), en stagnant sur les chaussées et les ronds-points – bref : qu’on ne puisse ignorer cette existence parce qu’on est encombré de sa présence.
- Une autre caractéristique de la manifestation consiste dans le fait qu’elle n’existe pas seulement parce que des gens sont réunis quelque part – car une simple foule à l’entrée de RER ne constitue pas une manif’ ; encore faut-il que tous ces gens soient réunis pour soutenir une opinion, ou contre quelque chose. Donc, pas de manifestation sans banderoles ni slogans.


Maintenant, appliquons ce que nous venons de constater au domaine de la manifestation comme condition de l’être. Moi, par exemple, dois-je pour exister envahir votre espace ? Dois-crier très fort dans vos oreilles ? Dois-je écrire sur mon T-shirt que « Je suis un génie » ou quelque chose comme ça ?
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(1) Comme on le sait une des causes des différences d’évaluation des manifestants entre la police et les organisateurs tient au fait que la police ne compte que les gens strictement engagés sur la chaussée et que les organisateurs comptent aussi ceux qui sont sur les trottoirs.

Wednesday, September 27, 2017

Citation du 23 septembre 2017

Il me paraît que l’âme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant.
Platon – Théétète – 263e

Pour néant pense, qui ne contre-pense
Proverbe (XVe siècle)

A la demande « Qu’est-ce que la philosophie ? » la réponse la plus simple est « La philosophie enseigne l’art de contre-penser ». Autrement dit, même si cet art suppose la maitrise des concepts et de leur construction (Deleuze) ; ou bien encore la connaissance de l’histoire de la philosophie de Platon à nos jours, il n’en reste pas moins qu’il faut systématiquement argumenter– y compris contre sa propre opinion, ce qu’on appelle ici « contre-penser ».
« Contre-penser » : mais encore ?
Bien sûr l’opposition d’opinion à opinion ne sert pas à grand chose : une opinion « pour » plus une opinion « contre », cela peut ne faire, comme nous l’enseignent les débats politiques, qu’un misérable affrontement où les propos orduriers et les affirmations de mauvaise foi sont la règle. Une opinion + une autre opinion, ça ne fait jamais rien de valable. Il faut retourner à Platon et comprendre que, pour se dégager de l’opinion et cheminer vers le savoir, il est indispensable de prendre le chemin de la dialectique entendue comme dialogue de l’âme avec elle-même.
Entendons-nous bien : « opinion » évoque l’idée d’un jugement porté avec certitude sans que des bases rigoureuses soient évoquées (définition ici). L’opinion ne sera (peut-être) un savoir que quand cette base sera établie ; et en attendant elle constitue non pas le terme de la connaissance, mais son point de départ.
Du temps où, enseignant à mes jeunes élèves l’art de la pensée philosophique, je leur disais : « Pour néant pense qui ne contre-pense »  ils étaient outrés : « Mais alors, disaient-ils, nous devons nous obliger à dire le contraire de ce que nous pensons ? Mais c’est idiot !». A quoi je répondais que ce qui leur était demandé, c’est de prouver que leur pensée était juste pour les autres et que par conséquent il fallait qu’ils le démontrent déjà pour eux mêmes.

Carr ici, comme dans tous les domaines où la preuve scientifique n’existe pas, détenir la vérité signifie ne pas risquer d’être réfuté. Alors, bien sûr les sophistes de l’antiquité s’étaient fait une spécialité de la réfutation, et on peut en avoir une idée dans les débats d’opinion évoqués ci-dessus. Mais enfin la simple honnêteté consiste à se demander « Pourquoi est-ce que je pense que ceci est vrai ? » Et si la réponse est : « Parce que ça me fait plaisir » ; ou bien : « Parce que celui qui m’a dit ça est quelqu’un que j’aime et que j’admire » ; ou encore : « Parce que c’est juste le contraire de ce que pensent mes ennemis » ; alors là oui, il faut contre-penser, juste pour voir ce que ça donne.

Tuesday, September 26, 2017

Citation du 27 septembre 2017

Que tel enfant déterminé soit procréé, voilà le but véritable, quoiqu’ignoré des intéressés, de tout roman d’amour ; la façon et les moyens de l’atteindre sont accessoires.
Schopenhauer – Métaphysique de l’amour.
Pourquoi faisons-on l’amour ?
Voilà une question qui paraît bien saugrenue. Nous faisons l’amour parce que nous aimons notre femme et que, lorsque nous nous enlaçons et nous caressons,  cette l’étreinte charnelle parait être le point ultime auquel la fusion que nous recherchons peut atteindre. Oui, je désire m’unir charnellement à la femme que j’aime parce que c’est là que me porte l’élan de l’amour que je ressens pour elle.
Certains hausseront les épaules :
- Bien sûr, bien sûr … Mais au fond si tu étais honnête avec toi-même, tu reconnaitrais que c’est dans tes testicules que ça se passe ; ton organisme est saturé de testostérone quand tu vois la femme aimée, certes ; mais aussi n’importe quelle autre qui serait aussi bien gaulée qu’elle ferait l’affaire. Oui, c’est bien cela : elles te mènent par le bout du *** !

D’autres qui ont lu Schopenhauer affirmeront au contraire que ce n’est pas vraiment la recherche de la  jouissance qui explique la sexualité, mais bien un autre but ultime et obscur machiné par l’espèce : il faut copuler parce que c’est nécessaire pour procréer – pour que le genre humain se propage. Nous avons tout un équipement d’organes érectiles, d’hormones sexuelles, sans oublier un cerveau qui distribue les excitations et les inhibitions : pourquoi faire ?
Oui, pourquoi la nature nous a-t-elle équipé d’un pénis ou d’un clitoris ? N’est-ce pas un dispositif qui, comme le nectar de la fleur constitue la récompense de l’individu pour l’inciter à travailler pour l’espèce ?
On va ricaner et dire :
- Oui, peut-être. Mais nous sommes plus forts que la nature, nous avons plein de dispositifs qui empêchent la fécondation et qui font de la jouissance sexuelle une chose qu’on va rechercher exclusivement pour elle même.
Soit. Mais voilà, il y a quelques jours nous avons eu le « Babyday », le jour où s’enregistre un pic de naissance. Or ce jour est situé exactement 9 mois après la Saint-Sylvestre, moment où la fête nous fait oublier la prudence et les conséquences prévisibles d’un rapport sexuel. La créature a perdu de vue, dans les vapeurs alcoolisées du réveillon, les risques encourus, elle a laissé l’espèce reprendre le contrôle de la situation.


 De là à dire que le champagne fait partie des ruses de la Nature pour propager l’espèce, il n’y a qu’un pas…

Monday, September 25, 2017

Citation du 26 septembre 2017

Vers la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte : "Eli, Eli, lema sabachtani? " c'est-à-dire " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? "
Quelques-uns de ceux qui étaient là, l'ayant entendu, disaient: " Il appelle Elie. "
Et aussitôt l'un d'eux courut prendre une éponge qu'il imbiba de vinaigre, et, l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui présenta à boire.
Évangile selon Matthieu, 27:48




BlasphèmeSubst. masc. Parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré. (Le blasphème est à distinguer du sacrilège : le premier consiste en paroles, le second en actes.) (Larousse)

Si blasphémer est devenu délicat dans un monde comme le notre qui tolère à l’avance tout ce qui peut outrager une religion quelle qu’elle soit, il reste quand même quelques rares occasions où des propos ou des images peuvent blesser violemment les fidèles.
Ainsi de cette image qui montre un acteur (sans doute pour une procession ou pour une représentation théâtrale) grimé en Jésus dans une situation diamétralement opposée à la scène évoquée – d’ailleurs pour reprendre la distinction opérée par Larousse, on se demande si plus que le blasphème on n’aurait pas plutôt affaire à un outrage : auquel cas on serait en présence d’un délit.
En effet : supposons que cette scène apparaisse comme une représentation de la réalité. On y voit le Sauveur au moment même de la Passion (cf. la couronne d’épine et le sang qui en coule) rire en buvant un soda. Du coup voilà la Bible non seulement profanée avec cette scène de bar insérée dans le cours de la crucifixion mais encore détournée : Jésus faisant de la pub pour Coca-Cola. 

Les religieux demandent que de telles atteintes à la foi religieuse soient interdites et condamnées devant les tribunaux. Les laïques affirment que ce sont là des libertés fondamentales. On se rappelle que lors des attentats contre Charlie-Hebdo le débat a fait rage, certains refusant de dire : « Je suis Charlie » en raison de ses dessins blasphématoires.
Il n’est pas facile de résoudre ce problème posé par la liberté de blasphémer. Je me bornerai à dire que, même si la liberté de blasphémer est un droit fondamental, l’usage de ce droit est soumis à des obligations morales – obligations qui ne relèvent certes pas du Code civil, mais bien du respect de l’être humain. Je peux par des propos cruels blesser mon prochain et lui faire très mal sans jamais outrepasser ce que la loi m’autorise. Mais est-ce une raison pour que je me l’autorise ?