Thursday, June 30, 2011

Citation du 1er juillet 2011

L'ambition, souvent, fait accepter les fonctions les plus basses ; c'est ainsi qu'on grimpe dans la posture où l'on rampe.

Jonathan Swift – Pensées sur divers sujets moraux et divertissants

Voici le paradoxe de Swift : comment peut-on par ambition accepter les fonctions les plus basses ? Tous ceux qui occupent des emplois subalternes – ou jugés tels – le diront : s’ils occupent de telles fonctions c’est pour nourrir leur famille – ce qui n’est déjà pas si mal – et sûrement pas par ambition.

Examinons ce qui se passe dans les staffs (politiques ou d’entreprises) : ceux qui ont l’ambition de grimper dans l’organigramme ne vont pas prendre la serpillère et faire la femme de ménage.

C’est qu’il y a deux types de fonctions « les plus basses » :

- Il y a celles qui humilient quand on les accomplit,

- et puis il y a celles qui salissent les mains quand on les effectue.

On peut admettre qu’on pense ici que les ambitieux qui veulent se rendre indispensables ne se bornent pas à éviter à leurs maitres de se salir les mains, mais qu’ils leurs épargne plutôt de salir leur réputation.

On comprend également que, généralisant, Swift songe aussi que l’humiliation est nécessaire pour accéder au pouvoir, que c’est par elle qu’on peut rester dans l’ombre des puissants, parce qu’on grimpe dans la posture où l'on rampe.

Reste qu’à se focaliser là-dessus on oublie peut-être qu’il y aura le moment où les obscurs courtisans, les zélés exécuteurs des basses œuvres, ceux qui acceptent d’effectuer les tâches humiliantes et de recevoir des coups de pieds en récompense, se métamorphoseront en dragon qui crache des flammes et carbonisent ceux qui les ont humiliés.

Rappelons-nous une phrase entendue à propos de Xavier Bertrand, désigné chef de l’UMP par le Président Sarkozy : « Tu donnes les clés de l’UMP à Xavier ? N’oublie pas d’en garder un double. »

Wednesday, June 29, 2011

Citation du 30 juin 2011

Nous croyons souvent n'en vouloir qu'aux hommes, et nous en voulons aux places : jamais ceux qui les ont occupées n'ont été au gré du monde ; et on ne leur a rendu justice, que quand ils ont cessé d'y être.

Madame de Lambert – Avis d'une mère à son fils (1)

on ne leur a rendu justice, que quand ils ont cessé d'y être.

Rendez-vous compte : cette sentence – dont on ressent toute la vérité quand on pense à Jacques Chirac, considéré comme abuseur de fonds publics du temps où il était Président et devenu depuis le grand-père bien-aimé des français – pourrait être vraie à propos de Notre-Président ?

Quand on se moque de lui, de sa petite taille, de son gout pour le luxe ostentatoire, quand on le conspue à cause de ses amitiés pour des gens friqués, etc… eh bien, ce n’est pas l’homme en tant que tel qu’on critique, mais c’est l’homme à la place qu’il occupe.

- Rendons à Nicolas Sarkozy la place qu’il mérite dans le cœur des français : ne le réélisons pas en 2012.

Bon – C’est vrai, mais je vous sens un peu déçu : vous attendiez mieux de La citation du jour qu’un billet de chroniqueur humoriste.

Je vais essayer de répondre à votre attente.

Ce que madame Lambert observe, c’est que, quand on croit juger les hommes qui ont le pouvoir tels qu’ils sont, en réalité on les juge non pas en eux-mêmes mais tels qu’ils sont dans leur fonction.

La personne publique déborde sur la personne privée, elle la contamine, et nous croyons que ce que le Président fait en tant que président nous donne une idée de sa nature véritable. Ce qui n’est qu’une illusion puisqu’on ne leur a rendu justice, que quand ils ont cessé d'y être [par ex. président].

Ce faisant, on se dévoile un petit peu : car n’est-ce pas notre envie du pouvoir qu’on révèle ? Si tous ceux qui l’occupent sont critiquables, cela ne signifie-t-il pas que nous aimerions bien y être à leur place ?

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(1) Sur Madame Lambert et son salon, voir ici.

Tuesday, June 28, 2011

Citation du 29 juin 2011

Climène : Il [un mot] a une obscénité qui n'est pas supportable. - Élise : Comment dites-vous ce mot-là, madame ? - Climène : Obscénité, madame. - Élise : Ah ! mon Dieu ! obscénité ; je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde

Molière, Critique de l’Ecole des femmes, 3

Permettez que je reprenne cette citation déjà examinée le 12 août 2010. Car j’avais alors considéré la phrase de Molière sous l’angle de l’obscénité, et aucunement sous l’angle de la poésie.

Car en effet, qu’est-ce que c’est que ce mot qui est le plus joli du monde alors qu’il signifie en réalité tout ce qui est le plus abjecte – le plus sale ? Il est vrai qu’Elise ne sait pas ce qu’il signifie. Mais justement : comment peut-on dire qu’un mot est joli, si on ne prend pas en compte sa signification ?

--> Il faut être un poète pour arriver à cela.

Car le poète, comme Sartre l’a bien expliqué (1) a une affinité particulière avec les mots. Et pour cela il doit négliger leur signification conventionnelle, celle que chacun entend avec le mot, celle qui nous fait oublier le mot pour ne retenir que son sens dans la langue. Ainsi le mot « obscénité » est-il pour nous d’abord l’idée de ces choses sales-dégoutantes, et jamais ces sonorités ob-scén-ité (ou : ob-scé-ni-té). Comme le dit Sartre, pour le poète il y a une signification déjà présente à l’intérieur du mot, dans sa sonorité il y a un signifié, replié sur lui-même, comme le message dans la bouteille à la mer.

La poésie par conséquent doit toujours être sonore. Elle ne saurait exister seulement dans la lecture confidentielle, celle que nous faisons silencieusement pour notre propre compte : je dois littéralement « entendre » le mot « obscénité » pour le comprendre – et tant pis si ce qu’il signifie alors est à l’opposé de sa signification conventionnelle (2).

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(1) Dans Qu’est-ce que la littérature ? Voir ici

(2) En réalité on n’oublie pas le sens conventionnel. Simplement en poésie le mot a deux signifiés, et une fusion entre les deux doit s’opérer.

Monday, June 27, 2011

Citation du 28 juin 20011

L'humour : l'ivresse de la relativité des choses humaines ; le plaisir étrange issu de la certitude qu'il n'y a pas de certitude.

Kundera

1 – L'humour : l'ivresse de la relativité

L’humour sera pris ici comme synonyme de comique c’est-à-dire comme ce qui s’oppose au sérieux.

Ce n’est pas que le sérieux soit méprisable ; tout au plus lui arrive-t-il d’être ridicule quand on prétend l’appliquer à l’homme – et principalement à soi, quand « on se prend au sérieux ».

L’humour, c’est alors ce qui nous fait rire quand on pense aux choses humaines – c’est du moins ce que Kierkegaard assure : les hommes doivent se comparer à Dieu pour pouvoir rire d’eux-mêmes : l’homme, ce vermisseau qui se compare aux étoiles… Cette poussière qui se croit éternelle… L’homme est cet être transitoire qui se prend pour un absolu, alors que tout chez lui n’est en réalité que relatif.

2 – Plaisir étrange issu de la certitude qu'il n'y a pas de certitude.

Toutefois, Kundera limite le propos : on n’est pas dans la métaphysique, mais plutôt dans un jugement sur la connaissance humaine. Un peu à la façon de Pascal jugeant que l’homme également éloigné de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, ne peut rien connaitre avec certitude : tout ce qu’il sait est proportionné à ses capacités et à sa nature, et rien n’est certain même à son échelle. Car, qui sait si du côté de l’infini il ne se trame pas quelque chose qui va bouleverser toutes ses prévisions ?

Comme disait Hume : l’affirmation « le soleil se lèvera demain » n’est qu’une opinion seulement probable, et non une certitude absolue comme quand on dit « 2+2=4 ».

Car qu’est-ce qui nous dit qu’une météorite surgie du lointain espace ne viendra pas pulvériser notre belle planète et ses beaux levers de soleil ? (1)

Alors, oui : on dit que si la fin du monde devait survenir de cette façon on le saurait 15 jours ou 3 semaines avant. Bon – Disons alors : « l’affirmation que le soleil se lèvera dans 3 semaines n’est qu’une probabilité », et voilà.

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(1) On pense à l’astéroïde 2011 qui vient de nous frôler : mais il était bien trop petit pour qu’on y fasse vraiment attention. Oui – mais le prochain ?

Sunday, June 26, 2011

Citation du 27 juin 2011

Le monde entier est un cactus / Il est impossible de s'asseoir / Dans la vie, il y a que des cactus / Moi je me pique de le savoir / Aïe aïe aïe, ouille, aïe aïe aïe

Les cactus – Chanson de Jacques Dutronc

Il est impossible de s’asseoir sur un cactus : oui, et c’est même pour cela que certains d’entre eux ont été baptisés « coussins de belle-mère ».

Toutefois, le coussin est encore peu de chose : on va y installer sa belle-mère et c’est tout. Si c’est le monde entier qui devient cactus, alors il va falloir plus de place : ce que certains se sont plus à imaginer, comme le prouve ce « canapé cactus » (1) :

On peut sans doute être méfiant : cette chanson innove-t-elle vraiment ? Et ces canapés sont-ils de véritables inventions ?

On songe bien sûr devant ces objets se rappeler la planche à clou qui sert le lit au fakir :

Si cet exemple d’inconfort est tellement marquant, c’est qu’on associe au besoin de confort le moyen le plus opposé pour le satisfaire. C’est l’extrême tension entre le besoin et ce qui se propose comme satisfaction qui est remarquable.

Après tout, qu’ont fait les centurions au pied de la croix du Christ ? Ils lui ont tendu une éponge imbibée de vinaigre pour le désaltérer (2).

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(1) Qui est un véritable canapé ! Voir ici avec toute sorte d’autres canapés insolites

(2) Voir l’interprétation ici