Thursday, January 31, 2008

Citation du 1er février 2008

[Le baron d’Holbach à sa femme] - Mais Madame, vos tétons ne me reviennent point.

[La baronne] - Je m’en consolerais bien si j’avais des fesses ; faute de cela je ne saurais aller à cheval sans me blesser et cela est triste.

Cité par Diderot - Correspondance avec Sophie Volland, 15 août 1762

On rejoint, par dessus le siècles, la répartie de Marlène Dietrich, à qui on faisait l’éloge de ses jambes : « Hé bien, voyez-vous, elles me servent principalement à marcher… »

Quelle différence entre le corps fantasmé et le corps réel ? On se limite souvent à des formules vagues comme l’extérieur et l’intérieur, la peau et l’envers de la peau, etc…

On le voit, le corps réel, c’est d’abord un ensemble d’organes, ayant des fonctions précises sans les quelles l’organisme ne pourrait vivre.

Il semble que le fantasme ne puisse s’accommoder véritablement de la représentation de ces fonctions. Chacun le vérifiera facilement par lui-même qans qu’il soit nécessaire d’entrer dans les détails.

Un petit rappel néanmoins : le corps fantasmé peut bien être un corps réel, mais seulement en tant qu’il est vécu comme objet de désir. Il est alors découpé en zones (corps morcelé) et dissocié de toute fonctionnalité organique ; et même l’accomplissement du désir se fait dans l’oubli du besoin sous-jacent (les fantasmes de la libido comme oubli de la finalité de l’acte sexuel).

Dès lors, non seulement le corps réel, avec ses fonctions réelles, cesse d’être significatif (les tétons de la baronne auraient peut-être pu servir encore à allaiter un nourrisson), mais de surcroît, tout rappel à ces fonctions détruit le désir, et détruisant le fantasme.

Une dernière remarque : chacun, comme la baronne d’Holbach, vit directement son propre corps comme corps fonctionnel et non comme objet du fantasme d’autrui. D’où l’incompréhension naturelle où chacun se trouve de comprendre l’attrait que l’amour confère à son corps.

Attrait de l’amour - et aussi bien dégoût de la répugnance… Cette répugnance pour le corps d’autrui est-il lié à la chute dans la fonctionnalité (voir les fesses de la baronne seulement comme ce sur quoi elle peut s’asseoir) ; ou bien s’agit-il d’un nouveau fantasme ?

Wednesday, January 30, 2008

Citation du 31 janvier 2008

Le principe de création vaut pour les êtres et les mondes, il ne vaut pas pour moi.
Je crois que la bataille du commencement et de la reconstitution d’un corps est ma bataille éternelle et que je ne la quitte jamais car je n’entre dans aucun corps.

Antonin Artaud - Cahier de Rodez

Je n’ai pas la prétention d’ajouter un commentaire à ce long et tragique combat qu’Artaud a livré avec lui même, pour accéder à sa propre identité, pour parvenir enfin à coïncider avec lui-même. D’ailleurs le meilleur commentaire n’est-il pas cet autoportrait datant justement de la période de Rodez, la dernière et sans doute la plus douloureuse de sa vie.

Si le combat d’Artaud nous bouleverse, peut-être est-ce parce que c’est aussi notre propre combat. Je veux dire, le combat pour l’identité.

Nous autres adultes, nous sommes persuadés d’en avoir fini avec cette incertitude quant à notre être, à cette quête narcissique de la confirmation de notre identité dans le regard des autres. Nous savons qui nous sommes, et peut-être même regrettons nous les fluctuations d’humeur juvénile qui nous donnaient à croire que le lendemain nous serions un médecin humanitaire dans la brousse africaine ou un trader génial de Wall Street.

Mais, cette identité, certains ne la reconstruisent-ils chaque jour, par exemple en montant sur la balance avant de partir au travail, le pac de Contrex dans le cabas ?… Futile direz-vous : Artaud livrait un tout autre combat. Oui, futile, mais déjà révélateur. Reconstituer son corps, n’est-ce pas là le combat de toute une vie ? Et comprendre que notre identité est justement dans ce combat, qu’il n’y en a peut-être pas d’autre, n’est-ce pas la difficile acceptation du tragique de l’existence ?

Les sages nous diront que le corps est inessentiel, qu’il faut le mépriser, voire même le mortifier pour permettre à l’âme, l’essentiel de notre être s’exprimer.

Pourquoi pas ? Renoncer à coïncider avec son corps (à l’opposé d’Artaud), ce n’est pas pour autant être en paix avec soi-même : il nous reste à coïncider avec l’être que nous croyons - que nous rêvons - d’être. Un saint ou un génie…

Tuesday, January 29, 2008

Citation du 30 janvier 2008

Les inventeurs visionnaires : Diderot et la vidéo-surveillance
Si j’avais seulement un miroir magique qui me montrât mon amie dans tous les instants ; si elle se promenait sous mes yeux dans une glace comme dans les lieux quelle habite (…) combien je me lèverais de fois la nuit pour l’aller voir dormir…
Diderot - Lettre à Sophie Volland 1er août 1765
Incroyable Diderot ! L’amour (le grand, l’industrieux amour, comme dit Platon) lui suggère encore une invention qui va mettre plus de deux siècles à voir le jour. Car son miroir magique n’est rien d’autre que nos écrans de contrôle relié aux caméras de vidéo-surveillance. Quelle imagination ! (1)
Ce qui stimule l’imagination de Diderot, c’est que ce miroir magique sépare la vue du toucher. Oui, parce que, imaginez que vous êtes Diderot. Votre bonne amie est là dans son lit. Elle dort, adorable dans le sommeil plus encore que dans la veille. Qu’est-ce que vous faites ? Bon, je vois : vous la réveillez, n’est-ce pas ? Maintenant vous êtes devant le « miroir magique » : vous devez la contempler sans la toucher. Vous admirez sa beauté dans le sommeil, son corps alangui, la douceur de son expression, l’éclat de son teint dans la lueur de la lune qui filtre à travers les persiennes… Tout ça, vous le contemplez maintenant à loisir, alors que l’impulsion de la nature ne vous l’avait pas permis tout à l’heure.
Vous tous, les couples vieillissants (et ça vieillit vite, un couple), écoutez Diderot : faites chambre à part, et installez une vidéo entre les deux.
Et expliquez à votre petite femme que ce n’est pas pour la surveiller.
Encore qu’elle aurait peut-être aimé ça ?

(1) Toutes les inventions de Diderot n’ont pas encore été réalisées. Dans les Bijoux indiscrets, il imagine une bague magique qui a le pouvoir de faire parler… le sexe de femmes (voir ici). Encore un défi pour les inventeurs fous de notre époque.

Monday, January 28, 2008

Citation du 29 janvier 2008

Les inventeurs visionnaires : Diderot et le fax
Si cet homme-là étendait un jour la correspondance d’une ville à une autre (1) […], il ne s’agirait plus que d’avoir chacun sa boite. Ces boites seraient comme deux petites imprimeries où tout ce qu’on imprimerait dans l’une, subitement s’imprimerait dans l’autre.
Diderot - Lettre à Sophie Volland (28 juillet 1762)
Supposez que vous deviez décrire le fax à quelqu’un qui ne connaîtrait ni cet appareil, ni même le téléphone. Ecririez-vous quelque chose de différent de ce texte ?
Ce que nous avons de la peine à imaginer c’est ce que nos ancêtres auraient pensé de nos inventions modernes. Alors que, de nos jours, une invention précède bien souvent la découverte de l’usage qu’on peut en faire, ici c’est l’usage qui précède l’invention.
Diderot imagine cet appareil parce qu’il a un gros problème : ses lettres (les lettres à Sophie !) se perdent, ou bien arrivent avec un retard abyssal. Le fax, qui est pour nous un moyen de communiquer strictement utilitaire, apparaît à Diderot comme quelque chose qui lui permettrait de dire sa flamme à la demoiselle de son cœur.
Mais à ce compte, pourquoi n’a-t-il pas « inventé » le téléphone ? C’était même plus simple à imaginer.
Il me semble que la réponse est la suivante : ce que Diderot veut dire à Sophie ne peut l’être que par écrit, la communication de vive voix ne lui offrant pas les mêmes possibilités. L’écrit a des possibilités que la parole n’a pas - et pas seulement parce qu’elle s’envole (voir le Post d’hier) : un écrivain comme Diderot possède ce talent de nous faire revivre les conversations dans leur vivacité ; mais le discours écrit peut en plus nous livrer tous les prodigieux méandres de sa pensée.
Si le téléphone avait existé à l’époque de Diderot, aurait-il préféré ce moyen à la lettre ? Sans doute parce que le téléphone est instantané, et qu’il est un moyen sûr de communiquer sans perte du message.
Mais je doute fort qu’il s’en serait contenté ; peut-être aurait-il créé un journal intime ?
Quelque chose comme un Blog ?


(1) Diderot évoque ici une « expérience de télécommunication » réalisée par une amuseur de rue

Sunday, January 27, 2008

Citation du 28 janvier 2008

Les inventeurs visionnaires : Rabelais et le magnétophone
Vendre des paroles, c’est ce que font les avocats, répondit Pantagruel. Je vous vendrais plutôt du silence, et plus cher…
(…) Je voulais mettre en conserve quelque mots de gueule (1) tout comme on conserve de la neige et de la glace dans la paille bien nette. Mais Pantagruel refusa, disant que c’est folie de mettre en conserve ce qui ne manque jamais et que l’on a toujours sous la main…
Rabelais, Quart livre, ch. 56 - translation en français moderne (2)
Naviguant aux confins de la mer de glace, Pantagruel et ses compagnons entendent des sons, des cris, des mots qui semblent venir de l’air. Il s’agit de paroles criées durant un combat qui eut lieu dans ces contrées autrefois, et qui ont gelé dans l’air glacé. Réchauffés, ils donnent à s’entendre de nouveau. Panurge veut en acheter, ou au moins en conserver s’attirant ces réponses de Pantagruel
Rabelais vient d’inventer la magnétophone. Comment jugerait-on cette invention au XVIème siècle ?
Première réponse : le silence est plus précieux que la parole. A quoi bon s’emplir de mots des autres, si on peut s’en dispenser. Moi même qui vous parle, à supposer que je sois près de vous, ne seriez-vous pas prêt à me payer pour que je me taise ? Si cette question est sans grand intérêt me concernant, ne connaissez-vous pas des circonstances où la réponse vous est bien plus évidente ?
C’est tellement évident, qu’on se dit que ça ne vaut pas uniquement pour l’enregistrement et la restitution des discours humains.
Deuxième réponse : pourquoi vouloir conserver (= stocker) la parole ? Quel intérêt avons-nous pour cette production qui est si commune, puisque chacun de nous la produit en permanence ?
Ici on sera plus critique. Alors qu’on admet que parler pour ne rien dire est souvent l’apanage des hommes, par contre on admettra moins facilement que la parole proférée - l’acte de locution - ne contienne pas une information de plus, une information que l’écriture ne saura pas restituer. Jakobson, dans son schéma, l’appelait la fonction émotive (ou expressive), signifiant par là que le sujet parlant transmettait non seulement quelque chose de sa manière d’être, mais en plus une information sur son intention signifiante, dans la façon dont il parlait. L’exemple courant est l’ironie, dont l’existence n’est attestée que par l’intonation (si je dis à quelqu’un « Voilà un beau travail », mon ironie, si elle existe, ne sera perceptible que par mon intonation, au point que certains avaient imaginé de créer un « point d’ironie » comme il y a un «point d’exclamation»).
Bref, imaginons que nous ayons un enregistrement sonore de Rabelais lisant ce texte. N’aurions-nous pas quelque chose de plus que ce que nous transmets le texte ?
Mais peut-être que Rabelais n’aurait pas souhaité que cela se transmette.

(1) Rabelais joue sur les mots : en héraldique la « gueule » désigne la couleur rouge.
(2) Version originale :
C’est acte de advocatz (respondit Pantaruel), vendre parolles. Je vous vendroys plustost silence et plus chèrement..
Je vouldroys quelque mots de gueule mettre en réserve dedans de l’huille, comme l’on garde la neige et la glace, et entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le voulut, disant estre follie faire réserve de ce dont on a en main…

Saturday, January 26, 2008

Citation du 27 janvier 2008

Quand un homme me vient dire qu'il ne croit rien et que la religion est une chimère, il me fait là une fort mauvaise confidence, car je dois avoir sans doute beaucoup de jalousie d'un avantage terrible qu'il a sur moi. Comment ! il peut corrompre ma femme et ma fille sans remords, pendant que j'en serois détourné par la crainte de l'enfer ! La partie n'est pas égale. Qu'il ne croie rien, j'y consens, mais qu'il s'en aille vivre dans un autre pays, avec ceux qui lui ressemblent, ou, tout au moins, qu'il se cache et qu'il ne vienne point insulter à ma crédulité.

Montesquieu - Spicilège

Qu’est-ce donc qu’être athée ? Nier Dieu ? Proclamer qu’après la mort, l’individu disparaît, comme une bulle de savon ? Que les prêtres sont des charlatans ?

Pas du tout : vous n’y êtes absolument pas. L’athée est celui qui peut tranquillement coucher avec ma femme et ma fille sans que la peur de la damnation lui coupe tous ses effets.

Avouez qu’on attendait un autre raisonnement de la part de Montesquieu. Mais aussi, peut-être se met-il ainsi au niveau de ses lecteurs. Même Dostoïevski l’a dit : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis » (cf. Post du 22 juillet 2006) : l’athéisme c’est d’abord et avant tout le refus de la religion, c’est à dire d’un système de prescriptions morales contrôlées par un pouvoir supérieur et qu’on ne trompe pas (voir aussi Hugo : « L’œil était dans la tombe… »). Mais c’est aussi le renoncement à un désir.

Au fond, l’athéisme pourrait fort bien coïncider avec l’attitude religieuse : il suffirait qu’il ait lui aussi un système de récompenses et de sanctions qui canaliserait les actions humaines et constituerait des barrières infranchissables : fini la licence, finies les coucheries avec la femme du voisin. Et le mieux, ce serait qu’on n’ait même pas la liberté d’y croire ou de ne pas y croire ; d’ailleurs, croire à quoi ? Il y aurait une police dont les espions vérifieraient que chacun fait ce que le devoir lui impose.

Le totalitarisme au XXème s’est néanmoins efforcé de pousser plus loin la domination des hommes en réalisant l’ambition de remplacer Dieu par une croyance en un Guide conduisant son peuple vers un avenir radieux. Système sans Dieu, il a réalisé ce tour de force de rendre la mécréance impossible, grâce à la science de la manipulation des cerveaux (là dessus voir Orwell). Tous non seulement doivent croire, mais surtout tous croient.

Montesquieu aurait aimé.

Friday, January 25, 2008

Citation du 26 janvier 2008

Si comme la vérité, le mensonge n'avoit qu'un visage, nous serions en meilleurs termes. Car nous prendrions pour certain l'opposé de ce que diroit le menteur. Mais le revers de la vérité a cent mille figures et un champ indefiny.

Montaigne - Essais

Suffit-il de savoir qu’on nous ment pour connaître la vérité ? Montaigne répond « non ».

Selon l’apparence, Montaigne fait l’impasse sur les questions fermées (du genre : « As-tu rencontré X hier ? ») : le menteur répond « oui » ; s’il on descelle son mensonge, on sait bien sûr automatiquement la vérité.

Par contre, les questions ouvertes (du genre : « Qu’as-tu fait hier ? ») correspondent à ce que dit Montaigne, et qu’on peut résumer par l’aphorisme médiéval : la vérité est unique ; l’erreur est multiple.(1)

Tout ceci relève de l’évidence. Mais comme toujours, ce qui importe, c’est ce qu’on fait avec l'évidence. Finalement, j’en arrive à me dire que la vérité, contrairement à ce qu’en disent les philosophes, n’est pas si désirable que ça. Peut-on aimer la vérité ? Que la vérité est monotone ! C’est toujours la même chose ! On comprend que l’inventeur de merveilles, s’il peut faire croire qu’elles sont des vérités, soit recherché plus que le savant.

Alors, certes, celui qui découvre la vérité, peut bien éprouver ce fourmillement psychologique qui accompagne l’excitation de la découverte. Mais après, quel ennui !

Au fond c’est ça qui nous pousse vers l’opinion la plus fantastique : l’imprévu, l’incroyable. Nietzsche pensait que c’était l’amour de la sécurité qui nous conduisait à aimer et à rechercher la vérité. Il avait raison. Mais il aurait dû admettre aussi que beaucoup recherchent aussi l’imprévu, la nouveauté, donc aussi le mensonge.
Voyez le succès de certains charlatans, qui annoncent la fin du monde imminente, ou bien qui prétendent que les extraterrestres sont parmi nous. Commente expliquer la crédulité du public ? Est-il si bête que n’importe qui puisse le leurrer ? Ou bien donne-t-il raison à celui qui le fait rêver ?

Demandez à nos hommes politiques : ils savent ça eux.

(1) Voir Post du 20 juillet 2006. Bien entendu, ce que Montaigne dit du mensonge est vrai aussi de l’erreur.

Thursday, January 24, 2008

Citation du 25 janvier 2008

Le pourcentage de voleurs est le même dans toutes les communautés, même chez les gendarmes.
Edgar Morin
Vous avez remarqué ? Edgar Morin prend comme exemple extrême les gendarmes : s’il y a des voleurs chez les gendarmes, alors c’est qu’il y en a partout. Même chez les banquiers ; même à la Société Générale.
Bon on est d’accord. Mais ne devrait-on pas dire que dans chaque corporation les voleurs possèdent leur propres techniques ? Le gendarme qui est voleur va voler grâce à ses connaissances du milieu des malfrats ; le banquier va voler grâce à ses connaissances des rouages financiers.
Mais ce n’est pas encore assez dire. Quelles sont les caractéristiques du voleur banquier ?
D’abord, il peut très bien ne pas tirer parti de ses fraudes : dans notre cas le trader qui a cramé 5 milliards d’euros n’a sans doute pas dépensé grand chose de cette somme. Pire encore : elle a sans doute disparu dans la tempête boursière, le voleur étant alors plus un fraudeur qu’un bandit de grand chemin.
Mais je dirais que ce qui m’intéresse le plus dans ce cas, c’est l’énormité de la perte - 5 milliards d’euros - mis en rapport avec la jeunesse - 31 ans - de cet homme. Avec le krach de la Baring Bank (1), on avait déjà remarqué le pouvoir extraordinaire accordé à des hommes qui l’exercent seuls, et sans contrôle proportionné. Imaginez donc que vous soyez chef d’Etat. Vous avez des pouvoirs de décision, qui sont soumis au vote des députés, au contrôle de la Cour des comptes, etc.. Bref : vous allez pouvoir faire des erreurs mais pas des fraudes et encore moins de l’enrichissement personnel. Et de toute façon ça ne durera pas des années.
Maintenant vous êtes trader. Vous avez le pouvoir de manipuler des sommes astronomiques : 50 milliards d’euros dans le cas qui nous occupe. Déjà, bien sûr détourner 5 milliards sur 50, ça devient imaginable. Mais surtout est-ce que vous n’avez pas un pouvoir financier qui excède celui de bon nombre de chefs d’Etats ?
On n’arrête pas de dire que le pouvoir n’est pas là où l’on croit, qu’il se cache dans les médias, dans les multinationales.
Ajoutez les traders à la liste.
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(1) Il s'agit du Trader Nick Leeson

Wednesday, January 23, 2008

Citation du 24 janvier 2008

Vae Victis - (Malheur aux vaincus)

Brennus - 390 avant J.C.

Pourquoi on nous bassine avec Astérix, alors que le chef gaulois Brennus (1) a réellement existé et a eu plus de gloire que lui en allant mettre à sac Rome - qui n’échappe à la ruine totale que grâce aux oies du Capitole… Rome menacée, Rome sauvée par des oies : voilà de quoi nourrir l’imaginaire, autant sinon plus que l’usage de potion magique.

Pourquoi ce cri Malheur aux vaincus ? Comme si les vaincus n’étaient pas assez malheureux comme ça, qu’il faille revendiquer le droit de les accabler encore plus.

L’histoire - ou la légende - raconte que Brennus a prononcé cette phrase en rajoutant sa lourde épée dans le plateau des poids de la balance où était pesé le tribut d’or dû par les assiégés pour que leurs assaillants consentent à partir. A quoi bon protester de son droit quand on est le vaincu ? Nul droit ne s’attache encore à lui, et celui qui a perdu la bataille a tout perdu, même l’honneur !

En écrivant cela, je ne pense pas seulement à François 1er ; je pense aussi à Philippe Pétain qui en juin 1940 prétend négocier avec l’ennemi dans le respect de l’honneur de la France. On a vu ce qu’il en était.

Y a-t-il un droit de la guerre ? Oui, si l’on admet qu’il y a des criminels de guerre, désignés et jugés comme tels. En est-on vraiment sûr ? Devant quelle instance le vaincu fera-t-il valoir son droit lorsque celui-ci aura été bafoué par l’ennemi ? En réalité, cette instance, c’est toujours celle du vainqueur, après la guerre, et encore à condition que les exactions aient été commises par un clan qui a été finalement vaincu (2).

Je ne veux pas dire que la guerre fonde le droit du vainqueur. Je veux dire simplement que le vaincu n’a plus aucun droit … à faire valoir ses droits. Et donc qu’un droit du plus faible n’a de valeur que grâce au plus fort.

S’il le veut bien.

(1) Que ceux qui imaginent que le valeureux gaulois est celui dont le bouclier sert de trophée aux rugbymen se détrompent : le Brennus du bouclier est un artiste graveur ami de Pierre de Coubertin. Voir ici et

(2) Voir le cas des criminels de guerre serbes

Tuesday, January 22, 2008

Citation du 23 janvier 2008

- On ne naît pas femme : on le devient.

Simone de Beauvoir

- Le sculpteur Clésinger, gendre de Georges Sand, se dispute avec sa belle-mère :- Georges Sand : je vais faire savoir partout quelle est votre conduite !
- Clésinger : et moi je vais sculpter votre cul et tout le monde le reconnaîtra ! (Anecdote rapportée par les Goncourt dans leur Journal)

- Et nous, apercevant la photo publiée par Nouvel Obs. :

- Tiens, mais c’est le cul de Simone…(1)

On ne naît pas femme : on le devient. Cette photo nous apprend que cette phrase, passée dans notre culture générale (la seule qu’on y trouve de Simone de Beauvoir) ne doit pas être entendue de façon stricte, un peu comme si on pouvait - comme si elle avait - renoncer à toute féminité. Elle était fière d’être la femme dont le corps pouvait séduire les hommes (et les femmes, je sais)

On naît femme - ou homme - non seulement physiologiquement, mais aussi sociologiquement ; mais ce qui compte comme dirait Sartre, c’est ce qu’on fait avec ce qu’on a fait de nous. C’est ça devenir femme.

Maintenant supposez que Simone de Beauvoir - ou Jean-Paul, ou qui vous voudrez - ait dit : « On ne naît pas homme, on le devient » - et bien sûr par homme on entendra le mâle. Pensez-vous que cette phrase aurait choqué autant que celle qui concerne la femme ?

Moi je dis que l’un des préjugé des hommes face aux femmes est de croire qu’elles sont rivées par la Nature à leur nature. Que leurs capacités, leurs humeurs, leur rôle dans la société est strictement défini par leurs hormones - et par leur rôle reproducteur (2). Et que bien sûr, les hommes se font eux-mêmes, qu’ils sont le produit de leur volonté et de leur intelligence ; et donc qu’on ne peut que devenir homme.

Supposez donc maintenant que Le deuxième sexe n’ait expliqué que cela. Est-ce que ce ne serait pas un grand événement - rien que pour ça ?

(1) L’auteur de la photo raconte qu’il l’a prise au vol dans l’entre-baillement de la porte de la salle de bain. Simone de Beauvoir entend le déclic de l’appareil, elle se retourne et lâche : « Vilain garçon ». Façon de dire qu’elle n’était pas fâchée du tout…

(2) Je sais qu’on continue à polémiquer contre le refus de la maternité assumé par Simone de Beauvoir, comme si une femme ne devait pas refuser d’être mère, comme si elle était définie - prédestinée - à ne vivre pleinement que grâce à ça.

Monday, January 21, 2008

Citation du 22 janvier 2008

Que l'humanité en général puisse jamais se passer de Paradis artificiels, cela semble fort peu probable. La plupart des hommes et des femmes mènent une vie si douloureuse dans le cas le plus défavorable, si monotone, pauvre et bornée dans le meilleur, que le besoin de s'évader, le désir de se transcender eux-mêmes, ne fût-ce que pour quelques instants, est et a toujours été l'un des principaux appétits de l'âme.

Aldous Huxley - Les portes de la perception

Le désir de se transcender… Voilà une aspiration de l’être humain dont on devrait se demander si ce n’est pas son aspiration absolue. Même inaccessible, elle permettrait alors de définir le coefficient de bonheur attendu de chacune de nos entreprises.

Exemple. Voilà que je me mets à peindre ou à apprendre l’équitation : deux actions a priori sans autre utilité que de me hisser vers des expériences que je n’ai pas encore réalisées. Si je fais une croisière sur le Nil, c’est pareil. Sauf que là je suis plus du côté du spectateur que de l’acteur. N’empêche : mon bonheur sera fonction de la quantité de réactions, d’étonnement, d’émerveillement que j’impulserai dans le spectacle qui défile au long de la croisière - aucun bonheur pour celui dont le regard bovin souille ce paysage merveilleux.

Bon. Tout ça c’est bien beau, mais Aldous Huxley en profite pour dire que ce sont les Paradis artificiels qui nous transporteront au-delà de nous mêmes. Tous ces beaux discours sur la créativité humaine, qu’est-ce qu’ils deviennent ?

Huxley est connu pour avoir décrit ses expériences sous mescaline (1). De la transcendance, oui, si on admet qu’il s’agit d’un univers entièrement neuf. Maintenant est-ce pour autant ma transcendance, celle dans la quelle j’inscrirai les ressources cachées de ma nature, ou bien s’agit-il de visions liées à la chimie de ces substances - un peu comme dans le delirium tremens les visions qu’ont les alcooliques sont plutôt stéréotypées ?

J’avoue ne pas avoir d’expérience personnelle à faire valoir ici. Que ceux qui en ont nous expliquent ce qui en est. Pour le moment, je signale que Baudelaire, dans les Paradis artificiels explique que l’effet de haschich se borne à exagérer les caractéristiques de l’individu, sans rien y ajouter de neuf. Mais il est vrai qu’il ne s’agit que de haschich.

Par contre, Antonin Artaud avec le peyotl a bien des choses à nous suggérer…(2)

(1) Il s’agit bien sûr des Portes de la perceptions.

(2) Pour être tout à fait exact, les adeptes de la mescaline aussi.

Sunday, January 20, 2008

Citation du 21 janvier 2007

Il n'y a que deux façons de vivre sa vie : l'une en faisant comme si rien n'était un miracle, l'autre en faisant comme si tout était un miracle.

Albert Einstein

Une capacité d’accomplir des miracles compte aussi au nombre des facultés humaines.

Hannah Arendt - La crise de la culture, ch IV-4, p. 220

Alors, allons-y : tout est miracle, notre vie est miraculeuse, les autres sont miraculeux, ma voisine et son chien, la voiture qui démarre chaque matin, l’haleine chargée de mon patron…

Stop ! Si tout est miracle, rien n’est miraculeux. Le miraculeux suppose une rupture, une surprise, un émerveillement. Albert Einstein polémique sans doute lorsqu’il déclare ceci, peut-être pour faire comprendre qu’il n’y a pas plus de mystères dans l’univers que dans notre vie.

Nous allons chercher la réponse chez Hannah Arendt.

Est miraculeux ce qui a une improbabilité infinie, dit Hannah Arendt. Autrement dire, le miracle est ce qui ne devrait pas arriver et qui pourtant s’accomplit.

Pas très original, me direz-vous. Et pourtant si : Arendt affirme que les miracles sont partout où il y a des hommes : « une capacité d’accomplir des miracles compte aussi au nombre des facultés humaines. »

Le miracle, c’est dans l’action qu’on le trouve, et dans la manière dont nous le ressentons.

Pour mesurer l’originalité de cette position, souvenons-nous de la thèse classique : seul Dieu fait des miracles, et ceux-ci contredisant les lois de la nature, c’est dans la nature seule qu’ils s’observent - guérison miraculeuse qui contredit la réalité physiologique, soleil qui se dédouble, mer qui s’ouvre en deux… Et du coup, le miracle se comprend par sa fonction : manifester la puissance de Dieu pour convaincre les sceptiques, en changeant l’eau en vin par exemple.

Retour à Hannah Arendt : nous savons déjà que pour elle la « natalité » est un miracle, que chaque enfant qui naît est l’ouverture d’une imprévisible nouveauté ; c’est là que l’improbabilité du miracle prend sa place. Que sera cet enfant ? C’est par ses chances de d’agir tout au long de sa vie qu’il se définit comme miracle, et donc le miracle est la marque de la vie entière des hommes.

On dira que beaucoup de ménagères de moins de 50 ans ne sont pas vraiment miraculeuses. Oui, mais elles auraient pu l’être. Ça ne vous suffit pas ?

… Vous avez raison, et la réponse de Arendt est plus radicale : il y a du miracle dans chaque action, ne serait-ce que par la surprise qu’elle occasionne. La mesure du miracle, c’est aussi dans notre affectivité que nous la trouvons.

Saturday, January 19, 2008

Citation du 20 janvier 2008

Rien n’est moins poétique que la nature, et que les choses naturelles : c’est l’homme qui leur a trouvé une poésie. La naissance, la vie la mort, ces trois accidents de l’être, symbolisés par l’homme, sont des opérations chimiques et cyniques. L’homme pisse l’enfant et la femme le chie.

Edmond et Jules de Goncourt - Journal (4 février 1861)

Attention : ce Post comporte des passages qui peuvent choquer les gens bien élevés.

L’homme pisse l’enfant et la femme le chie : oui, rien n’est moins poétique, ça c’est sûr… On se croirait même dans le folklore obscène des enfant (1). Après ça, allez leur raconter que c’est la cigogne qui fait tout.

Notre challenge n’est pas de faire poétique, mais de faire philosophique. Est-ce possible avec ces mal élevés de Goncourt ?

On s’en tiendra à la hiérarchie des fonctions corporelles, que bousculent les Goncourt, et l’image que l’homme se donne de lui-même à travers celles-ci. La procréation d’un petit être humain ne mérite-t-elle pas mieux ?

Certains (voir note 1) citent Aristote qui se serait interrogé sur la caractère divin de l’éternuement (qui passait en effet pour être un signe des Dieux) - alors que les rots et les pets ne le sont pas. On voit que le corps humain est investi d’un sens qui n’a rien à voir avec les fonctions organiques réelles, et que les organes eux-mêmes sont hiérarchisés selon ce qu’on imagine de leur rôle dans l’homme. J’ai lu quelque part que l’hystérie - affection jugée alors exclusivement féminine - était attribuée par les anciens grecs au fait que l’utérus, comme un petit animal, se déplaçait dans le corps de la femme ; lorsqu’il se fixait près du cerveau, alors la crise éclatait. Mignon n’est-ce pas ?

… Bref, ça ne passe pas. Ce qui ne passe pas, c’est que la naissance d’un être humain, le surgissement d’une âme neuve, soit due à cet acte répugnant. Saint Augustin, pour rabattre notre orgueil, disait : nous naissons entre l’urine et les fèces. Il voulait dire que la matrice est située entre le méat urinaire et l’anus ; c’est un peu la même image que celle des Goncourt, mais moins choquante (2).

Avec ça, ne vous étonnez plus que la procréation de Jésus ait été miraculeuse.


(1) Vous faut-il vraiment des exemples ? Voyez ceci.

Certains ont même développé des études portant sur l’analité des contes et des comptines (voir ici)

(2) Encore que… A l’époque de Saint Augustin on comparait la naissance de l’homme au gui, donc les graines sont colportées par les fientes d’oiseaux, ce qui leur permet de s’enraciner sur les branches des arbres.

Friday, January 18, 2008

Citation du 19 janvier 2008

Celui qui devient enragé par la morsure d'un chien est excusable, mais l'on a pourtant le droit de l'étrangler.

Spinoza - Lettre à Oldenburg du 7 février 1676 (Pléiade p. 1295)

La justice et le droit, décidément, ce n’est pas la même chose…

Et je ne veux pas supposer que lorsque Spinoza dit « on a le droit de… », il signifie qu’on en a simplement le pouvoir. Non. Le droit signifie, comme le dit Kant, ce qu’on doit vouloir suivant une règle. Et ce qu’on doit vouloir, ici, c’est le bien de la communauté humaine. Et par rapport à ce droit, il est juste d’étrangler l’innocent.

Platon a dit exactement la même chose, avec encore plus de force si c’est possible :

« Tout homme incapable de pudeur et de justice sera exterminé comme un fléau de la société. »
(Platon - mythe du Protagoras). Là, c’est Zeus qui parle, rien moins.

Et Aristote : « [L’homme] est le plus impie et le plus féroce quand il est sans vertu et il est le pire [des animaux] dans ses dérèglements sexuels et gloutons. » (1).

L’homme enragé est donc pire que le chien enragé. Transposez dans notre société. La France, Patrie-des-droits-de-l’homme, Etat-de-droit, croyez-vous qu’elle hésitera le jour où sa tranquillité sera au prix de l’injustice - comme par exemple de faire d’une minorité la responsable de ses malheurs ? Ça s’est vu en tout cas…

Fiat justicia, pereat mundus (2). Comme on le voit, quoiqu’on fasse, il y aura toujours une perte au bout : soit, par pureté, je privilégie les valeurs et alors j’expose mon pays à des troubles et à des crises. Soit, je fais ce qui est le meilleur pour mes compatriotes, quitte à être injuste, et alors ce sont les idéaux de justice qui y passent…

- Mais dites-moi : comment est-ce qu’on sait qu’on homme a la rage ?

(1) Aristote - Les Politiques - (I, 2, )

(2) « Qu’advienne la justice, le monde dût-il en périr ». Ça, c’est l’éthique de la conviction, qui s’oppose à celle de la responsabilité

Thursday, January 17, 2008

Citation du 18 janvier 2008

Je demande, pour ma part, à être conduit au cimetière dans une voiture de déménagement.

André Breton - Manifeste du surréalisme

- Ton déménagement? - Je suis en plein. À la maison, c'est le surréalisme absolu. Déménager c'est rien. C'est ranger

A. Schiffres, Les Parisiens, Paris, J.-Cl. Lattès, 1990, p. 229

Combien de fois avons-nous été surpris par cette affirmation de Breton, combien de fois sommes-nous tombés dans le piège qu’il nous tendait ? Parce que c’est ça qu’il veut, n’est-ce pas : nous prendre à contre pied, si possible créer une image qui va nous obnubiler (celle d’un camion de déménagement remplaçant le corbillard (1))

Hé bien, voilà : le mort doit être rangé dans une nouvelle demeure, et le déménagement consiste à l’y transposer. Le corbillard sert donc, selon Breton, à masquer cette simple réalité en créant un décorum exotique.

Filons la métaphore.

1 - Qu’est-ce qu’on déménage ? Du mobilier, des objets, bref : des choses inertes. Et tel est bien le mort : une chose, un en-soi comme dit Sartre, quelque chose dont un peut faire ce qu’on veut. De même quel le buffet de la grand mère sera mis ici ou là, ou encore bazardé dans un dépôt vente, le mort est devenu la proie des vivants.

2 - Déménager c'est rien. C'est ranger. C’est que les morts, ce n’est pas comme le bahut de grand-mère. Et on se demande : qu’est-ce qu’on va en faire ? Où les mettre ? Enterrés ? Cramés dans un crématorium ? Et les cendres ? Hein, les cendres, qu’est-ce qu’on en fait ? Déposées dans une urne sur le buffet (tiens, voilà une raison pour conserver le buffet de grand-mère : on mettra ses cendres dessus). Ou bien dispersées au vent, dans l’océan où elle aimait tant se baigner ?

Les Guayakis étudiés par Pierre Clastres (2), eux ils avaient tellement peur que le mort revienne dans le corps qu’il venait de quitter, qu’ils le détruisait - en le mangeant.

Voilà donc une autre solution : n’enterrez plus votre grand-mère : mangez-là. (3)


(1) Et à l’époque de Breton, les corbillards c’était ça :

(2) Clastres - Chronique des indiens Guayakis - Pocket Terre humaine

(3) Il y a plein de recettes dans le bouquin de Clastres.

Wednesday, January 16, 2008

Citation du 17 janvier 2008



Tout achever … Sauf le désir

Miss.Tic

Je ne vais pas revenir sur les ambiguïtés du désir et sur son accomplissement, désirable et pourtant redouté. Je voudrais dire que cette image, avec ces parpaings, avec les surcharges en graffitis me apparaît être le meilleur de Miss.Tic.

Voici un pochoir tout en contraste : comme d’habitude la Miss est superglamour. Une Marilyne brune ? Non, plutôt l’Anita Ekberg de la Dolce vita - et pourtant l’environnement n’est pas glamour du tout. Peut-on imaginer un seul instant que cette Miss, avec sa robe du soir et ses allures de Dolce vita ait quitté la fontaine de Trévise pour s’épanouir sur ce mur de ciment, exposée aux bombages des grapheurs de passage ? Non bien sûr.

Alors que fait-elle là ? Pourquoi cette présence insolite dans cet environnement ?

Hé bien, voilà : je vois cette Miss non comme celle qui parle sur le pochoir, mais comme l’objet désigné par lui, l’objet du désir - un objet pas obscur du tout. Elle est le fantasme que poursuit notre imagination, comme Marcello suivait Sylvia (=Anita Ekberg) dans la nuit romaine ; comme elle, elle est inaccessible, et donc indestructible.

La preuve : les graffitis l’ont encadrée et non maculée. Respect.

Tuesday, January 15, 2008

Citation du 16 janvier 2008

Dans quelques années, les avions seront pilotés par un commandant et un chien. Le travail du chien sera de surveiller les boutons pour que le pilote ne touche à rien.
Scott Adams (né en 1957 ; créateur du personnage Dilbert)
Citation idiote : parce que, si le travail du chien est d’empêcher le pilote de piloter, quel va être le rôle du pilote ? De taquiner l’hôtesse de l’air (ou le steward selon ses goûts) ? De porter un bel uniforme pour rassurer les passagers (Y a-t-il un pilote dans l’avion ?).
Là où la machine fait mieux que l’homme dans les tâches techniques, y aurait-il encore des fonctions dont l’homme serait l’unique titulaire ?
On connaît la réponse habituelle : l’homme est là pour assumer la responsabilité. La machine est non responsable, et l’homme doit confirmer ses options, quitte à les modifier le cas échéant : c’est lui le maître à bord.
Oui, mais s’il est maître à bord après le chien, que lui reste-t-il comme responsabilité ?
Aucune, parce qu’en tout état de cause, la machine fait mieux que l’homme. Et ça ne concerne pas que les avions et les fusées; et ça ne date pas d’hier. La catastrophe de Tchernobyl aurait-elle eu lieu sans l’intervention des techniciens ?
Alors, que faire des hommes ? Les pilotes dans les avions auront-ils un jour pour seul rôle de taper le carton avec les passagers en attendant l’heure de l’apéro ?
Mais non, pas du tout : il y aura toujours un forcené à ramener à la raison, ou une femme à accoucher avant d’atterrir…

Monday, January 14, 2008

Citation du 15 janvier 2008

Il y a quatre types idéals : le crétin, l'imbécile, le stupide et le fou. Le normal, c'est le mélange équilibré des quatre.

Umberto Eco - Le pendule de Foucault

Ce qui énerve avec Umberto Eco, c’est qu’il recycle en permanence des références puisées dans son immense érudition, sans jamais dire qu’il le fait. C’est ainsi que le Nom de la rose est rempli de pages entières de citations de traités théologiques médiévaux. C’est ainsi qu’il définit ici le normal comme on définit le profil psychologique - équilibre entre des tendances psychiques qui sont pathologiques lorsqu’elles sont prises isolément..

Ce qui choque aussi c’est qu’Eco ne renvoie pas à des tendances psychiques, mais à des données plutôt morales ; quel crédit leur apporter ?

Disons que l’essentiel est de relever que selon Eco, nous tous - nous tous qui nous définissons comme des gens normaux - sommes en réalité pétris de crétinisme, d’imbécillité, de stupidité et de folie. Et même, le parfait crétin n’est que crétin, alors que nous, nous sommes en plus imbéciles stupides et fous : pas de quoi pavoiser…

Je crois en fait que l’intérêt de cette phrase d’Umberto Eco, n’est pas vraiment de constater que la normalité résulte d’un tel mélange. Après tout, on ne voit pas comment un tel amas de carences pourrait hisser l’individu à un niveau de performances supérieur. En revanche on peut admettre qu’il nous engage à plus de modestie : qui sommes-nous pour mépriser ceux que nous jugeons comme inférieurs ? N’avons-nous pas nos carences à nous ?

Et puis aussi, n’y aurait-il pas un monde dans le quel c’est nous - les gens normaux - qui serions les inférieurs et eux les supérieurs ? Il y eut des époques où le crétin bien né était supérieur au génie des mathématiques. Pascal en a même fait un Discours sur la condition des grands (1).

(1) Blaise Pascal : Trois Discours sur la condition des grands (il s’agit du second discours).

Sunday, January 13, 2008

Citation du 14 janvier 2008

La femme et les parfums sont subtils, aussi faut-il les enfermer.

Mahomet

De ses cheveux élastiques et lourds, /Vivant, encensoir de l'alcôve, / Une senteur montait sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours, /Tout imprégnés de sa jeunesse pure, / Se dégageait un parfum de fourrure

Charles Baudelaire - Le parfum - Les fleurs du mal

Non, n’en déplaise à Mahomet - Qu’il m’épargne Sa foudre - les parfums ne sont pas subtils - du moins quand il s’agit de parfum de femme

Les parfums de femme sont généreux et lourds, ils montent sauvages et fauves, ils imprègnent habits, mousseline ou velours. Ils dégagent un parfum de fourrure.

Qui donc va parler du parfum d’un homme ? De l’odeur, certes, mais pas du parfum - à moins d’être dans une pub. La femme en revanche, oui, et pour paraphraser Spinoza, je dirais qu’elle n’a pas seulement une « nature parfumée » : elle a aussi une « nature parfumante ». La nature de la femme s’exprime dans le parfum qu’elle secrète.

Il ne s’agit pas seulement de repérer cette caractéristiques des femmes, qui est d’agir sur les hommes par leur parfum - après tout, si nous n’avons pas de récepteurs pour les phéromones, nous avons un nez, et la survie de l’espèce a été sans doute à ce prix.

Non. Il s’agit aussi de constater que nous recevons ces odeurs comme parfum.
Je crois en effet qu’il suffit de lire le poème de Baudelaire pour comprendre : il décrit le parfum par son effet. Le parfum est ce qui agit sur la sensualité, ce qui produit l’ivresse, qu’il s’agisse de l’extase mystique avec le parfum de l’encens d’une église, ou du parfum de fourrure de la femme.

Dans ces conditions, on comprend que Mahomet nous commande de l’enfermer : mais enferme-t-on un parfum ?

Saturday, January 12, 2008

Citation du 13 janvier 2008

L'homme n'a regardé loin qu'au moment où les objets proches étant dérobés à sa vue

Alain - Les idées et les âges

Alain médite sur la voûte céleste : elle ne nous révèle son contenu que la nuit, lorsque tous les objets qui nous sont proches ont été avalés par l’obscurité. Pour voir loin, il faut ignorer ce qui fait partie de la vie quotidienne, comme Thalès dont la légende dit que, contemplant les étoiles alors qu’il marchait la nuit dans la campagne, il tomba dans un puit : il voyait ce qui est à l’infini du ciel, mais il ne voyait pas ce qu’il y avait à ses pieds ; on s'est moqué de lui. Un peu comme l’albatros de Baudelaire, le géant est incapable de vivre dans un monde de nains.

Bon, une fois que le philosophe a replié ses ailes - de géant - reste l’observation de la vie courante. Alain suppose qu’on ne peut voir à la fois près et loin : laissons aux opticiens - Atoll !!!- le soin de régler ce problème, et voyons ce qu’il en est dans notre quotidien. Avez-vous remarqué combien les gens qui téléphonent dans la rue sont étranges ? Ou plutôt, étrangers à tout ce qui les entourent : ils nous révèlent, là en public, l’intimité de leur sentiments pour leur correspondant (on en sait peut-être un peu plus que celui-ci d’ailleurs, parce que la parole peut mentir là où le visage trahit). Nous pourrions en être gênés, si nous n’étions certains que nous n’existons pas pour ces gens qui, absorbés dans leur conversation, nous ont oblitérés complètement, comme Thalès avec le puit.

Le téléphone éloigne des proches et rapproche des lointains : ce n’est pas une définition de mots croisés ; c’est le chassé croisé qui caractérise la vie d’aujourd’hui.

Certains diront qu’il y a là matière à réflexion pour une politique de la civilisation.

Friday, January 11, 2008

Citation du 12 janvier 2008

Quand on vous assure :
- C'est profond.
Répliquez donc :
- C'est creux, peut-être.

Sacha Guitry - Toutes réflexions faites

Il y a des bons mots qui se réinventent d’époque en époque : ainsi, les Goncourt avaient-ils déjà fait celui-ci dans les années 1850, à propos d’une femme : Pourquoi est-elle impénétrable ? Non pas parce qu’elle est profonde, mais parce qu’elle est creuse. Je n’ai pas l’habitude de donner la parole à ces propos misogynes, surtout quand ils démarrent sur une allusion égrillarde c’est pour cela que je ne les ai pas cités pour commentaire.

Et puis, Guitry a l’avantage de nous limiter à l’essentiel.

Prenons l’exemple du portrait (1). Voici la surface d’un visage, et voici son expression. L’important dans l’expression d’un visage, c’est sa densité, densité qui s’exprime uniquement par sa surface. Mais tout en représentant la surface du visage, le portrait renvoie malgré tout à une profondeur, et parfois à une insondable profondeur ; profondeur provenant de multiples origines, de la conscience, de la pensée, des sentiments (2). L’énigme de Joconde n'est pas dans sa profondeur, mais dans l’origine de cette profondeur.

On voit maintenant ce que c’est que le creux : c’est le degré zéro de la densité.

Au fond, la différence entre le superficiel et le creux n’est qu’une affaire de forme, et donc d’accès. Ce qui est creux - un ravin par exemple - peut être difficile d’accès. Mais il ne sera pas plus intéressant que la plaine environnante.

Ainsi, il y a des surface profondes. Ce sont celles qui retiennent notre attention par la densité de leur signification. Mais le poète se fera l’écho de cette densité en l’imageant grâce à un insondable espace.

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

Louis Aragon Les Yeux d'Elsa

(1) Les remarques qui suivent s’inspirent principalement du livre de Gilles Deleuze - L’image-mouvement (ch.6). On y reviendra peut-être.

(2) Voir la distinction entre visage intensif et visage réflexif dans l’œuvre de Deleuze (p. 128)

Thursday, January 10, 2008

Citation du 11 janvier 2008

Le temps perdu c'est le temps pendant lequel on est à la merci des autres.

Boris Vian

Malgré les apparences, on ne va pas demander encore une fois au poète de nous expliquer ce que c’est que le temps. Par contre, on va trouver quelque chose comme une boussole qui nous indique où trouver le sens de la vie. Déjà pas mal…

Comprenons aussi que Boris Vian ne se borne pas à nous suggérer que lorsqu’on bosse pour un patron, on n’est pas libre parce qu’il fait de nous ce qu’il veut - ou à peu près - et qu’en tout cas nous ne faisons pas ce que nous voulons pour nous mêmes.

Car, et c’est là l’essentiel de cette citation, pour ne plus être à la merci des autres, il faut déjà être quelque chose - ou quelqu’un - soi-même. Comme le disait Kant (1), la minorité c’est dépendre de quelqu’un qui nous dit ce que nous devons faire, que ce soit pour conserver la santé ou pour choisir notre vie.

C’est donc aussi un bon remède contre les excès commis par les parents et les éducateurs. Qu’est-ce qui vous dit que vous ne faites pas perdre leur temps à vos enfants (ou à vos élèves) quand vous les obligez à faire des devoirs de vacances ou quand vous leur imposez je ne sais quoi - tiens, disons une visite de musée ? A quoi ça va leur servir, si ça ne sert pas à assouvir leur besoin de se réaliser, de se développer un peu plus ?

Alors, bien sûr, pour ne plus être à la merci des autres, il faut quand même compter sur eux. Il faut qu’ils montrent ce qu’on ne connaîtrait pas tout seul, qu’ils incitent à apprendre ce qu’on n’aurait pas le courage de s’imposer à soi-même, qu’ils payent les études…

Oui, il faut tout cela. Mais il faut que tout cela soit émancipateur, et pour l’être, il faut que l’enfant devienne adulte grâce à tout cela. Adulte, c’est à dire différent : car copier un modèle, c’est encore être à la merci de lui.

Il est long le temps pour devenir adulte… mais ce n’est pas du temps perdu.

(1) « Il est si aisé d’être mineur… » Voir le texte

Wednesday, January 09, 2008

Citation du 10 janvier 2008

On construit la science avec des faits comme une maison avec des pierres.
Mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.

Henri Poincaré

Déjà il faut admettre qu’une science se construit, et non pas qu’elle s’édifie toute seule, dès lors qu’on a découvert - peut-être par hasard - l’origine d’un phénomène. Comme si Archimède sortant de son bain avait eu l’intuition de son principe simplement parce qu’il a fait déborder la baignoire (cf. Post du 19 août 2007) ; comme s’il n’avait pas possédé déjà auparavant les éléments mathématiques sans les quels cette expérience n’était rien d’autre qu’un fâcheux incident domestique.

Bon : une fois qu’on a admis ça, il reste à comprendre comment on construit une science, alors qu’elle est censée ne tenir compte que des faits. Qu’est-ce qu’il faut lui ajouter pour que ce tas de pierres devienne une maison, et qui ne soit pas quelque chose qui transforme cette maison en palais des chimères ; c'est à dire pour que cette science ne soit pas un délire d’interprétation, un peu comme dans l’astrologie ?

On peut dire que Kant a traité ce problème avec le maximum de clarté dans la Critique de la raison pure. Le plan de la maison dont parle Poincaré, c’est la raison elle même qui le fournit, avec son organisation logique, avec ses concepts et ses exigences rationnelles.

Seulement, ce que Kant ajoute, c’est que ces caractéristiques ne sont valables qu’à condition d’avoir les pierres de la maison à assembler. Si vous reprenez l’exemple de l’astrologie, elle est bien rationnelle dans sa construction : c’est de ce point de vue une science. Mais les pierres qu’elle assemble n’existent pas : ce sont des fantasmes. Que sont les constellations ? Des illusions d’optique, si on admet que les étoiles qui les constituent sont assemblées par notre imagination seule. Et d’où vient l’interprétation de leur influence ? Des lointaines civilisations dont l’ancienneté est la seule caution. Comme si on n’avait pas cru pendant des dizaine, voire des centaines de milliers d’années, que le soleil tournait autour de la terre.

Nous ne ferons pas comme le Facteur Cheval (1) qui de son monceau de pierres a tiré un merveilleux palais… inhabitable.

(1) Si vous avez lu « Facteur Chabal », alors cliquez ici - d’urgence.

Tuesday, January 08, 2008

Citation du 9 janvier 2008

Nous devons croire que tout a une cause, comme l'araignée tisse sa toile afin d'attraper des mouches, et le fait bien avant de savoir qu'en ce monde il existe des mouches.

Georg Christoph Lichtenberg - Le miroir de l'âme

Pas claire la citation de Lichtenberg…

Proposons une paraphrase : Nous devons croire que tout a une cause, comme [nous croyons que] l'araignée tisse sa toile afin d'attraper des mouches, [ même si, en réalité elle] le fait bien avant de savoir qu'en ce monde il existe des mouches.

- Le premier problème, c’est que Lichtenberg semble viser les causes finales - qui supposent la représentation d’un but ou d’une fonction - pour expliquer un phénomène. Depuis Descartes - au moins - la science refuse de genre de présupposé. Bien entendu aucun entomologiste n’acceptera d’entrer dans le raisonnement de Lichtenberg : tout ce qu’on reconnaît, c’est

1 - que l’araignée sait tisser sa toile ; et

2 - que cette toile permet d’attraper des mouches. Et enfin,

3 - que l’on ne se demande par pourquoi l’araignée tisse une toile, mais comment elle s’y prend.

- Le second problème, qui est sans doute plus intéressant, c’est la raison pour la quelle nous devons « croire » que tout a une cause - même non finale - avant même de « savoir ». Pour Lichtenberg, la question reste en suspens.

Mais, pour Claude Bernard (1), c’est tout simplement la condition de possibilité de la recherche scientifique : si on cherche, c’est parce qu’on croit qu’il y a quelque chose à trouver. Et ce quelque chose, c’est la cause des phénomènes.

- La question est alors : comprendrons-nous mieux les phénomènes lorsque nous aurons déterminé leur cause ?

Sans recourir aux mystères bien profonds de la physique quantique, admettons que quand nous aurons expliqué un comportement par la génétique ou même par la physiologie, nous n’y aurons pas compris grand chose de plus. Prenez la physiologie des passions : savoir que vous aimez votre bonne amie parce que de la testostérone circule dans vos veines au moment où vous la voyez, et que la testostérone existait bien avant que vous sachiez qu’elle - votre astre radieux - allait se lever sur votre horizon, ça vous aide pas forcément…

(1) Il faut croire à la science, c'est-à-dire au déterminisme, au rapport absolu et nécessaire des choses - Claude Bernard in Introduction à l'étude de la médecine expérimental Ch.II § III

Sur le déterminisme, voir post du 5 juin 2007

Monday, January 07, 2008

Citation du 8 janvier 2008

Le travail, c'est ce qu'on ne peut pas s'arrêter de faire quand on a envie de s'arrêter de le faire.

Boris Vian

Pour faire taire toutes les discussions sur la différence entre le travail et les loisirs, je dirais que cette simple phrase de Boris Vian est suffisante.

Quoiqu’on dise, le travail n’a pas pour fonction de satisfaire notre envie de travail. Si je suis artistes peintre, je peins pour mon plaisir et ma passion : je ne pourrais vivre sans ça. Mais si je peins une œuvre de commande, j’ai un sujet à réaliser, des dates à respecter pour la livraison. Si je suis free-lance, même chose : le public m’aime pour un certain style ; si j’en change il me laissera crever de faim avec mes tableaux invendus. Que j’aime ou non faire ce que je fais, c’est pareil : le travail c’est ça.

Qu’on relise Marx (Capital, 3-48) : cette activité [= le travail] constituera toujours le royaume de la nécessité. C'est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté. Seule une utopie, celle d’une société communiste autogérée, permettrait en rendant le travail facultatif, de le libérer. Mais serait-ce encore vraiment du travail ?

Alors, on dira : après tout, le joueur passionné comme le collectionneur compulsif, se trouve dans la même situation lorsqu’il est obligé de se faire interdire l’entrée des casino, ou bien lorsqu’il consulte un psychiatre spécialisé en addiction. Il est pris dans une contradiction qui l’oppose à lui-même, et non à un patron : certes. Mais ça répond tout de même à la définition de Boris Vian.

D’accord, mais ça prouve simplement que cette définition n’apporte pas une précision qui est indispensable. Le travail doit en plus être destiné à satisfaire des besoins vitaux et/ou sociaux. Le chasseur primitif lutte contre le sanglier pour avoir de quoi manger ; le viandard d’aujourd’hui le fait pour s’amuser. Mais il peut aussi organiser des safaris au Kenya parce qu’on y a des gens qui le paient pour ça. Dans ce cas, c’est de sa survie et non de son amusement qu’il s’agit : comme le peintre qui travaille sur commande, il fait ça pour gagner sa vie. C'est au-delà [du travail] que commence… le véritable royaume de la liberté. (idem)

Pas question de travailler plus pour s’amuser plus.

Sunday, January 06, 2008

Citation du 7 janvier 2008

Du temps que les femmes ne votaient pas, on faisait la guerre pour elles. Maintenant qu'elles votent, on la fait pour le pétrole. Est-ce un progrès ?

Boris Vian

Commentaire I

Ah… Si seulement on était encore capable de faire la Guerre de Troie, pour récupérer la Belle Hélène…

Seulement voilà : il faudrait leur retirer le droit de vote. Sinon, qu’elles aillent au diable si elles le veulent, on a mieux à faire : on fait la guerre pour le pétrole.

Remarquez que Boris écrit ça probablement à l’époque du débarquement à Suez (1956). Les choses n’ont guère changé depuis, et on nous pronostique toujours plus de conflits pour la possession des champs pétrolifères.

Bon, pourquoi cette citation ? Sûrement pas pour revenir sur le caractère belliqueux des femmes : ça on l’a déjà fait. Mais plutôt parce qu’elle soulève un point important : si la guerre peut se justifier, ce serait sous l’impulsion de l’amour, et non pour satisfaire un intérêt économique.

- A-t-on jamais fait la guerre pour l’amour d’une femme ? Sans doute en a-t-on donné le prétexte. Mais qui pourrait dire que des intérêts économiques militaires ou politiques n’ont pas été plus déterminants ? En lisant Homère, on devine que les Achéens n’ont certes pas attaqué Troie seulement pour venger l’honneur de Ménélas : la prépondérance des cités grecques sur l’Asie mineure était un enjeu bien plus évident.

- Elargissons le champ : a-t-on jamais fait la guerre par simple passion ?

Là c’est plus évident : la haine du peuple voisin a souvent été à l’origine de multiples conflits. Mais justement : ce sont les peuples qui font ce genre de guerre ; le rois ou les dirigeants se servent de ces passions pour satisfaire leur appétit de pouvoir.

- Prenons un exemple : deux pays d’Amérique du sud ont entamé un conflit armé après un match de football au résultat contesté (1). Voilà très exactement ce dont Boris Vian se serait réjoui s’il l’avait connu : tant qu’à faire de se massacrer autant que ce soit pour l’honneur, et non pour le porte-monnaie.

(1) Il s’agit de la « Guerre des cent heures » ( ou « Guerre du football ») - juillet 1969 - entre le Salvador et le Honduras. Voir l’article très étoffé de Wikipedia.

Saturday, January 05, 2008

Citation du 6 janvier 2008

Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.

Nicolas Sarkozy - Président de la République française - Discours au Latran

…dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé : que ceux qui me lisent hors de France - s’il y en a - m’excusent : un citoyen français ne peut entendre ces paroles tomber de la bouche d’un Président de la République française sans sursauter.

J’avais dès le 26 décembre pointé ce discours - qui date du 20 - et dit ma surprise devant l’absence de réactions… Il faut dire que ça commence à venir, en particulier de l’excellent Henri Pena-Ruiz, dont la tribune dans le Figaro énumère les « Cinq fautes du président » beaucoup mieux que je ne le ferais moi-même. Qu’on s’y reporte.

Je me contenterai de remarquer que ce passage du discours place le domaine moral dans le périmètre de l’héroïsme. Celui qui enseigne la morale est caractérisé par la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance : c’est donc bien un héros. Sacrifice et espérance - on devine sacrifice parce qu'espérance - sont les zones dans les quelles les valeurs deviennent perceptibles. Sans cela, le bien et le mal ne sauraient se définir que par l’avantageux, ce qui peut inclure l’espérance, certes, mais qui exclut radicalement le sacrifice et l’héroïsme.

Le héros, source de la morale…Bergson… Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, bien sûr : Guy Môquet ! (1)

Mais du même coup, pourquoi faire appel au pasteur et au curé ?
- Guy Môquet est-il un héros messianique ? Non
- Nous a-t-il promis un au-delà meilleur réservé aux pécheurs repentis? Non plus (2)
- Est-il mort en brandissant la Croix ? Non, bien sûr.
Dans ce cas, pourquoi l’instituteur, à supposer qu’il ait à enseigner ce que sont le Bien et le Mal, aurait-il à faire appel au curé pour célébrer ce héros laïque ? Il lui suffirait de lire chaque année la lettre de Guy Môquet…

Je n’ai pas de conseil à donner, mais si j’étais monsieur Sarkozy je virerais Guaino et j’embaucherais Pena-Ruiz.


(1) Sinon voir Post du 22 octobre 2007

(2) S'il a promis quelque chose comme ça, c'est seulement aux justes

Friday, January 04, 2008

Citation du 5 janvier 2008

Malgré ce que soutiennent les riches, l'argent suffit à faire le bonheur des pauvres ; malgré ce que s'imaginent les pauvres, l'argent ne suffit pas à faire le bonheur des riches.

Jean d'Ormesson - C'était bien

Voilà une bien belle pensée. Je vous l’offre, mais elle ne me contente pas tout à fait.

Déjà, n'y aurait-il pas comme une condescendance d'aristocrate à l'égard des "pauvres" dont le petit bonheur se contenterait d'un peu d'argent, alors que les "riches" sont tout de même plus exigeants?

Certes. Mais je voudrais faire une autre remarque : Jean d’Ormesson n’a sans doute jamais connu la pauvreté. Et alors, qu’est-ce qu’un pauvre aurait à dire sur l’argent ? Aurait-il seulement envie d’en dire quelque chose ? Ceux qui raisonnent ou déraisonnent sur la fortune sont très généralement ceux qui en sont suffisamment pourvus. Même s’ils ne sont pas riches, ils ne sont pas dans la misère.

On a connu des peintres pauvres, des musiciens pauvres, des poètes pauvres. Mais a-t-on connu des philosophes pauvres ? Ou plutôt, des pauvres qui philosophaient ? Et qui philosophaient sur l’argent en plus ?

Il y en a eu un : c’est Marx. Lorsqu’il était réfugié à Londres il a connu la pauvreté. Il n’a survécu que grâce aux subsides envoyées par Engels, et néanmoins son fils est mort en partie à cause de la misère (1). En 1859, il écrit : « Je ne pense pas qu'on ait jamais écrit sur l'argent tout en en manquant à ce point ».

Qui sait ? Aurait-il écrit de si belles pages sur « l’homme aux écus » et sur « la froide loi de l’argent » s’il n’avait connu un tel dénuement ?

Seulement, cela pose encore une question : faut-il pour philosopher, avoir l’expérience de ce dont on parle ? Avoir été amoureux pour découvrir le sens de l’amour, de sa souffrance ? Avoir été malade pour trouver le sens de la maladie (2) ? Artiste pour découvrir la fonction de l’art ?...

Peut-être. En tout cas, une chose est sûre : Marx n’est pas un pauvre qui devient philosophe. Il est un philosophe qui devient pauvre.

(1) « Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d'argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrais encore me les procurer aujourd'hui » (à Engels, 4 septembre 1852). L'un de ses enfants, Edgar, mourra d'ailleurs de faim. (source Wikipedia)

(2) Là dessus, voir Pascal et sa prière pour demander à Dieu le bon usage de la maladie.

Thursday, January 03, 2008

Citation du 4 janvier 2008


Maître ou valet, chacun doit recevoir son compte ; / Et le pain le meilleur est le pain bien gagné.

Edouard Jouin - Sage réponse (in Livre de morale, 14ème leçon)

Voici un cadeau qui vous est offert par La Citation du jour : la 14ème leçon in extenso du Livre de Morale destiné au début du siècle dernier aux enfants des écoles (quand on parle de morale laïque, il faut savoir ce que ça signifiait, s’agissant de morale diffusée par l’école laïque…)

« Exigence de réhabiliter les valeurs du travail, de l'effort, du mérite, du respect, parce que ces valeurs sont le fondement de la dignité de la personne humaine et la condition du progrès social. » a dit Notre Président dans son allocution pour la nouvelle année.

Grâce à ce document (cours de morale pour l'école), demandons nous comment il pourrait nous aider à comprendre ce que c’est que la revalorisation du travail

1- Faire son travail c’est faire son devoir : on n’a pas à régler son effort sur celui des autres. Les paresseux ne sont donc pas une excuse pour les autres.

2 - Ce qui compte n’est pas de savoir ce que l’on gagne, mais comment on le gagne (le pain le meilleur est le pain bien gagné).

3 - Le salaire est un contrat. Il n’est pas destiné à faire vivre le travailleur, mais à rétribuer sa production (voir la citation de Saint-Paul, Post du 8 mai 2007)

Et voilà comment on remplace la gestion économique (travailler…gagner…) par la question politique : quelle valeur devons-nous assumer collectivement en tant que peuple civilisé ?

Si vous souhaitez être un peu plus éclairé, après avoir écouté l’Allocution, voyez la réponse d’Edgar Morin.

Et si vous voulez la réponse à la réponse, voici un extrait de l'interview de Henri Guaino sur France-Info:
"Pour Guaino, la politique de civilisation renvoie à la nécessité de rapprocher la politique du citoyen : "il faut revenir aux valeurs et aux principes fondamentaux de la société et revoir le rapport au savoir, le rapport à la sociabilité, le rapport à la morale."

Du boulot pour Brice Hortefeux...

Wednesday, January 02, 2008

Citation du 3 janvier 2008

J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde.

Paul Nizan - Aden Arabie

Séquence souvenir -

J’avais - presque - 20 ans. Sur le tableau de la classe, la prof de philo avait écrit : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ». Provocation à l’égard des jeunes que nous étions, et qui faisaient les bravaches en moquant les « vieux » - nos vieux - : « des PPH » disions nous (PPH = passera pas l’hiver)… Aujourd’hui ce serait plutôt une revendication d’ados face à des vieux qui veulent imposer silence à leurs lamentations.

J’ai maintenant plus de 3 fois 20 ans et je ne sais plus… Je ne sais plus à quel âge correspond « le plus bel âge de la vie ». Pour Nizan ce serait un âge où l’on est solide, où l’avenir est assuré, l’âge de la sécurité, des certitudes, la force tranquille comme on l’a dit depuis. Est-ce que ça existe ?

Sinon, c’est quoi le bel âge ? On a cité (le 25 novembre 2007) Alain Souchon : c’est à 10 ans qu’il le trouve. Pourquoi pas ? Mais aussi, pourquoi pas à 20 ans ? Ou 30 ? ou 49 ? Ce qui importe c’est de savoir qu’est-ce qui caractérise la belle vie ; trouver ensuite quel âge possède ce caractère est presque anecdotique.

Occasion de rappeler la leçon épicurienne : c’est ici et maintenant qu’est le belle vie. Il n’y a pas de grand ni de petit bonheur. Tout plaisir est bonheur, à condition d’être vécu sans représentations déplaisantes, c’est à dire sans regret du passé, ni crainte de l’avenir. S’interroger sur le bel âge, c’est se mettre en condition de regretter on de craindre. C’est en tout cas affirmer qu’il n’y a pas que ça dans la vie ; à côté du bel âge il y a l’âge ingrat - celui qui ne tient aucune des promesses de la vie.

Tuesday, January 01, 2008

Citation du 2 janvier 2008

Ah, et puis je m'en fous, tenez, donnez-moi, /Avant de mourir, une dernière fois,
Du gris, que dans mes pauvres doigts /Je roule / C'est bon, c'est fort, ça monte en moi, / Ça me soûle.
Je sens que mon âme s'en ira, / Moins farouche / Dans la fumée qui sortira / De ma bouche.

Du gris - Paroles: E. Dumont, musique: F. L. Benech (interprété par : Berthe Sylva)

Alors, ça y est ?

Vous l’avez écrasée votre dernière clope ?

Non ? Pourquoi donc ? Je croyais que depuis hier fumer était devenu interdit ?

Ah !... Vous dites que c’est une conspiration des médias pour faire de la sensation là où il n’y en a pas… La cigarette n’est pas plus interdite par la récente loi anti-tabac que le foulard ne l’était dans la rue après son interdiction dans les lycées… En plus vous avez lu quelque part que Molière faisait l’éloge du tabac…

Vous n’avez pas tort, remarquez (1). Toutefois, je me dois de vous faire observer qu’avec l’allongement de la vie, vous risquez d’avantage qu’à l’époque de Molière d’être victime du tabac.

Allez, racontez-moi. Qu’est-ce qui vous empêche de vous arrêter de fumer ?... Vous ne savez pas ? Je vais vous expliquer.

Ce qui fait obstacle d’après moi au fait de s’arrêter de fumer, c’est le moment où l’on écrase la dernière cigarette. On doit avoir le sentiment d’être comme le condamné à mort qui tire sur sa dernière cigarette avant l’échafaud…

Oui. Mais surtout, il y a un fantasme assez général qui imprègne notre rapport à la cigarette : c’est l’assimilation de l’âme à la fumée de cigarette qui nous impressionne.

Je sens que mon âme s'en ira Dans la fumée qui sortira / De ma bouche. L’exhalaison de la dernière bouffée de fumée de la dernière cigarette est assimilée au dernier soupir, celui par le quel s’échappe l’âme du mourant (2).

D’ailleurs Berthe Sylva n’est pas la seule à le chanter. Jean Cocteau a aussi utilisé cette image pour figurer la mort du poète :

Jean Cocteau - Le Testament d’Orphée (1960)


(1) Sganarelle - tenant une tabatière- Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Molière - Dom Juan (1665)

(2) Rappelons que l’âme (la psyché) a d’abord été considérée comme un air ou un gaz immatériel circulant dans le corps. Telle est l’interprétation qu’on peut donner à la Genèse lorsque Dieu anime Adam en lui soufflant dans les narines.

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Liste des auteurs qui figurent sur le Post d’hier (de gauche à droite et de haut en bas) :

Platon, Aristote, Freud, Bergson, Augustin, Kierkegaard, Merleau-Ponty, Bachelard, Averroès, Lévi-Strauss, Sartre, Descartes, Nicolas de Cues, Bayle, Kant, Chrysippe, Rousseau, Marx, Nietzsche, Bentham, Arendt.