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Thursday, July 16, 2015

Citation du 17 juillet 2015

Tu diras, « Il y a quelque chose qui ne va pas. Je le vois. Qu’est-ce que c’est ? » Il sera stupéfait et il dira, « Comment tu le sais ? »
DF Wallace - The Pale King

Wallace imagine cette phrase adressée à n’importe qui, un quidam, un inconnu (cf. Texte en ligne ici). On pourrait hausser les épaules et dire : « Oui, c’est comme celui qui met dans les boites à lettre de ses voisins un bout de papier anonyme sur le quel est écrit « Fuyez, tout est découvert » et qui prétend déclencher une débandade généralisée.
En réalité, le propos de notre Citation-du-Jour est beaucoup plus édifiant. Oui, en nous tous il y a quelque chose qui cloche. Quelque chose comme une alarme qui retentit au fond de nous, et qui, au mieux, se trouve assourdie et étouffée par la vie qui va. Façon de dire que la pureté des états d’âme n’est rien qu’un équilibre subtil, quelque chose d’adynamique, résultat de tendances contraires qui se neutralisent provisoirement. Finalement quand Freud parlait de l’ambivalence des sentiments, il ne disait rien d’autre. Le pur amour que vous éprouvez pour cette femme que vous aimez tant n’existe que parce que, pour elle, vous avez refoulé toute la haine qu’elle vous inspirait.
En général, quand on dit ça aux gens, ils ont une réaction totalement inverse de celle signalée par Wallace – ils vous disent : « Tu es absurde ! non seulement je l’aime plus que ma vie, mais si je devais en même temps souhaiter l’étrangler de mes propres mains, plus rien n’aurait de sens. Je crois que toi, avec tes « certitudes », tu ne fais que violer la vérité juste pour me déstabiliser. »
Bon – ne nous fâchons pas. De fait, tout cela fait référence à quelque chose de beaucoup plus essentiel et général : ce qui ne va pas en nous, c’est qu’on ne parvient pas être en accord avec nous-mêmes, que notre lutte contre nous-mêmes n’a jamais de fin, bref qu’elle nous est consubstantielle. Là encore, Freud l’a dit très clairement : le conflit est interne avant d’être externe. Il commence à l’enfance du petit Œdipe, lorsque nous nous sommes identifiés à celui dont l’amour était le plus essentiel, c’est  à dire notre Père – ou un substitut quelconque. Etre à la fois l’amant et l’objet aimé, quel pied ! (1). Sauf que ce couple n’est jamais en paix, et  que si l’un reproche à l’autre de ne pas l’aimer suffisamment, l’autre répondra qu’il ne sait pas se rendre aimable.
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(1) L’Œdipe féminin est l’objet de bien des débats. Il n’en reste pas moins que s’il ne comporte pas comme pour le garçon un effet d’identification, il n’en est pas moins un désir d’être désiré – c’est à dire désirable.

Tuesday, May 05, 2015

Citation du 6 mai 2015

[...] le plus précieux de nous-même est ce qui reste informulé.
Gide –Les nouvelles nourritures, p.225
On peut faire dire n’importe quoi à une citation : il suffit qu’elle soit isolée de son contexte et qu’elle comporte des points d’ancrage pour tel ou tel sens.
C’est vrai mais c’est parfois dommage, comme ici quand on peut donner le contexte. Voici ce qu’écrivait Gide, une page plus haut (1) :
« Je sens bien, à travers ma diversité, une constance; ce que je sens divers c'est toujours moi. Mais précisément parce que je sais et sens qu'elle existe, cette constance, pourquoi chercher à l'obtenir? Je me suis, tout le long de ma vie, refusé de chercher à me connaître; c'est-à-dire: refusé de me chercher. Il m'a paru que cette recherche, ou plus exactement sa réussite, entraînait quelque limitation et appauvrissement de l'être, ou que seules arrivaient à se trouver et se comprendre quelques personnalités assez pauvres et limitées; ou plutôt encore: que cette connaissance que l'on prenait de soi limitait l'être, son développement; car tel qu'on s'était trouvé l'on restait, soucieux de ressembler ensuite à soi-même, et que mieux valait protéger sans cesse l'expectative, un perpétuel insaisissable devenir. »
Gide – Les nouvelles nourritures, p.224
Alors, bien sûr, le commentaire devient d’un seul coup superflu. Quoique… On peut encore imaginer en quoi consiste cette constance, mystère informulé. Pour ma part, j’imagine facilement que ça n’existe pas ou plutôt que c’est la source de tout ce qui jaillit en nous, tout ce qui nous arrive comme pensée et comme image avant même qu’on l’ait cherché. Le foyer de la pensée et des sentiments est comme la tâche aveugle de la rétine : impossible de le penser ou de le voir parce que c’est le lieu de toutes les pensées et de toutes les images.
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(1) Si ma mémoire est bonne, Gide critiquait le principe socratique « Connais-toi toi-même »

Sunday, February 19, 2012

Citation du 20 février 2012

J'en avais averti Pierre Quint, lui signalant un fâcheux lapsus : il me fait dire : « Je ne suis jamais ce que je crois que je suis », tandis que j'avais écrit tout différemment et avec beaucoup plus de sens : « Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis ».

Gide, Journal, 1933

Les lapsus ne se produisent jamais par hasard, et Freud a écrit là-dessus des choses bien connues.

Ainsi du personnage dont nous parle Gide, qui croit, intuitivement, que la phrase « Je ne suis jamais ce que je crois que je suis » est beaucoup plus évidente que «Je ne suis jamais que ce que je crois que je suis ». Comme si la connaissance de soi n’était jamais conforme à la réalité, cette connaissance étant sans doute dévolue à autrui qui a le privilège de nous voir de l’extérieur – comme en surplomb.

Or c’est précisément le contraire, et Gide n’hésite pas à dire qu’on a là une idée beaucoup plus signifiante. Si je peux affirmer que je me connais tel que je suis, c’est que je me fais tel que je crois être. Et ça, en effet, c’est fort !

Ainsi, poser à propos de soi-même la question « Que sais-je ? » revient à se poser la question « Que suis-je ? ».

Mais attention à l’ordre dans lequel on prend ces questions. Pierre Quint suppose qu’on part de la réalité objective (ce que je suis) pour aller vers la connaissance (ce que je sais) – comme si le moi à connaitre était une réalité au même titre que la souris ou la grenouille qu’on s’apprête à disséquer. Pour Gide en revanche, le moi dépend de l’effort que je fais pour le connaitre.

On sait que nos désirs ou nos émois, dès que nous les éprouvons, forment notre réalité et en même temps nous en informent. Mais chez Gide, ça va beaucoup plus loin, et on peut établir deux possibilités :

- soit que je sois malléable au point de me conformer à ma représentation,

- soit – plus probablement – que je me limite à être ce que je crois être, éliminant au moins provisoirement, les autres possibilités.

Mais alors, que suis-je quand je ne me cherche pas spécialement ? Quand je suis occupé à vivre et non à (me) connaitre ?

Eh bien, je suis comme le chat de Schrödinger avant qu’on ait ouvert sa boite. Et voilà tout.

Thursday, February 18, 2010

Citation du 19 février 2010

Vérité révélée contre vérité argumentée, le débat est l'un des plus difficiles qui soit, précisément parce que la révélation exclut en principe l'idée même de débat.

Mireille Delmas-Marty – Le Monde de l'éducation - Juillet - Août 2001

Je ne sais sur quel sujet portait le débat au quel on fait ici allusion, mais une chose me paraît sûre : aucun débat ne peut se développer entre des gens supposant posséder la « vérité révélée ». Imagine-t-on un débat entre des adeptes de religions différentes, mais également révélées ? Entre un musulman et un chrétien ? Entre un chrétien et un juif ? Une telle supposition est effectivement ridicule.

Voilà pourquoi l’idée d’un débat sur l’identité nationale qui a agité la France pendant plusieurs mois a été un débat plutôt stérile.

Si en effet il ne peut y avoir débat, c’est parce que l’identité française, dont nous sommes en tant qu’individus l’expression, est notre substance et c’est la raison pour la quelle on ne peut s’en défaire pour l’examiner à distance, comme pour la comparer à d’autres objets du même genre. Débattre sur un tel sujet ne peut avoir aucun sens si on entend par là discuter pour savoir s’il faut accepter ou refuser d’intégrer tel ou tel élément à notre identité. (1)

Bien sûr, on peut à un très modeste niveau admettre le débat. Simplement, il doit avoir pour sens d’intégrer et non de « désintégrer » ces différences dans l’identité nationale.

…Sauf qu’il ne s’agit pas d’un débat, mais tout au plus de nouvelles recettes pour « vivre-ensemble ».

Le terme de recette paraît choquant ? Je comprends cela. Mais il faut alors entreprendre autre chose : quelque chose comme une étude scientifique de cette identité considérée sous l’angle culturel, examiner scientifiquement les compatibilités et les incompatibilités des différentes composantes de la culture française – savoir si par exemple en 2010 il est encore possible d’affirmer que la base de l’identité française est ethnique (2). Mais alors il ne s’agit plus de débats, mais d’argumentation historique et culturelle.

(1) Bien entendu j’admets fort bien que cette identité soit soumise à des changements au cours de l’histoire, changements qui d’ailleurs peuvent être très rapides. Mais il ne s’agit nullement de décision prises par des individus, mais une succession d’états subis par eux.

(2) Comme le soutenait il y a peu un chef de parti d’extrême droite en France.

Monday, January 18, 2010

Citation du 17 janvier 2010

La vieille habilleuse (...) s'appelait Mme Charlemagne. Elle portait avec humilité ce patronyme extravagant
Duhamel, Suzanne
Je connais une arme plus terrible et plus meurtrière que la calomnie, c'est la vérité.
J. Crétineau-Joly – Ecrivain français (1803-1874)
Mon commentaire ne concernera que les patronymes extravagants, comme la madame Charlemagne dont parle Duhamel.
On aura compris que la seconde citation ne m’intéresse que pour le nom de l’auteur : monsieur Crétineau-Joly. (1)
J’imagine qu’un jour un monsieur Crétineau a épousé une madame Joly (ou le contraire, ça revient au même). Ils ont décidé comme on le fait maintenant couramment en France d’unir leurs patronymes et de le léguer à leurs enfants. Et ce nonobstant le ridicule dont cette union était l’origine.
Ils ont de ce fait négligé cette réalité de l’attachement intime qui nous unit à notre nom. Attachement qui rend insupportable non seulement les rires ou les jeux de mots sur notre nom, mais encore les erreurs de prononciations et les fautes d’orthographe.
Notre nom exprime quelque chose de nous, au point que certains vont justement en changer pour échapper à ce que celui-ci dit d’eux – non seulement pour masquer une origine ethnique, mais encore pour refuser de porter le nom du père (comme Picasso) (2).
On peut au contraire le revendiquer comme un blason sur le quel s’inscrit notre qualité, notre noblesse, notre caractère, issus de la lignée à la quelle ce patronyme nous rattache.
L’identité est d’abord ce qui est inscrit sur la carte du même nom, et ce n’est pas un hasard dû à nos institutions. (3) Il en résulte que les lois sur l’attribution du patronyme – et du « matronyme » – aux enfants est une loi qui porte sur nos mentalités beaucoup plus qu’on ne le croirait.

(1) Sur la vérité comme arme fatale, voir le label vérité (ici)
(2) Changement parfois imposé par la commodité, comme Claude Lévi-Strauss qui, durant son exil américain dans les années 40, avait choisi pour ne plus être importuné par des questions lassantes de s’appeler Claude L. Strauss.
(3) Pour une discussion sur l’identité, voir ici

Friday, October 02, 2009

Citation du 3 octobre 2009

On est ce qu’on est, en partie tout au moins.

Samuel Beckett - Molloy

Voilà une citation bien énigmatique : qu’est-ce qu’on est, quand on est ce qu’on est ? Et même : qu’est-ce qu’on est quand on n’est pas ce qu’on est ?

Déjà, admettez s’il vous plait qu’il n’y a pas que les philosophes pour vous prendre la tête avec des questions à la c… (1)

Alors, allons-y doucement :

- Dire : je suis ce que je suis, c’est énoncer le principe d’identité (A=A).

Ce qui suppose un parfaite transparence de la conscience de elle-même, puisqu’on pose l’égalité entre deux choses : l’être que je suis et la connaissance que j’en ai. Le corollaire étant la parfaite distinction entre soi-même et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur.

Exemple : quand on dit après une saoulerie ou à l’occasion d’une colère furieuse « Non, ce n’est pas possible ; ça ce n’est pas moi ».

- Oui, mais ce n’est qu’en partie qu’on est ce qu’on est.

Donc il y a aussi en nous quelque chose qui, soit est venu de l’extérieur, soit gît comme un secret dans notre for intérieur, mais qui de toute façon échappe à notre connaissance et qui ne coïncide pas avec ce que nous avons voulu être.

Tel et le destin chez les grecs (par exemple Œdipe déterminé à commettre son abominable crime sans même le savoir), tel est l’inconscient dans la psychanalyse.

Et aujourd’hui ? Avons-nous quelque chose qui exprime cet étranger qui nous habite de façon plus conforme à notre modernité ?

Après l’inconscient, nous avons cru à l’appartenance à une classe sociale, prolétaire ou bourgeois. Peut-être aujourd’hui faudrait il évoquer les gènes.

Ce qui est encore plus radical que l’inconscient, parce qu’on peut tuer le père, mais on ne peut pas tuer les gènes du père.


(1) Bon. J’admets que ça ne fait pas avancer le problème, mais ça fait du bien de le dire

Tuesday, May 19, 2009

Citation du 20 mai 2009

De me trouver tout seul en présence d'une seule femme me déconcerte beaucoup plus que d'en affronter deux. Une femme, c'est un monde. Mais une femme plus une femme, ce n'est qu'une paire...

Jacques Audiberti – La fête noire

Une femme, seule à seule avec un homme, c'est un monde… car on est dans la relation de personne à personne.

Par contre, une femme plus une femme, ce n'est qu'une paire... Audiberti veut dire je suppose que les deux femmes en question sont face à une autre personne , qu’on est dans la logique d’une relation sociale - ou de séduction amoureuse : ces femmes sont des copines ou des rivales, bref elle jouent l’une et l’autre un rôle destiné à simuler ou dissimuler.

Laissons de côté la question de savoir si cette citation ne concerne que les femmes et pas les hommes, question qui ne m’intéresse pas vraiment : je me sens d'avantage concerné par l'idée que la complexité d’un être ne se mesure pas à la perplexité qu’il soulève.

Et en effet, l’idée que, homme ou femme, nous ayons deux réalités, l’une qui coïncide avec notre être social et une autre qui suit les méandres de notre personnalité plus secrète et sans doute plus authentique me paraît crédible.

Que savons-nous de cette personnalité plus secrète ? Pourquoi n’existe-t-elle pas pour les autres ? La connaissons-nous en nous-mêmes ? Pouvons-nous seulement en parler ?

Elle qui est la source de notre pensée, la source de nos sentiments, la source de nos convictions intimes, il est probable qu’elle ne se pense pas elle-même, ne se sent pas elle-même, ne se rencontre pas elle-même – pas plus que l’œil ne se voit lui-même.

Reste donc notre être social.

Comment évaluer notre réalité sociale ? Si nous l’avons forgée nous-mêmes pourquoi ne pas nous reconnaître en elle ? Après tout quand je pense à moi, est-ce que je pense à autre chose qu’à ça ? Je veux dire : je ne pense finalement qu’à ce que je pourrais dire de moi aux autres.

C’est lorsque les autres m’imposent un personnage que je n’ai pas choisi, pire encore : quand je m’identifie à ce personnage qu’on m’impose (comme le juif de Sartre) que surgit l’aliénation. Ce n’est pas d’être un exemplaire dans une série quelle conque qui est aliénant ; c’est de se voir enfermé dans cette série là, qu’on n’a pas choisie.

Monday, April 20, 2009

Citation du 21 avril 2009


Même ses amants, qui étaient les seuls à avoir le droit de murmurer son prénom, disent, depuis 2002 (allez savoir pourquoi ?!), Miss.Tic. "Il n'y a plus que le fisc et les flics qui connaissent ma véritable identité."

Véronique Cauhapé – Portrait (le Monde du 16 avril 2009

Photo Tina Mérandon pour le Monde

Miss.Tic, même ses amants ne connaissent pas sa « véritable » identité : quoi d’étonnant ? George Sand quand elle écrivait des lettres – et même à des intimes – signait George et non pas Aurore.

Moi qui ne suis ni flic ni percepteur je n’en sais pas plus que vous, mais au fond, quelle importance ? Je veux dire, s’agissant d’un artiste, comment l’identifier – s’il le faut – autrement qu’à son œuvre et rien d’autre. Que Picasso ne se soit pas vraiment appelé ainsi, mais plutôt Ruiz-Picasso, qu’elle importance (à moins qu’on ne pense que la psychanalyse ait quelque chose d’essentiel à dire sur ses tableaux) ?

Allons un peu plus avant dans la question de l’identité.

Croyez-vous vraiment Miss.Tic quand elle dit que ces fonctionnaires sont les seuls à connaître sa véritable identité ? Qu’est-ce donc que l’identité véritable ?

Pour vous, pour moi, c’est ce que mes intimes connaissent – et encore.

Et pour un artiste ? On a déjà répondu : la personnalité de l’artiste, c’est son œuvre, et c’est vrai. C’est vrai, mais c’est insuffisant. Car alors, il faut dire que lui-même, son corps, sa voix, les méandres de son existence – que sais-je encore ? – son aussi son œuvre (1)

Regardez la photo publiée par le journal : croyez-vous qu’un policier saurait en tirer une fiche pour les R.G. ?

Seulement, si on ne peut tirer de cette photo une fiche anthropométrique, il nous reste à y voir un portrait.

Et comme – coup de chance – nous ne sommes pas des policiers, ça nous va tout à fait.


(1) Sans vouloir faire étalage de pédanterie, on rappellera que faire de la vie quotidienne une œuvre d’art, c’était le vœu de Proust.

Wednesday, January 30, 2008

Citation du 31 janvier 2008

Le principe de création vaut pour les êtres et les mondes, il ne vaut pas pour moi.
Je crois que la bataille du commencement et de la reconstitution d’un corps est ma bataille éternelle et que je ne la quitte jamais car je n’entre dans aucun corps.

Antonin Artaud - Cahier de Rodez

Je n’ai pas la prétention d’ajouter un commentaire à ce long et tragique combat qu’Artaud a livré avec lui même, pour accéder à sa propre identité, pour parvenir enfin à coïncider avec lui-même. D’ailleurs le meilleur commentaire n’est-il pas cet autoportrait datant justement de la période de Rodez, la dernière et sans doute la plus douloureuse de sa vie.

Si le combat d’Artaud nous bouleverse, peut-être est-ce parce que c’est aussi notre propre combat. Je veux dire, le combat pour l’identité.

Nous autres adultes, nous sommes persuadés d’en avoir fini avec cette incertitude quant à notre être, à cette quête narcissique de la confirmation de notre identité dans le regard des autres. Nous savons qui nous sommes, et peut-être même regrettons nous les fluctuations d’humeur juvénile qui nous donnaient à croire que le lendemain nous serions un médecin humanitaire dans la brousse africaine ou un trader génial de Wall Street.

Mais, cette identité, certains ne la reconstruisent-ils chaque jour, par exemple en montant sur la balance avant de partir au travail, le pac de Contrex dans le cabas ?… Futile direz-vous : Artaud livrait un tout autre combat. Oui, futile, mais déjà révélateur. Reconstituer son corps, n’est-ce pas là le combat de toute une vie ? Et comprendre que notre identité est justement dans ce combat, qu’il n’y en a peut-être pas d’autre, n’est-ce pas la difficile acceptation du tragique de l’existence ?

Les sages nous diront que le corps est inessentiel, qu’il faut le mépriser, voire même le mortifier pour permettre à l’âme, l’essentiel de notre être s’exprimer.

Pourquoi pas ? Renoncer à coïncider avec son corps (à l’opposé d’Artaud), ce n’est pas pour autant être en paix avec soi-même : il nous reste à coïncider avec l’être que nous croyons - que nous rêvons - d’être. Un saint ou un génie…

Sunday, May 20, 2007

Citation du 21 mai 2007

Le sport, activité noble qui, à l'instar ... de la cuisine au bain-marie ..., permet à l'humain de dépasser son animalité.

Jean Dion - Dans Le Devoir (journal québécois). (1)

Cuisiner, c’est dépasser son animalité : même les cannibales sont de fins cuisiniers (pour vous en convaincre, lisez Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayakis : il y a plein de recettes pour accommoder des restes humains). C’est donc un acte culturel par excellence.

C’est ce que Lévi-Strauss a montré avec son célèbre triangle culinaire




Chacun des sommets du triangle représente l’une des façons de transformer de la matière vivante en nourriture (les viandes entre autre). Certaines transformations sont certes plus proches de la nature que des élaborations « culturelles » :

- le cuit-fumé est plus proche de la nature comme mode d’élaboration (parce qu’entre le feu et la viande il n’y a que l’air (=la fumée)) que le « cuit-bouilli » qui requiert en plus des ustensiles (récipients) et un médium (l’eau).

- Mais en revanche, le résultat du premier est plus culturel que le second : le boucané se conserve plus longtemps qu’à l’état naturel ; le bouilli par contre ne se conserve guère.

J’ajouterai que si le pourri nous paraît incompatible avec la consommation, c’est que nous avons oublié que, traditionnellement, il se retrouvait articulé avec d’autres modes de préparation culinaire (cas du faisandage ; nous parlons aujourd’hui plus joliment de viandes « rassies »).

Au fond ce qui est utile, ce n’est pas de remplacer son livre de cuisine par un traité d’anthropologie (même structurale). C’est de prendre conscience que rien dans ce que fait l’homme n’est strictement naturel. Et tout acte de culture peut s’analyser en terme d’opposition (cru/cuit ; salé/sucré)… Et que ces oppositions ne sont pas naturelles mais qu’elles dépendent du système dans le quel elles figurent (exemple justement du sucré et du salé, qui ne s’opposent pas dans toutes les cuisines).

A méditer à l’heure où le métissage des cuisines est plutôt à la mode…
…mais le ministère de l’identité nationale va y mettre bon ordre, je sens ça.

(1) Qui c’est ce Jean Dion ? Le père de Céline ? Tout ce que j’ai trouvé, c’est ça : Conseiller en communication québécois (1949- ) auteurs de nouvelles.

Friday, February 16, 2007

Citation du 17 février 2007

Les mamelles convertissent dedans soy mesmes la nourriture que prennent les femmes, en lait que puis après elles rendent par les bouts.
Jacques Amyot
- Ça y est ! Encore son fétichisme mammaire qui le reprend ! Et la dernière attaque remonte à quelques jours seulement : les crises se rapprochent….
- Hé bien, non, vous n’y êtes pas du tout. Ce message a un but beaucoup plus élevé : il s’agit de méditer sur l’identité. Ça vous estomaque, hein ?
Le femmes sont des convertisseurs : avec les aliments - hétérogènes : leur substance n’est pas la nôtre - elles font du lait - homogène au mammifère que nous sommes. Autrement dit, on fait de l’identité avec de l’hétérogénéité. Nous ne sommes donc pas ce que nous mangeons, et il faut une certaine dose d’obsession religieuse pour penser le contraire (cf. message du 24 septembre).
Mais ce qui intéresse ici c’est qu’on prend la question de l’identité par un bout opposé à ce qu’on fait l’habitude. En effet, on se pose habituellement la question du contenu de l’identité : comme Pascal qui demande à partir de quand est-ce que je cesse d’être moi-même : quand je perds ma mémoire ? Ou ma beauté ? On n’arrive jamais à une réponse entièrement satisfaisante, et Pascal en profite pour glisser sa formule : « on n’aime personne que pour des qualités empruntées ». (lire le texte)
Ici, par contre, la question de l’identité est saisie du côté du pouvoir d’intégration. La personne, c’est ce qui transforme le non-moi en moi : par exemple qui transforme un côte de porc en neurotransmetteurs pour produire ces belles pensées que j’aligne dans mon texte ; ou qui assimile la Pensée de Pascal pour résoudre un problème qu’il ne se posait peut-être pas, mais que je peux utiliser néanmoins (1).
Alors, qu’est-ce que les « mamelles » convertisseuses ont d’intéressant ? Pourquoi Amyot prend-il la peine de nous décrire leur fonction ? Hé bien, ici la conversion est d’un genre particulier : elle consiste à transformer le « non-moi » de la nourriture en « non-moi » du lait (puisque la mère ne le consommera pas) ; mais ce dernier est le seul « non-moi » (=aliment) que l’enfant puisse convertir en « moi » (sa substance).
Vous ne comprenez pas ? Mais qu’est-ce qu’elle vous a appris votre nourrice ?
(1) Bien sûr, c’est une condition nécessaire mais non suffisante pour être une personne : le porc aussi est un convertisseur (les américains, autre fois, disaient que le porc est un animal qui convertit le maïs en viande - 4 kilos de maïs pour un kilo de porc). Ce n’est pas une raison pour dire que le porc est une personne, parce que ce qu’il fabrique, lui, c’est du porc et non pas de belles pensées…

Wednesday, April 05, 2006

Citation du 6 avril 2006

« Le vaisseau de Thésée était une galère à trente rames, que les Athéniens conservèrent. Ils en ôtaient les vieilles pièces, à mesure qu'elles se gâtaient, et les remplaçaient par des neuves. Les philosophes soutiennent les uns que c'était toujours le même, les autres que c'était un vaisseau différent. »

Plutarque - La vie de Thésée, 23

A partir de quand la remise en état d’une vieillerie produit-elle une copie - moderne - de l’ancien au lieu de sauvegarder l’ancien lui-même ? Exemple de débat stérile ou bien réflexion sur l’identité ?

Nous savons que notre organisme se renouvelle sans cesse : toutes nos cellules se reproduisent et en l’espace de dix ans nous avons complètement changé de corps - sauf nos cellules nerveuses qui ne se renouvelent jamais - Dans le Banquet, Platon évoque ce cas et en profite pour ajouter celui de nos opinions, nos souvenirs, nos sentiments. Ne sont-ils pas toujours renouvelés, et toujours différents ? Qu’est-ce qui ne change pas ? Et quand je dis « moi, je » est-ce que je désigne une réalité permanente, ou bien ne s’agit-il que du sujet du verbe qui va suivre ?

Ce n’est pas si difficile de répondre en partie du moins à cette question. Ouvrez Proust, à la page de « la petite madeleine » (Du côté de chez Swann) : le souvenir de la tante chez qui le petit Marcel goûtait avec ces miettes de gâteau trempées dans du thé, est un souvenir actuel ; rien ne le distingue du présent, dans la mesure où il ne s’agit que d’un sentiment. Certes il revoit la scène, peut-être même entend-il les voix. Mais ce qui apparaît comme toujours là, qui échappe donc à l’affaiblissement du souvenir, c’est le sentiment vécu sur le moment.

Le petit Marcel ne vous branche pas ? Alors, rappelez-vous du slow de l’été dernier, ou du parfum qui accompagnait vos émois. C’est une véritable réminiscence. Rien n’a changé, ces souvenirs sont inusables, indestructibles, même à 90 ans vous les aurez toujours aussi frais. Et vous radoterez en les racontant.

Maintenant, suffisent-ils à faire une identité ? Retour à la case mystère : que chacun réponde pour son propre compte.