Wednesday, January 31, 2007

Citation du 1er février 2007

Ceux que la fumée n'empêche pas de tousser et que la toux n'empêche pas de fumer ont droit à la reconnaissance de la régie française des tabacs.
Pierre Dac
Un cancer pour deux.
- Bonjour monsieur le Chef de Service.
- Bonjour monsieur Pulmol. Vous avez demandé à me voir ?
- Oui, monsieur le Chef de Service. C’est rapport à mademoiselle Smoky. Vous savez, ma collègue de bureau.
- Oui. Et alors ?
- Eh bien voilà, monsieur le Chef de Service. Je voudrais changer de bureau pour ne plus être avec mademoiselle Smoky.
- Ah bon ? Quelque chose ne va pas ? Vous vous êtes disputé avec elle ?
- Non.
- Il y a quelque chose qui vous choque peut-être ? Dites moi, ce ne serait pas par hasard une question d’hygiène ?
- Non, non, monsieur le Chef de Service
- Alors quoi ? Allez y, parlez, ça restera entre nous.
- Hé bien, voilà : mademoiselle Smoky est une grosse fumeuse vous savez…
- Oui, évidemment. Mais vous devez aussi savoir que le tabac est strictement interdit dans l’entreprise depuis aujourd’hui. Plus aucun fumeur ni dans les bureaux, ni aux toilettes, ni à la machine à café. Rien.
- Ce n’est pas cela, monsieur le Chef de Service. Voyez vous, le bureau est très petit, et il est mal ventilé. Nous restons enfermés tous les deux, huit heures par jour là-dedans. Forcément je finis par respirer le même air qu’elle : l’air que j’inspire est déjà passé par ses poumons. Il s’est chargé de la nicotine et des goudrons dont ils sont capitonnés : résultat c’est moi qui récupère tout ça à chaque fois que je respire. J’ai lu quelque part qu’en pareil cas, il y a tabagisme passif. Que mademoiselle Smoky ait un cancer si elle veut, ça la regarde. Mais moi, je ne suis pas d’accord pour qu’elle m’en fasse cadeau.
Voyez-vous, monsieur le Chef de Service, moi je pense qu’il ne suffit pas d’interdire de fumer. Il faut aussi interdire les fumeurs.

Tuesday, January 30, 2007

Citation du 31 janvier 2007

Si l'on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant: «Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Montaigne Essais - livre I, chapitre XXVIII,

Montaigne et La Boétie… La Boétie et Montaigne… Que nous apprend sur l’amitié cet illustre exemple ? Lisez ce passage des Essais : vous constaterez qu’il n’y a rien à en dire que le célèbre : «Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Ce qui veut dire que l’amitié est consubstantielle à la personne, qu’elle ne s’analyse pas, qu’elle ne se construit pas. On ne devient pas amis ; on est amis, parce qu’on naît amis (1). Tout ami est ami d’enfance ; pas d’amitié qui ne soit co-naissance (1).

Mystique de l’amitié… Mais ne s’agirait-il pas plutôt d’une mystification ? Même en amour une telle prédestination est suspecte : ne relèverait-elle pas de l’ensorcellement d’un philtre d’amour plus que de la réalité ? Je ne cherche pas à ironiser sur des sentiments très respectables et très sincères. Je cherche plutôt à comprendre si, derrière cette conscience de l’absolu ne se cacherait pas une impuissance du langage à dire les sentiments - tous les sentiments.

Pas de langage sans une référence commune. Dans la cas des sentiments, il s’agit d’une expérience commune : <peur> est un mot qui n’a de sens que si vous même avez une expérience personnelle qui cadre avec la situation dans la quelle j’emploie ce mot. Si vous me dites : « regarde ce poirier », je regarde et je sais avec certitude de quoi vous parlez : vous et moi, nous avons vu la même chose. Maintenant, qu’est-ce qui me prouve que ce que vous éprouvez à titre de peur c’est la même chose que moi ? Rien du tout. Et même, dans le cas d’une peur extrême, j’aurai la certitude de ne pouvoir faire appel à une expérience identique chez vous : je dirai alors que ma peur est ineffable. Pareil avec une amitié exceptionnelle. Tout ce qui est unique ne peut se dire que par approximations successives, mais c’est à condition de se laisser analyser en constituants communs. Si l’individu est la somme de ces données communes, alors on peut dire aux autres ce qu’il est. Sinon, nous sommes « au-delà du discours » comme dit Montaigne.

A propos de ce qui est exceptionnel, on dit : « Seul le silence est grand » ; il faudrait peut-être dire plus justement « Seul le silence est vrai »

(1) Et tant pis si ça fait un jeu de mot

Monday, January 29, 2007

Citation du 30 janvier 2007

L'amitié à moitié ne se peut exister car hors la première et bonne moitié se peut alors exister l'inamitié.

René Descartes

Descartes, c’est l’homme qui a besoin de trois mots pour dire ce qui demanderait aux autres hommes trois pages. Résultat : faut s’accrocher pour le suivre…

Remarquez, j’exagère peut-être. Ici, ce n’est pas si difficile, parce qu’il nous conduit à nous poser une question toute simple : quand je n’aime qu’à moitié, de quoi est faite l’autre moitié de mon sentiment ? Réponse : il peut être fait d’inamitié, ce qui suggère au moins que ce genre de sentiment hybride est condamné à s’autodétruire : « L'amitié à moitié ne se peut exister ».

Selon Freud, cette ambivalence des sentiments pourtant est la règle : le seul problème est néanmoins, comme le signalait Descartes, de faire que l’amitié et la haine ne se détruisent pas comme la matière et l’anti-matière. Il faut une cloison étanche, comme l’est la frontière entre deux pays : d’un coté les amis, de l’autre les ennemis (1).

Mais, Freud n’en reste pas là. Pour lui, l’ambivalence est la règle, ce qui veut dire que l’amitié ne peut exister que liée à la haine ; mais cela ne peut exister que dans l’inconscient, dont le mécanisme est caractérisé par le fait que la contradiction des sentiments ne produit pas leur autodestruction : je peux aimer infiniment et détester absolument le même être. L'amitié ne peut donc être qu’à moitié : ce qui veut dire que je refoule - dans mon inconscient - mon hostilité vis à vis de tous ceux que j’aime ; et de même, je refoule mon amour vis à vis de tous ceux que je hais.

Oui, même votre belle mère ; je sais que c’est dur à entendre. Mais c’est comme ça.

(1) Voir message du 24 janvier 2006

Sunday, January 28, 2007

Citation du 29 janvier 2007

Que m'importe que Dieu n'existe pas ? Dieu donne à l'homme de la divinité.

Saint-Exupéry - Carnets

Dieu, qui n’existe pas, donne à l’homme ce qui n’existe pas. Deux paradoxes pour la prix d’un.

Remplacez « divinité » par « spiritualité », et le paradoxe est - en partie - surmonté. La spiritualité, qui caractérise l’esprit en tant qu’il est distincte de la matière, peut en effet se substituer à la divinité qui chez l’homme désigne l’âme en tant que pur souffle divin.

Reste bien sûr que si Dieu n’existe pas il ne saurait nous donner quoique ce soit : il faut donc modifier aussi le début de la citation de Saint-Exupéry : « Que m'importe que Dieu n'existe pas ? L’idée de Dieu donne à l'homme de la spiritualité ».

Ce qui signifie que nous ne devons pas nous demander si Dieu existe ou non ; mais nous devons chercher comment atteindre la plus haute spiritualité, c’est à dire se dépasser soi-même grâce à ce qui fait d’un homme ce qu’il est : son esprit ou son âme. La thèse de Saint-Exupéry serait alors que Dieu - ou son idée - est le moyen le plus efficace pour élever la spiritualité humaine. Bon, voilà une thèse bien claire. Que pouvons-nous en penser ?

Déjà, il faut éliminer l’idolâtrie : pas plus ma bonne amie que Johnny Hallyday ne sont des idoles capables d’élever ma spiritualité. Si la spiritualité est vie de l'esprit, alors rien de ce qui ajoute à mes sensations ou a mes émotions et à mes sentiments ne peut convenir. Peut-être même y aurait-il contradiction, s’il est vrai que, pour qu’il y ait spiritualité, il faut considérer l’esprit comme une réalité d’un ordre différent de celui du corps physique. L’esprit est ce qui refuse le corps, disait déjà Alain. Où cela nous mène-t-il ?

Cela nous mène à éliminer le corps.

Ainsi, dans le Phèdre, Platon imagine que l’âme humaine, autre fois dotée d’ailes est un jour « tombée » dans un corps, perdant du même coup la faculté de voler : le corps est le tombeau de l’âme (1). Pour libérer notre âme, il faut renier ce corps, s’en débarrasser.

Ça ne vous dit rien ? Mais si, rappelez-vous : le Petit Prince (Saint-Exupéry, déjà…), comment fait-il pour s’envoler vers sa planète ? Le petit serpent qui le mord pour le libérer de son corps trop pesant pour le voyage ? … La mort est ce qui libère l’âme, lui permettant de s’élever au dessus du corps.

Ça ne vous rappelle rien d’autre ? Mais si, souvenez-vous : le Vercors, les adeptes de l’Ordre du Temple Solaire, la « translation » vers Sirius… (2)

La spiritualité, ça coûte cher.

(1) voir citation du 9 octobre 2006

(2) Voir « OTS et terrorisme occulte »

L'OTS a exploité, en les dénaturant, quelques éléments du champ historique de l'occultisme" pour "imprimer" dans l'esprit des adeptes-templiers des données irréalistes et aberrantes. La pire des données est celle de l'avenir apocalyptique de la planète Terre, qui aboutira par deux fois à la solution finale, le passage dans l'au-delà. Une mort pour précéder la fin du monde et y échapper en y rejoignant l'étoile Sirius (d'après les astronomes, Sirius est une étoile située à 8,6 années-lumière de notre système solaire, plus massive que le soleil, et la plus brillante du ciel).
On se saura probablement jamais pourquoi les adeptes de l'OTS ont pu croire que leur avenir se situait à l'apogée de leurs fantasmes, l'étoile Sirius, d'où ils pourraient participer à la constitution d'un monde rénové après l'Apocalypse.
Source

Saturday, January 27, 2007

Citation du 28 janvier 2007

Le futur n'est autre que du présent qui se précipite à notre rencontre.

San Antonio - Les pensées

Il faudrait faire réécrire les livres de philosophie par San Antonio (non, pas par Frédéric Dard : lui, il est mort !). Regardez un peu : quand Saint Augustin parle du temps, voici ce qu’il en dit : « D’où s’effectue [le passage du temps] et par où et pour aller où ? D’où, sinon du futur ? Par où, sinon par le présent ?Pour aller où, sinon au passé ? » - Confessions, livre XI (1).

Et en effet, San Antonio ne dit pas autre chose ; mais il le dit de façon à provoquer le lecteur, il lui laisse une chance et de comprendre et de réagir. Comprenez-moi : je ne dis pas vraiment que Saint Augustin est obscur ; il nous illumine au contraire… mais sa lumière vient de loin, comme d’une lointaine étoile ; elle met longtemps à nous parvenir pour nous éclairer.

Qu’y a-t-il à comprendre en effet ? Que le futur « se précipite à notre rencontre » : on saisit immédiatement que le temps se déroule non pas comme on le croit généralement du passé vers le présent, et du présent vers l’avenir, mais au contraire, de l’avenir vers le présent et du présent vers le passé. Chaque jour, la date des prochaines vacances se rapproche de moi, même si je ne fais rien, que je n’agisse pas dans le présent, que je me contente d’attendre : cela ne change rien. De même, la passé s’éloigne, quoique j’y fasse.

Pourquoi faudrait-il réagir à cette définition ? Parce qu’alors, « le futur n'est autre que du présent »… Oui, les vacance prochaines existent déjà, elles sont aussi réelles, aussi immuables que la réalité présente, sauf qu’elles ne sont pas encore disponibles ; elles sont comme le cadeau encore rangé dans sa boite et qui attend que le Père Noël soit passé pour qu’on le déballe… Le fatalisme, la croyance au destin sont les attitudes qui sont attachées à cette vision du temps. Je ne dirais rien de San Antonio, mais je ne doute pas que Frédéric Dard quant à lui ait assumé cela.

Allons nous de passé vers le présent ou du futur vers le passé ? Si vous voulez sortir du dilemme, allez demander à San Augustino.

(1) voici le texte du livre XI avec des notes.

Friday, January 26, 2007

Citation du 27 janvier 2007

Nul ne s'instruit en écoutant; c'est en lisant qu'on s'instruit.

Alain - Propos sur l'éducation (1932)

Lire est une forme de paresse dans la mesure où on laisse le livre penser à la place du lecteur. Le lecteur lit et se figure qu'il pense ; de là ce plaisir qui flatte l'amour-propre d'une illusion délicate.

Julien Green - Journal

Je ne reviens pas sur la lecture (récemment évoquée le 14 janvier) ; je voudrais simplement utiliser ces phrases pour réfléchir sur la raison d’être des citations.

Il ne vous a pas échappé que ces deux énoncés se contredisent carrément : ne risquent-ils pas de ruiner l’intérêt qu’on porte aux citations, en qui on veut voir le reflet de notre vision du monde, le véhicule de notre pensée, la brosse à reluire de notre intelligence ? Le choix d’une citation n’impliquerait-il pas l’oubli de la citation opposée ? Ma thèse sera qu’une citation ne dit rien, ne contredit rien, ne délivre aucun message.

On aura déjà compris où je voulais en venir : une citation n’a d’intérêt que si on lui redonne le sens qu’elle a perdu en perdant son contexte. Un auteur n’écrit pas de citations. Il écrit un texte, et au sein de celui-ci, une phrase, retenue à titre de citation, sera comme un lambeau qu’on lui a arraché. Cette mutilation peut ruiner son sens, lui en conférer un nouveau, il peut même arriver qu’il se conserve sans trop de dommages… Tout dépend de l’usage qu’on en fera.

Selon moi, il y a une règle déontologique qu’on devrait se fixer quand on cite un auteur : on a le devoir de restituer le contexte, ou du moins de n’employer cette phrase que dans celui qui peut honnêtement être substitué au contexte d’origine. Exemple : on devine qu’Alain fait référence à la pensée construite, celle que la rhétorique désigne par le terme de discours ; en revanche, Julien Green vise la lecture-attitude, celle qui relève du snobisme intellectuel qui cherche dans le livre une pensée toute faite, justifiée par le renom de l’auteur ; tout sauf ce qu’Alain appelle « penser ».

Alors, peut-on dire que j’ai respecté ces règles déontologiques ? Non, bien sûr, puisque j’ai institué un nouveau contexte par le rapprochement entre ces deux citations qui n’ont aucun rapport véritable entre elles.

Cela me rappelle une certaine pratique de l’enseignement philosophique, qui procède par débat entre les textes : on y voit Platon affronter Sartre, ou Epicure annoncer Marx. Bien sûr, il suffirait peut-être de respecter la chronologie pour se rapprocher de la vraisemblance ; mais ce n’est pas si sûr. Car là encore, comment trouver un contexte commun qui permette de confronter ces textes ?

On s’en tire en disant que la philosophie est éternelle (philosophia perennis) ; et que les philosophes n’ont jamais fait que mettre des commentaires dans les marges des textes de Platon.

Thursday, January 25, 2007

Citation du 26 janvier 2007

Définition - La Paresse : « La plus grande jouissance sensible, qui ne se mêle d'aucun dégoût, consiste, quand on est en pleine santé, à se reposer après le travail. Ce penchant à prendre du repos sans avoir travaillé, quand on est en bonne santé, s'appelle paresse. »

Emmanuel Kant

Et le 7ème jour, le Seigneur Dieu se reposa…En fait, Il ne s’arrêta pas qu’Il était fatigué (=blasphème), mais parce que Son œuvre était achevée (Genèse - 2, 1-2).

Il y a donc deux sorte de repos : le repos vertueux, qui est celui de l’homme fatigué qui a fini son travail ; et le repos vicieux de celui qui se repose sans avoir travaillé (et sans être fatigué du moins on le suppose puisqu’il est en bonne santé) ; il s’agit de la paresse.

La paresse est un penchant humain : elle serait source de la plus grande jouissance sensible, si elle n’était source de dégoût à l’égard de soi-même. Analysons.

Pourquoi être dégoûté de se reposer sans avoir travaillé ? S’agirait-il d’une simple contradiction ? Du genre :

  • Pour se reposer, il faut être fatigué.
  • On n’est fatigué que si on a travaillé.
  • Or, je n’ai pas travaillé.
  • Donc je ne dois pas me reposer.

Outre le fait que bien des peuples on valorisé l’oisiveté (voir citation du 31 janvier 2006), on renifle ici une odeur d’ordre moral bien fait pour justifier le labeur des classes laborieuses.

Ne s’agit-il pas en effet de condamner la paresse non pas parce qu’elle ne serait pas justifiée par la fatigue, mais parce qu’elle est la jouissance par excellence : comprenez qu’une simple sieste constitue la plus grande jouissance…(1) Une telle délectation est un péché !

Mais il y a plus : le travailleur qui vend sa force de travail, la vend en totalité - du moins sur la période d’une journée de travail - Celui qui s’arrête de travailler sans être épuisé vole son patron ; il ne donne pas cette totalité alors que c’est cela que son patron lui a acheté. Voyez Marx

La paresseux n’est pas seulement un vicieux. Il est aussi un escroc. (2)

(1) Dites donc, c’est quoi ce petit sourire en coin ? Seriez-vous entrain d’insinuer que Kant pratiquait la sieste crapuleuse ?

(2) Pour me faire pardonner ce scandaleux moralisme, voyez la citation du 21 avril consacrée au Droit à la paresse de Lafargue Et puis, tiens, voici même le lien qui vous permet de le lire en ligne.

Wednesday, January 24, 2007

Citation du 25 janvier 2007

Quand on s'indigne, il convient de se demander si l'on est digne.

Abbé Pierre - Servir

Au-delà de toute « abbé-pierrolâtrie », considérons l’abbé Pierre comme un spécialiste de l’indignation. Il est celui dont l’indignation faisait mouche : elle faisait trembler les puissants, parce qu’elle soulevait les faibles. D’où la question : qu’est-ce qu’elle avait de spécial, cette indignation pour toucher ainsi ?

La réponse est : tout dépend de qui s’indigne. Et de quoi on s’indigne.

1 - De quoi s’indigne-t-on ? La définition usuelle du mot nous dit : « indignation : sentiment de colère et de révolte suscité par tout ce qui peut provoquer la réprobation et porter plus ou moins atteinte à la dignité de l'homme. » (TLF) Voilà : on pourrait ne pas s’indigner que l’assassin de l’ourse Cannelle soit relaxé ; on s’indigne du sort des sans-abri parce qu’il porte atteinte à « dignité de l'homme ». Autrement dit, l’indignation est morale, elle ne prend son sens que lors que c’est l’humanité qui est atteinte et bafouée par le sort qui est fait à un homme, quel qu’il soit. On est dans l’impératif catégorique de la morale kantienne (1) car c’est l’humanité, incarnée par chaque être humain qui est en cause.

2 - Qui s’indigne ? La question est mal posée ; l'abbé nous demande : comment pouvons-nous être digne de nous indigner ? La réponse kantienne est ici de peu de secours : pour être moralement dignes, nous devons respecter l’humanité qui est en nous (2). Ainsi, tout ce qui porte atteinte à celle-ci, et en particulier le fait de considérer notre propre corps comme un simple instrument (par exemple de jouissance), nous rend moralement indignes. A ce compte-là personne n’est digne de s’indigner, par même l’abbé Pierre…

La vie du (futur) saint abbé nous enseigne la véritable réponse : pour être digne de s’indigner, il faut montrer par sa vie que l’on ne peut toucher impunément à la dignité humaine, que notre combat est celui de la fraternité. Que chacun ait honte de ne pas s’indigner devant l’exemple donné par la vie de celui qu’indigne le sort des malheureux.

L’« appel du héros » dont parle Bergson n’est pas loin…

(1) « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ».

(2) Voir le message du 8 novembre

Tuesday, January 23, 2007

Citation du 24 janvier 2007

« Dieu et l'Humanité n'ont basé leur cause sur rien qu'eux-mêmes. Je baserai donc ma cause sur Moi : aussi bien que Dieu, je suis la négation de tout le reste, je suis pour moi tout, je suis l'Unique. »

Max Stirner (1806-1856) L’unique et sa propriété

Les anarchistes ont habituellement deux ennemis : l’Etat et la religion ; Ni Dieu, ni maître.

Max Stirner, l’un des précurseur de l’anarchie, en a trois : Dieu, l’Etat et l’Humanité. Humanité que j’écris avec une majuscule : il ne s’agit pas simplement d’un concept ; il s’agit du nom donné à une idéologie selon la quelle chaque être humain reçoit sa valeur et sa vérité d’une essence qui lui est supérieure, qui le contraint à se conformer à une définition bien précise. Pour l’Humanité, l’individu n’est rien ; comme Dieu est l’alpha et l’oméga de la Création, elle est le Tout de tout être humain.

La seule valeur qui vaille, pour Stirner, c’est le MOI, ou si vous préférez, l’UNIQUE. Car Je suis unique, c’est pour cela que je suis sans modèle et sans lois.

Alors on comprendra que Stirner soit si méconnu ; même les anars ont du mal à s’en réclamer. C’est que Stirner est le défenseur de l’égoïsme : je suis pour moi tout. Seulement il ne s’agit plus d’une morale - on est bien au-delà de toute morale : il s’agit d’une philosophie et il s’agit d’un programme politique. Deux thèses : deux paradoxes.

Premier paradoxe : il y aurait une philosophie de Stirner. Or pour lui, aucun concept ne peut définir le moi. Un concept étant une définition générale, un concept du moi serait applicable à tous les mois, dont comme on vient de le dire, chacun est unique et incomparable. Absurde. Voici donc une philosophie sans concept.

Deuxième paradoxe : il y aurait un programme politique de Stirner. Or pour lui, l’action ne peut être collective, puisque personne ne peut décider pour autrui. Comme tous les anarchistes, il se heurte à la difficulté du « vivre-avec » là où aucune lois ne peut être admise. Tout au plus y a-t-il un programme de déconstruction de l’idéologie dominante. Débarrasser les enfants du verbiage que l’éducation leur a imposés, désagréger le troupeau docile qu’on en a fait, libérer l’individu (1).

Fermer les écoles, construire une libre association d’individus… Dès qu’on retrouve la pensée politique anarchiste, on se trouve confrontés à l’alternative : ou bien des anarchistes genre bande à Bonnot, ou bien la gentille utopie de l’Abbaye de Thélème… (2)

(1) « Ce n'est pas le savoir qui doit être inculqué, c'est la personnalité qui doit parvenir à son plein épanouissement » Stirner

(2) Voir citation du 29 mai 2006

Monday, January 22, 2007

Citation du 23 janvier 2007

Le voici [le vaste monde] déjà brisé par l’âge, et la terre épuisée/ Enfante à grand peine de petites créatures,/ Elle qui engendra toute espèce et donna / Les corps gigantesques des fauves en ses gésines.

Lucrèce - De la nature II, vers 1150-1153

Energie renouvelable… Développement durable… Vous y croyez, vous ? En tout cas vous croyez sans doute que cette préoccupation remplace l’insouciance d’hommes nourris à l’idée que la terre est inépuisable, que le minerai pousse comme la racine des plantes dans le sol, que la divine Providence veille sur un monde accordé à nos besoins.

C’est là l’erreur. Lucrèce (1er siècle av. J.C.) conçoit la nature, c’est-à-dire le monde, comme une être vieillissant, emportée comme un être vivant (1) par l’âge vers la stérilité et la mort. Le temps cyclique n’existe pas pour lui, et si la naissance est possible, la renaissance ne l’est pas.

La science moderne ne lui donne pas tort : les célèbres monstres préhistoriques avec leurs T.Rex robustes comme des chars Leclerc, leurs oiseaux grands comme des Airbus et des libellules à l’envergure d’avions de chasse, ont existé ; ils n’existeront plus jamais. Car leur existence était fonction d’une nature dont la fertilité et la profusion était liée à l’émergence des premiers continents. Le milieu naturel est devenu exsangue, notre taille est proportionnée à ses capacités, et les Lilliputiens sont tout juste pour demain. Demain, le Sahara commencera à Fontainebleau.

Qu’est-ce qui revient toujours, toujours identique ? La flèche du temps a gagné l’univers entier : le Big-Bang a sonné le glas de l’éternité.

No future ! Après nous, le déluge ! Voilà des formules qui ne doivent plus nous glacer le sang : ce n’est pas nous qui déglinguons la nature : elle le fait toute seule.

(1) Pour le matérialisme épicurien de Lucrèce, il n’y a pas lieu de faire une différence entre la matière inerte et la matière vivante : les mêmes atomes les composent, les mêmes lois en disposent.

Sunday, January 21, 2007

Citation du 22 janvier 2007

Donner la liberté au monde par la force est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises. En la donnant, on la retire.

Jean Jaurès - L'armée nouvelle

Plusieurs idées ce bousculent dans cette « pensée ».

Les unes frappées au coin du bon sens, telles que : la liberté ne se quémande pas, elle s’exige et elle se prend d’assaut s’il le faut. Du genre « L’émancipation du prolétariat sera l’œuvre du prolétariat ».

Ou bien ceci : la liberté n’est rien sans un contenu que seul l’individu peut définir. Donner la liberté aux autres, c’est leur imposer notre façon d’être libre, donc détruire celle qui serait la leur.

Mais surtout, donner la liberté par la force, c’est forcer à être libre des gens qui ne le veulent pas. Comme on ne peut abandonner tout à fait la liberté, il s’agit d’hommes dont la liberté a été de choisir l’esclavage. En les libérant de leurs chaînes, on les prive de ce que leur libre choix a voulu… Je ne sais pas si de telles personnes existent. Je crois plutôt que c’est inscrit dans un échange : je vous donne la liberté (ou plutôt : telle liberté, soigneusement délimitée), mais en échange je vous prends (par exemple : la sécurité ; ou bien : la prospérité). Marché de dupe : comment pourrait-on nous marchander ce qui nous appartient ?

Mais, pour finir, je choisirai une autre formule, empruntée à Maurice Béjart : « Notre société a oublié que la liberté ne se donne pas, on doit la conquérir, et le grand ennemi dans ce combat, c’est « nous-mêmes », notre paresse et notre suffisance. » (Ainsi danse Zarathoustra - p.95).

Au risque de faire « vieille baderne », je retiendrai cette leçon de morale, consistant à souligner ce qui semble désastreusement oublié aujourd’hui, c’est que notre principal combat doit être livré contre nous-mêmes. Mais attention aux mortifications stériles, aux obsessions d’anorexiques : ce combat doit être libérateur.

Allez en paix, mes bien chers frères.

Saturday, January 20, 2007

Citation du 21 janvier 2007

Ecrire, c'est une façon de parler sans être interrompu.

Jules Renard - Journal

C’est dit de façon brutale, mais c’est bien dit. Nous autres bloggeurs nous savons bien quel confort offre cette écriture où on raconte tout ce qu’on veut sans risquer d’être interrompu par des objections, vexé par l’inattention de notre interlocuteur, dérangé par son téléphone.

Disons la même chose, mais de façon encore plus brutale que Jules Renard : les autres abîment notre pensée. Comme le dit Schopenhauer (cf. citation du 2 juin) nous pensons mieux tout seul qu’à plusieurs, ou plutôt, la pensée à plusieurs n’est pas la nôtre, elle n’est pas le reflet de notre personnalité, de notre intériorité. Certes, Merleau-Ponty dira (1) que dans le dialogue la pensée à deux va plus loin que dans la solitude ; mais elle n’est plus ma pensée.

Posons alors le problème : pourquoi voulons-nous être lus ? Si les autres nous dérangent à ce point, n’est-ce pas que nous les récusons, jusque dans leur jugement ? Ah ! Si tout de même : nous écrivons pour être applaudis. Les autres redeviennent intelligents au moment même où ils nous apprécient : eux, au moins, ils nous ont compris. Etre seul, mais être suivi, voilà l’affaire…

- Caricatural, dites-vous ? - Tiens, vous revoilà, vous ? C’est vous, l’Autre qui vient me perturber au moment où j’écris tranquillement, seul face à mon écran ?

… Oui, mais vous, je vous aime, parce que c’est moi qui vous ai fabriqué. Vous êtes artifice, vous êtes l’Autre rhétorique, celui qui pose les bonnes questions.

Vous êtes mon alter ego.

(1) Phénoménologie de la perception p.407

Friday, January 19, 2007

Citation du 20 janvier 2007

Miss.Tic - Parisienne - éditions Lélia Mordoch

Ohé, les « Infidèles » du Fan club ! la tendance philosophique de Miss.Tic, vous la connaissez ? Selon vous elle serait anarcho-féministe, quelque chose comme l’enfant que Flora Tristan aurait eu avec Bakounine ?

Hé bien, je suis navré de vous démentir : Miss.Tic est platonicienne. Oui : pla-to-ni-cienne, vous m’avez bien entendu ! Et j’en apporte la preuve : l’éthique, c’est l’esthétique du dedans.

Prenez par exemple le Banquet de Platon, en particulier la comparaison qui permet à Alcibiade de décrire Socrate (Banquet, 214a-218b) : Socrate, nous dit-il, est comme ces statues de silènes qu’on trouve dans les ateliers des sculpteurs. Ce sont des statues qui s’ouvrent comme des boites et qui contiennent à l’intérieur la statuette d’un Dieu. Socrate, comme les silènes, est très laid, mais son âme est d’une beauté vraiment divine : esthétique du dedans.

Mais attention ! C’est l’éthique qui est esthétique ; pas le contraire.

Ce qui veut dire que ça ne marche que pour la beauté morale. Certes, la beauté physique peut être un indice de la bonté morale, mais elle ne l’est pas nécessairement, ainsi que le révèle le cas d’Alcibiade (même référence) : sa grande beauté allait de paire avec la dépravation de sa conduite. L’esthétique du dehors n’est donc pas l’esthétique du dedans.

Mais comment appréhender cette « esthétique du dedans » ? Est-ce la belle âme (1) ? Sans doute, mais on retrouvera les difficultés de sonder l’âme des autres (déjà qu’avec la nôtre ce n’est pas si facile). Non, c’est dans ses actions qu’on découvre la beauté de l’âme. Alcibiade ne loue pas Socrate seulement pour ses beaux discours de philosophe, mais aussi pour son endurance et son courage à la guerre, pour son abnégation lorsqu’il l’a sauvé de la mort.

Nous voilà arrivé : Miss.Tic, dans sa grande sagesse nous invite à juger nos amis à leurs (belles) actions et non à leur aspect physique.

Mais alors il faut admettre qu’entre l’esthétique du dehors et l’esthétique du dedans, il y a place pour une troisième catégorie : l’esthétique de la belle action, qui est une esthétique relationnelle, ce qui est en total accord avec la morale grecque.

… « accord avec la morale grecque »… Quoique…


« Nouer des liens » ! Troublante Miss.Tic…

(1) La " belle âme " désigne chez Hegel l’état de la conscience morale soucieuse de la seule pureté de son intention et se refusant dès lors à agir. Cette figure de la conscience constitue une critique du christianisme et de l’idéalisme allemand (le moralisme de Kant et l’idéalisme esthétique et religieux des contemporains de Hegel).

Thursday, January 18, 2007

Citation du 19 janvier 2007

En politique, il faut donner ce qu'on n'a pas, et promettre ce qu'on ne peut pas donner.

Louis XI

Louis XI a-t-il réellement dit une chose pareille ? Après tout, ce qui compte c’est que cette phrase prenne un sens particulier à partir de cette attribution à l’« universelle aragne », maître en ruses et en trahisons de tous ordres, politicien hors paire.

Dans le don il y a trois domaines : ce que je peux donner parce que je l’ai ; ce que je n’ai pas mais que je peux donner quand même (soit parce que ça appartient à d’autres, soit parce que je peux le créer, par exemple un sentiment d’espoir) ; et ce que je ne pourrais pas donner de toute façon, mais que je peux promettre. On a compris que Louis XI excluait d’abord de donner ce qui lui appartenait, mais qu’il se proposait de donner tout le reste. C’est bien ce qu’il a fait durant son règne. Est-ce qu’on peut en faire une règle en politique ?

Devant une pareille question je vais, comme à mon habitude, louvoyer : lorsque un politicien me donne un avantage (par exemple, si je suis fonctionnaire : une augmentation budgétaire - oui, ça s’est vu autre fois), demandons nous : d’où ça vient ? Est-ce qu’il gère différemment les ressources de l’Etat (il donne ce qu’il a) ? Est-ce qu’il va augmenter l’impôt - ou faire appel à l’emprunt - pour budgéter cette augmentation (il donne ce qu’il n’a pas) ? Est-ce une promesse électorale (il promet ce qu’il ne peut pas ou ne veut pas donner) ?

Voilà : le mérite de ces questions, c’est d’être en principe faciles à résoudre - du moins elles ne posent que des problèmes techniques. Mais surtout elles révèlent des choix politiques portant sur des actes clairement définis. Donner aux enseignants ce qu’on prend aux militaires, c’est un choix politique - bon ou mauvais ce n’est pas ici la question. Promettre ce qu’on ne donnera pas, c’est aussi un choix qui révèle une attitude politique par rapport aux citoyens.

A eux de se rappeler la formule de Louis XI : « En politique, il faut (…) promettre ce qu'on ne peut pas donner »

Wednesday, January 17, 2007

Citation du 18 janvier 2007

Aristote dit que la vengeance est une chose juste, fondée sur ce principe qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient.

Montesquieu- Mes pensées

Je résume un peu l’argumentation de Montesquieu (je reproduis la suite du texte en annexe) : la vengeance est la justification de la sanction ; elle n’en n’est pas la mesure.

Si la vengeance est exclue des tribunaux, parce qu’elle est sans limites et qu’aucune mesure de justice ne peut l’exprimer, elle n’en reste pas moins la justification de la sanction pénale (1). Autrement dit celle-ci n’a pas à être exemplaire ; elle n’a pas à punir la désobéissance à la loi. Et l’on n’a pas à condamner la vengeance en tant qu’elle est une passion dans le cœur des hommes, mais seulement à lui imposer le détour par la décision de justice.

Mais, si nous n’attendons pas que cet effet soit mesurable par les victimes en terme de compensation alors que pouvons-nous raisonnablement en attendre ?

On connaît la réponse : la prise de conscience par le coupable de sa faute ; le rachat de sa position dans la société parmi ses semblables. On connaît le résultat : il arrive qu’en prison le coupable le devienne un peu plus par une intention accrue de commettre des forfaits. Lorsqu’il sort de prison les honnêtes gens le considèrent comme un criminel, la sanction pouvant bien éventuellement compenser la faute, mais en aucun cas changer sa nature de criminel.

On est donc devant un double échec de la sanction judiciaire : impuissante à satisfaire le ressentiment des victimes (ou si elle le fait, elle crée du ressentiment chez le coupable), elle est dénoncée comme injuste ; insuffisante pour faire respecter la loi et éviter la récidive, elle est rejetée comme inappropriée.

(1) Voir message du 14 juin

******************

Annexe Texte « complet » de Montesquieu - Mes pensées
« Aristote dit que la vengeance est une chose juste, fondée sur ce principe qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient.
Et c'est la seule façon que la Nature nous ait donnée pour arrêter les mauvaises inclinations des autres ; c'est la seule puissance coercitive que nous ayons dans cet état de nature : chacun y avoit une magistrature qu'il exerçoit par la vengeance.
Ainsi Aristote auroit bien raisonné s'il n'avoit pas parlé de l'état civil, dans lequel, comme il faut des mesures dans la vengeance, et qu'un coeur offensé, un homme dans la passion, n'est guère en état de voir au juste la peine que mérite celui qui offense, on a établi des hommes qui se sont chargés de toutes les passions des autres, et ont exercé leurs droits de sens froid.
Que si les magistrats ne vous vengent pas, vous ne devez pas pour cela vous venger, parce qu'il est présumé qu'ils pensent que vous ne devez pas vous venger.
Ainsi, quand la Religion chrétienne a défendu la vengeance, elle n'a fait que maintenir la puissance des tribunaux. Mais, s'il n'y avoit point de lois, la vengeance seroit permise ; non pas le sentiment qui fait que l'on aime faire du mal pour du mal, mais un exercice de justice et de punition. »

Tuesday, January 16, 2007

Citation du 17 janvier 2007

L'art n'est peut-être que le don de parer la vérité des grâces irrésistibles du mensonge.
Émile BERGERAT - Les soirées de Calibangrève - Cinquante pensées noires
En art, l'exactitude est la déformation et la vérité est le mensonge.
Octave MIRBEAU Les écrivains Le rêve
Deux citations que je renverrai dos à dos - si vous n’y voyez pas d’objection - pour dire que le débat sur la véracité et le mensonge en art est clos.
On opère avec des concepts qui sont minés par l’ambiguïté, l’à-peu-près, la polysémie rampante ; mais de toute façon, que la vérité soit confondue avec la réalité, que le mensonge soit l’illusion ou une déformation de la réalité, que nous importe ?
Ce qui compte c’est de déplacer le problème : Qu’est-ce qui importe vraiment en art ? Et de poser sa solution : en art ce qui importe, c’est de donner à vivre quelque chose de neuf par la réalité de l’œuvre, éventuellement par le contact avec le réel qu’elle nous permet. L’art pictural, depuis les impressionnistes, ne dit rien d’autre. Et la musique « post-romantique » (Wagner !), rien d’autre non plus. Dont acte.
Le sous-problème, c’est qu’avec une telle réponse on risque de bénir n’importe quel délire : je veux dire : délire du spectateur, pas forcément celui de l’artiste. Qu’un gribouillis d’écolier me donne des sensations sublimes (ou un riff joué à la guitare), parce que j’ai pris une quelconque substance prohibée, et me voilà avec une œuvre d’art. On attribue à Picasso l’affirmation qu’on peut peindre n’importe quoi, il y aura toujours quelqu’un (= un critique d’art) pour y trouver un sens. Le snobisme des Précieuses ridicules n’est bien sûr pas mort.
On ne peut pas sortir complètement de cette aporie, sans quoi il n’y aurait que des œuvres d’art dans les musées (!) ; mais on peut s’en servir pour délimiter les contours de l’œuvre d’art.
Selon moi, l’art est une construction qui doit être communicable, c’est dire que le langage doit pouvoir s’en emparer : l’art est ce dont il y a commentaire. Mais, à la différence de l’objet technique, le commentaire de l’œuvre d’art est inépuisable. On a eu l’occasion de le dire bien souvent : si l’urinoir de Duchamp est une sculpture, alors on peut toujours en dire quelque chose et on a raison de le placer dans un musée ; mais si c’est un misérable pissoir, alors il est sans intérêt et sa place est dans les toilettes de Beaubourg.
Mais le commentaire ne suffira pas non plus : déjà parce qu’étant inépuisable, il a toujours besoin de se ressourcer au contact de l’œuvre. Ensuite et surtout, parce qu’une œuvre d’art c’est quelque chose qui se vit. Jouez la Lettre à Elise au piano ; vous la connaissez par cœur ; chaque note est gravée dans votre mémoire, vous pourriez la réciter. Et pourtant, c’est toujours la même émotion qui vous étreint.
Maintenant si vous la jouez avec votre scanner, je suis pas sûr que ça marche...

Monday, January 15, 2007

Citation du 16 janvier 2007

Additionnez-vous !
Nicolas Sarkozy - Intervention préliminaire au Congrès d’investiture de l’UMP
- Mimine, dis-moi qu’est-ce que tu as prévu pour ce soir ?
- Une petite soupe poireaux pommes de terre, et puis une tranchette de jambon. Pourquoi ?
- Non, je veux pas dire pour le repas. Tu as repéré quelque chose à voir à la télé, ou bien tu serais d’accord pour qu’on se prenne un petit digestif après le repas ?
- George ! Je te vois venir : tu veux me faire boire et puis ensuite me faire des tas de cochonneries. Je te connais, va !
Je vais te dire deux choses, George : d’abord tu devrais trouver autre chose que le whisky-coca pour me faire tourner la tête. Ensuite, ce soir je regarde Julien Courbet.
- Tu n’as pas écouté Sarko, à la Courneuve ? Il a dit « additionnez-vous ». Tu veux pas qu’on s’additionne ce soir ?
- C’est malin ça ! Comme si tu ne savais pas qu’en s’additionnant on risquait de se multiplier !
- Qu’est-ce que tu veux dire Mimine ? Tu as bien un stérilet ?
- Ah oui ! Le stérilet, tu sais ce qu’il est devenu depuis notre dernière soirée-digestif ?
- Ben quoi ?
- Tu sais bien que tu t’actives tant dans ces soirées que rien ne reste en place. Pas même ça.
- Ah… C’est ça qui m’était resté en travers du gosier, que j’ai été obligé de boire une rasade de whisky pour avaler tout ça ?

Sunday, January 14, 2007

Citation du 15 janvier 2007

Définition - « Si on entend par luxe tout ce qui est au-delà du nécessaire, le luxe est une suite naturelle du progrès de l’espèce humaine »

Voltaire - Dictionnaire philosophique

Voltaire versus Rousseau (1) : nulle part peut-être leur opposition n’est plus éclatante… et signifiante, car elle reflète un débat fondamental au XVIIIème siècle concernant le rôle et la nécessité du luxe comme facteur de développement économique. Voltaire avec bon nombre d’encyclopédistes y voit la condition de la subsistance des sociétés humaines dans l’époque moderne. Rousseau par contre y voit la preuve de la corruption des mêmes temps modernes : pour lui économie et morale sont indissociables.

Ce débat sur le luxe est-il épuisé ? Epuisement de la planète, CO2 ; 4x4… Impossible d’entrer dans un tel débat ici. Reste à conceptualiser.

1- D’abord, la définition. Le luxe implique qu’un objet soit d’un coût dispendieux, qu’il soit raffiné et superflu : « Tout ce qui est au-delà du nécessaire » dit Voltaire. Mais alors le luxe est partout. Rousseau dit à ce propos : « le premier qui mit des sabots, à supposer qu’il n’eut pas mal au pieds était à blâmer ». On voit ici que, paradoxalement, plus le concept est précis, et plus son application pose de difficultés.

2 - Ensuite, la valeur. Le luxe est l’un des seul concept économique qui au XVIIIème siècle donne lieu systématiquement à des jugements de valeur morale, selon qu’il est jugé corrupteur ou valorisant pour l’être humain.

3 - Voltaire et Rousseau sont d’accord sur l’analyse du progrès. Il y a deux types de progrès : par conquête de satisfactions nouvelles pour des besoins insatisfaits ; et par débordement sur l’inutile, tous les besoins humains étant satisfaits dès le début, sans quoi l’humanité aurait péri avant d’entrer dans l’histoire. Le luxe fait partie de cette seconde catégorie, et c’est la raison pour la quelle il est selon Rousseau corrupteur - puisqu’il nous éloigne de ce que la nature avait voulu pour nous.

Voici le jugement que Voltaire porte sur le luxe : il n’est superflu que par rapport aux besoins, mais il est nécessaire pour le développement de l’humanité. De plus, comme facteur de progrès (il «est une suite naturelle du progrès de l’espèce humaine») il est bon, car la nature de l’humanité est de se développer dans l’histoire.

Quant à nous, qu’en dirons-nous ? Le luxe est invention, il invente aussi les besoins qu’il va satisfaire. Telle était déjà la thèse de Marx : les besoins sont tous historiques, ce qui veut dire qu’ils ne sont jamais naturels, mais qu’ils évoluent en même temps que la production économique. Le superflu d’hier est le nécessaire d’aujourd’hui. Et nous revoilà dans l’actualité.

Si ce n’est plus vrai pour les sabots, ça l’est encore pour les tongs.

(1) Voir message d’hier

Saturday, January 13, 2007

Citation du 14 janvier 2007

J’ai donc refermé tous les livres. Il en est un seul ouvert à tous les yeux, c’est celui de la nature.

Jean-Jacques Rousseau - Emile livre IV (La profession de foi du vicaire savoyard)

Le vicaire savoyard a refermé tous les livres, y compris la Bible : Dieu parle au cœur des hommes, telle est la religion naturelle. Après cela, Rousseau a été obligé de fuir la France pour ne pas être embastillé…

Parmi toutes les critiques du livre, celle-ci est l’une des plus communes : les livres sont inutiles, parce que la réalité seule peut nous apprendre, par l’expérience vécue, tout ce dont nous avons besoin (1). Or, voici que de nos jours il n’est plus besoin de demander aux jeunes de refermer les livres, vu qu’ils ne les ouvrent plus. Et que faisons-nous ? Nous nous lamentons au lieu de nous en réjouir. Peut-on se passer des livres ?

Rousseau dénigre les livres après en avoir beaucoup lu. Il se justifie en disant qu’il ne décrit son cas que pour mettre en garde ceux qui voudraient l’imiter. Reste que le livre permet d’apprendre beaucoup plus et plus vite et qu’on n’a pas trouvé par quoi le remplacer (Mac Luhan s’est manifestement trompé en nous annonçant la disparition de la galaxie Gutenberg (2)) : même sur mon écran d’ordinateur, je passe mon temps à lire, et si des plus jeunes s’activent sur les images des jeux de leur console, ils ne peuvent certes pas se contenter de cela. Certes on lit moins de livres, mais on lit toujours des textes, que l’image ne peut remplacer.

Car c’est cela qui mérite attention : l’image ne fonctionne pas du tout comme l’écrit. Alors que celui-ci nous livre la pensée dans sa succession, donc rend possible les articulations logiques et sémantiques, l’image nous donne tous ses éléments dans la simultanéité. Certes la bande dessinée retrouve les articulations du texte jusque dans la structure de (des) l’image(s). Mais par là elle redevient un texte, soumis aux règles des codes de l’écriture (l’image se « lit » de gauche à droite lorsque l’écriture va dans ce sens, et de droite à gauche dans le cas contraire). Autant dire que, si le sens impliqué dans l’image nécessite, pour devenir une pensée consciente, un décryptage, néanmoins il agit sur notre sensibilité de façon très intuitive, à notre insu, un peu comme pour les messages sub-liminaux.

Le texte agit sur l’intelligence ; l’image agit sur l’affectivité.

(1) Une autre critique chez Platon (Phèdre 274-276) : l’écriture rend possible la diffusion de la science mais elle n’en permet pas le contrôle. Voir message du 22 avril. Comme antidote, voir l’inénarrable texte de Voltaire : De l'horrible danger de la lecture (1765)

(2) En 1962 Mac Luhan annonça que nous quittions la "Galaxie de Gutenberg" pour entrer dans la "Galaxie de Marconi".

Friday, January 12, 2007

Citation du 13 janvier 2007


Inès - Regarde dans mes yeux : est-ce que tu t’y vois ?
J-P Sartre Huis clos
Vous avez vu ? Non ? Approchez-vous de l’écran. Encore rien ? Agrandissez l’image. Ça y est ? Vous avez vu le (la ?) photographe dans les yeux de cette enfant ? On a même l’impression que le flash a fonctionné, alors qu’on est en plein jour. Bizarre. (1)
Dans la problématique de la pièce de Sartre, le regard sur soi qui permet le contrôle de sa propre apparence est devenu impossible : les miroirs ont été démontés. Chacun est donc livré sans défense au regard de l’autre et surtout la coquette Estelle à qui Inès tend ce piège « Regarde dans mes yeux : est-ce que tu t’y vois ? ». L’œil cesse d’être l’organe de la vision pour devenir celui de la réflexion, ce qui inverse sa fonction : au lieu d’être ce qui capte l’image venue de l’extérieur, il devient ce qui renvoie son reflet vers l’extérieur.
Se voir soi-même dans le regard des autres… On est bien sûr dans le symbole, c’est l’expression du regard d’autrui qui me renvoie à moi-même (2). Par exemple, être l’homme généreux dans le regard embué d’émotion, se découvrir aimé dans un regard aimant. Etre le bourreau dans des yeux remplis de terreur.
Ce qui compte néanmoins c’est qu’à défaut d’être l’image objective qui serait réfléchie par l’œil-miroir, le regard soit l’expression d’un sentiment instantané, quelque chose qui ne passe pas par la médiation du langage. Sans que personne ne me dise « Tu es adorable », le regard aimant me le donne à vivre. C’est beaucoup plus fort.
Maintenant, ce n’est pas parce que j’existe dans le regard de l’autre que je coïncide avec ce qu’il me dit de moi : c’est même la source de l’aliénation par autrui chez Sartre.
« L’enfer, c’est les autres » (cf. citation du 24 juin).
(1) Merci à l’auteur du Blog dont j’ai oublié l’adresse et qui a mis en ligne cette ravissante photo.
(2) Ce qui, bien sûr n’arrive pas toujours. Manifestement le regard de l’enfant dans la photo dit à peu près ceci : « Il est où, le petit oiseau ? »

Thursday, January 11, 2007

Citation du 12 janvier 2007

Il ne peut y avoir aucune félicité pour qui vit toujours dans une terreur perpétuelle.

Cicéron - Tusculanes V, xxi

C’est avec l’histoire de l’épée de Damoclès que Cicéron nous conduit à cette conclusion.

Damoclès, courtisan de Denys, le Tyran de Syracuse, prétend que le tyran est l’homme le plus heureux qui soit.

Pour lui montrer son erreur, Denys fait préparer pour Damoclès une chambre où l’on trouve tout ce qui peut contribuer au bonheur des hommes : mets raffinés, vaisselle de vermeille, beaux esclaves… Parfum, couronnes, encens, tout y était. Le lit était d’or, les couvertures, des tapis brodés. Denys fait installer Damoclès sur ce lit ; il ordonne qu’on fixe au plafond, juste au-dessus de sa tête, une épée qui ne tient que par un crin de cheval : Damoclès, terrorisé, ne regarde plus que l’épée et ne voit plus rien des magnificences qui, l’instant d’avant, lui auraient suffi à être parfaitement heureux.

Le sort du tyran est le même que celui-ci : toujours menacé il ne connaît aucune félicité.

Deux remarques dans les marges de cette histoire, pour en généraliser la morale : d’abord pas de bonheur sans un sentiment de sécurité pour l’avenir : voir Kant (1). Autrement dit, sans une certaine inconscience, il est bien difficile d’accéder au bonheur.

Ensuite, c’est l’équilibre psychologique qui fait le bonheur, plus que les biens matériels. J’entends bien que le déséquilibre qui menace Damoclès est celui de l’épée, objet matériel. Mais peut-être que le crin de cheval est très solide, et que l’épée est très légère. Ça ne change rien du tout : tant que Damoclès aura peur de sa chute, il ne pourra jouir des biens qui l’entourent.

L’histoire décidément ne se répète pas : j’en connais un qui aurait aimé être pendu par un crin de cheval.

(1) « Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable, à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive suivant son souhait et sa volonté » KANT - Critique de la raison pratique (Livre II, chapitre V, §V)

Voir aussi l’hirondelle d’Aristote (citation du 8 février)

Wednesday, January 10, 2007

Citation du 11 janvier 2007

Pardonnez tout, n'oubliez rien.

Victor Hugo - Océan

1 - Le pardon est dépassement de la faute mais il n’est pas l’oubli.

Il n’y a pas d’oubli, lorsque la faute à pardonner est irrémédiable et donc inoubliable. Par exemple : même si je vous pardonne, il sera inscrit que le 11 janvier de l'an 2007, vous m'avez humilié. Je ne peux pas faire marche arrière sur le temps, cette faute a sa place marquée dans le temps, c'est une marque indélébile dans l'histoire. De plus, oublier, ce serait renier la valeur qui a été bafouée.

2 - Dilemme : j’ai le devoir de pardonner à celui que j’aime, et pourtant il y a de l’impardonnable.

Pardonner, c’est accepter de vivre encore avec celui qui a commis la faute (cf. message du 23 février) ; c’est dire : ce qui nous relie est plus fort que ce qui nous sépare. Le pardon suppose donc le dépassement de la faute par l’amour.

Oui, mais pardonner peut être au-dessus des forces humaines : si la faute est inexpiable, le pardon suppose un amour infini, et seul Dieu est capable d’un tel amour.

Difficulté : se défausser sur Dieu de la responsabilité du pardon. Que Dieu vous pardonne ! C’est son job. Moi ça ne me concerne pas. Ou plutôt : c’est bien que le pardon soit accordé ; mais qu’on ne me demande pas de pardonner.

3 - Le pardon n’est possible qu’à celui qui demande pardon: rôle du repentir. Ou mieux : le pardon est possible parce que le coupable est capacité à dépasser sa faute.

Ça veut dire que l’homme est capable du bien, même quand il a fait le mal. Ou, si vous préférez, que le mal absolu n’existe pas.

4 - Conclusion : il y a devoir de pardonner à celui que j’aime et qui demande pardon.

Vous avez commis une faute à mon égard, vous demandez pardon, cela veut dire que vous avez une conscience, vous vous êtes rendu compte que c'est une faute que vous ne pouvez réparer. En me demandant pardon, cela signifie que vous me mettez dans le devoir : ou je vous pardonne, ou je vous condamne à vivre dans la culpabilité qui va empoisonner votre vie. Or, c'est cela l'amour que je dois témoigner à votre égard, il faut que je libère votre histoire en vous donnant le pardon,

Aimer, c’est pardonner.

Tuesday, January 09, 2007

Citation du 10 janvier 2007

Sapere aude (Ose penser)

Horace, Epitres,I, 2, 40

Kant - Qu’est-ce que les lumières ?

C’est avec cette belle formule que Kant ouvre son articlé intitulé Qu’est-ce que les lumières ?

Les professeurs de philosophie ont inscrit cette devise sur leur bannière pour défendre la spécificité de leur enseignement. Ça dit à peu près ceci : nous autres philosophes - professeurs de philosophie - nous enseignons que la pensée n’est pas simplement un art - rhétorique - mais relève aussi d’une volonté - morale - et que penser c’est prendre des risques. Car pour penser il ne faut pas se mettre sous le parapluie de tel ou tel penseur. Il faut s’impliquer, parler à la première personne et, surtout, donner aux autres la possibilité de comprendre vraiment ce que l’on dit et de le discuter.

Si j’ai personnellement des réserves sur la valeur pédagogique de cette injonction, je ne peux qu’y souscrire à titre de citoyen.

« La pensée ne se forme que dans un esprit se trouvant seul en face de lui-même ; les collectivités ne pensent point. » (Simone Weil - Oppression et liberté). Certains y trouveront un relent de mépris pour le peuple ; une sorte de platonisme de droite. Et pourtant, ce n’est qu’une évidence, encore attestée de nos jours par l’influence incompréhensible qu'ont les Gourous sur l'esprit de leurs adeptes, quant bien même ils seraient diplômés de Science-Po. Si les sectes ont un tel pouvoir, c’est que précisément leurs adeptes « pensent » collectivement, ou plutôt, n’émettent comme opinion, n’admettent comme vérité, que ce qu’il convient de penser, que ce que le Gourou a déclaré évident. On se rappelle la secte du Mandarom dont le Gourou aujourd’hui décédé (un certain Bourdin je crois) affirmait que des milliards d'êtres surnaturels (Lémuriens, Atlantes) l’attaquaient : non seulement il racontait ses combats devant les fidèles médusés, mais la nuit il les entraînait à se battre contre des Envahisseurs imaginaires. Ces gens ne pensent point : ce qui veut dire que leur conscience - et je parle ici de la conscience psychologique et non de la conscience morale - s’est éteinte.

Monday, January 08, 2007

Citation du 9 janvier 2007

Qui va sur la Grande Muraille conquiert la bravitude.

Ségolène Royal

Ah ! Merci à Ségolène qui vous épargne un ennuyeux post que je me promettais de vous mitonner sur l'esthétique post-moderne (vous ne perdez rien pour attendre). Son proverbe a le tranchant du définitif et le piquant du déconcertant. Parfait.

Mais que veut dire la candidate ? « Chinoiserie » selon François Hollande ; « néologisme », selon mon journal ; expression d’une soudaine « densification de la pensée » selon l’intéressée.

Nous y voilà : cette densification montre que « bravitude » est un mot-valise, c’est à dire un mot constitué par le télescopage de deux termes différents (voir les exemples du site de l’académie de Nancy (1)), traduisant deux idées en une. Il ne s’agit donc nullement d’une simple fantaisie consistant à associer un suffixe (-itude) à substantif unique (du genre sol-itude, alt-itude, branch-itude, etc…), comme certains esprits superficiels auraient pu le croire (ce qui aurait créé un inutile doublet de "bravoure").

La question est donc : attendu que le premier mot dans la valise est « brave », quel est donc le second ? Nous répondrons en tenant compte du lieu où il fut inventé, puisque, nous le savons, c’est lui qui a provoqué cette brusque densification de la pensée.

Hé bien, moi je crois qu’il y a non pas deux, mais trois mots dans la valise. Notre candidate, saisie par l’immensité géographique et historique du lieu a senti pousser en elle cette triple pensée qui devait par contraction, donner la bravitude. Je mettrai donc dans la valise: la bravoure + la solitude + la vastitude. L’homme brave est un héros solitaire, qui éprouve sa bravoure devant l’immensité de cet ouvrage de guerre qu’est la Grande Muraille. Du genre : « Je suis tout seul, il est vrai, mais je serai le héros solitaire qui défendra ces milliers de kilomètres de Murailles contre les invasions barbares. » Autrement dit, Ségolène surveille Le désert des Tartares : préoccupation bien digne d'une future Chef d'Etat.

Voilà. A votre tour de tenter votre chance : postez ci-dessous votre interprétation de la pensée ségolèniste.


(1) Si vous n'êtes pas persuadé par les développements de l'académie de Nancy, reportez-vous à Gilles Deleuze - La logique du sens, où il analyse le rôle des mots-valise chez Lewis Carroll.

Sunday, January 07, 2007

Citation du 8 janvier 2007

Le rire vient de l'idée de sa propre supériorité. Idée satanique s'il en fut jamais! Orgueil et aberration !

Baudelaire - De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques

Le rire c’est du mécanique plaqué sur du vivant.

Bergson - Le rire

Un passant glisse sur le trottoir et s’étale de tout son long. Le spectateur de cet incident se met à rire, alors que pourtant la victime s’est peut-être blessée. Nos deux auteurs prennent le même exemple pour poser la même question : qu’est-ce que le risible ?

Pour Baudelaire, nous nous moquons de la victime : il est tombé là où nous aurions su passer sans encombre. Moquerie stupide, orgueil satanique, le rire est la trace morale d’une autre chute : celle qui nous a entraîné dans le mal.

Bergson répond par une référence à sa propre métaphysique : le rire fuse lorsque le corps vivant se transforme en pantin désarticulé. Chez l’homme qui tombe, le corps cesse d’être habité par le mouvement de la vie, pour se transformer en objet physique, livré d’un coup à la pesanteur et aux lois de la mécanique. A la vie, ductile et souple, toujours entrain de s’adapter à de nouvelles situations, s’oppose la pesanteur de la matière qui fige ces changements comme la lave qui, en se refroidissant, transforme son flot en pierre. Le rire est la revanche du mécanique sur la vie ; il est métaphysique. Bien sûr il faut adapter cette thèse aux différentes occurrences du rire ( voir plus particulièrement, dans l’ouvrage cité, le comique de répétition).

Bon arrivé là, vertige. Que dire qui soit à la hauteur de ces interprétations, nous qui sommes tout en bas, dans le vécu quotidien ? Si Baudelaire est plus intuitif (il suffit d’être soi-même une victime pour voir le rieur comme un crétin débile), Bergson est plus loin de l’expérience immédiate ; mais il permet de regrouper toutes les expériences du risible, qu’elles soient agressives ou innocentes. Il est plus « conceptuel » si vous voulez.

Mais, rien ne vous empêche de prendre les deux car c’est le même prix : celui de la disqualification du rire.


N.B. On peut aussi se reporter au message du 6 novembre

Saturday, January 06, 2007

Citation du 7 janvier 2007

L'anniversaire de naissance n'est, en somme, que la commémoration de la farce sinistre que nous ont faite nos parents en nous mettant au monde.

Alexandra David-Neel

La citation du jour fête aujourd’hui son premier anniversaire. Occasion pour se demander : en fêtant son anniversaire, qu’est-ce qu’on fête ?

Alexandra David-Neel semble faire allusion au rejet bouddhiste du cycle des renaissances. On peut y lire aussi l’attitude pessimiste : Quel malheur pour toi que d’être né.

Tout ça n’encourage pas à fêter un anniversaire. Tentons nos hypothèses :

- D’abord, l’attitude narcissique : ce sont les autres qui me fêtent, et qui se réjouissent : quelle chance pour le monde de posséder un être tel que moi !

- Ensuite, l’attitude égocentrique : je considère le jour de ma naissance comme un jour privilégié parce que, pour moi, rien n’est plus important que moi.

- A partir de là, c’est l’attitude historienne qui se développe : le point de départ, dans le temps, d’un phénomène - ou d’un être - est essentielle pour déterminer ce qu’il est. Le jour de ma naissance est sans doute à nul autre pareil, et c’est pour cela que je suis moi aussi à nul autre pareil.

- On arrive ainsi tout doucement au lien entre anniversaire et astrologie : en fêtant mon anniversaire je tente de retrouver - voire de restaurer - l’ordre qui a prévalu lors de ma naissance.

- Ainsi : l’anniversaire du Christ est fêté chaque année à Noël et à cette occasion on bâtit des crèches pour revivre cet événement (hautbois.., musettes… : cf. message du 24 décembre) : c’est un acte qui est célébré : celui de naître. L’anniversaire est alors d’avantage la fête de la mère que celle du rejeton.

Bon. J’arrête là, parce que je suis arrivé à ce que je voulais : en fêtant le 1er anniversaire de mon Blog, je fête une maternité.

Voyez-vous, jusque-là, j’étais un père. Maintenant, je suis une mère.

Friday, January 05, 2007

Citation du 6 janvier 2007

Dieu serait injuste si nous n'étions pas coupables.

Baudelaire

Comment pourrait-on mieux évoquer l’origine de la croyance religieuse (notez que je n’ai pas dit « de la foi ») ?

Dieu est un même temps l’origine de nos malheurs et le recours contre eux. J’ai vu un tout petit enfant se réfugier en pleurant dans les jupes de sa mère qui venait de lui donner une tape sur les fesses. Voilà comment nous pouvons comprendre la phrase de Baudelaire. Mais surtout il y a cette idée : le mal n’est insupportable que quand il est injustifié : que Dieu nous inflige des tortures insoutenables, mais qu’il le fasse à bon escient. C’est Pascal écrivant sa prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies.

Seulement à ce compte, les pires tourments, les fléaux de l’humanité ont leur justification : il suffit d’admettre que Dieu a ses raisons, qu’elles nous sont inconnues (les voies de Dieu sont impénétrables), et voilà autant de malheurs qu’il nous faut endurer ; que dis-je ? Qu’il nous faut espérer parce qu’ils sont la condition de la rémission des péchés. On peut évoquer comme exemple la vaccine, consistant en l’inoculation d’une maladie voisine de la variole, mais bénigne, qui immunisait de cette terrible maladie (Jennings, au XVIIIème siècle). Le clergé a tonné contre cette pratique, parce que, disait-il, la variole est une maladie envoyée par Dieu pour châtier les hommes de leurs péchés.

Principe : si nous sommes coupables, alors Dieu a raison de nous faire subir les châtiments qui nous frappent.

1ère Conséquence : quiconque souffre est soupçonné d’être un pécheur. La souffrance est une grâce qui nous permet de faire notre paradis. Ne surtout pas empêcher de souffrir. Et voilà la condamnation de la péridurale pour éviter les douleurs de l’accouchement : « Tu enfanteras dans la douleur » dit le Genèse.

2ème conséquence : la science - et la technique - est nécessairement un blasphème contre Dieu.

Voir citation 14 janvier

Thursday, January 04, 2007

Citation du 5 janvier 2007

Aucun homme ne court plus vite qu'une balle de fusil.

Idi Amin Dada

Si vous avez oublié qui était Amin Dada, cliquez ici. Sachez aussi, qu’on racontait que les crocodiles du marigot de son palais présidentiel étaient les crocodiles les mieux nourris d’Afrique : autant dire qu’il n’y avait pas grand monde dans les prisons.

Le décor est planté. Maintenant il est possible de dire que le dictateur ougandais montre par cette citation l’inutilité de la performance humaine, donc de l’héroïsme, face au moyen de destructions mécaniques. Hector et Achille, dont la vaillance se montrait dans la force de leur bras armé, qu’auraient ils valu en présence du 357 Magnum d’Amin Dada ?

L’erreur serait de croire qu’il a fallu attendre l’ère industrielle et les armes de destruction massives pour découvrir l’injuste domination de la matière sur l’esprit. L’Arioste, dans son roman de chevalerie - Roland furieux - montre son héros détruisant l’arme qui rendait inutile l’exploit chevaleresque : l’arbalète (on est au début du 16ème siècle) ; aucun homme ne court plus vite qu’un carreau d’arbalète (1).

Maintenant, allons au cœur du sujet : si l’homme qui l’emporte n’est pas le plus courageux ni le plus intelligent mais celui qui est le mieux armé, alors il faut armer les valeureux, de sorte qu’ils l’emportent sur les généraux dictateurs.

Si vis pacem, para bellum disait la sagesse politique des romains. Quant à nous, nous dirions volontiers : « si tu veux que la sage gouverne, apprends lui le maniement des armes. Il est plus facile de faire un général avec un sage que de faire un sage avec un général ».

Quoique… (2)

(1) A toutes fins utiles rappelons que le carreau d’arbalète parvenait à percer les cuirasses des chevaliers, ce que les flèches ne pouvaient faire - les rendant aussi vulnérables que la piétaille.

(2) Je veux dire : c’est peut-être aussi difficile (qu’alliez-vous imaginer ?)

Wednesday, January 03, 2007

Citation du 4 janvier 2007

L'éternel mystère du monde est son intelligibilité

Albert Einstein - Pensées intimes

Suite du message du 3 janvier

Le monde est donc « intelligible ». D’accord avec Einstein ? Bon. Seulement, tout dépend de ce qu’on veut appeler « intelligibilité »… S’agit-il de se représenter l’univers ou bien s’agit-il de prévoir l’évolution des phénomènes ? Jusqu’à Newton, ces deux éléments allaient de paire ; mieux même, l’un était la condition de l’autre : comment en effet prévoir des phénomènes qu’on n’aurait pas compris ? Et comment les comprendre sans connaître les lois gouvernant leur évolution et leur rapport à d’autres phénomènes. Avec Newton, ça se gâte : la gravité est une action à distance inexplicable et pourtant parfaitement prévisible. Les lois de la gravitation universelles sont si parfaites qu’on les utilise toujours aujourd’hui, quatre siècles après, pour calculer la trajectoire des engins spatiaux ; et en même temps Newton disait, concernant la cause de l’attraction à distance « hypothesis non fingo », je ne fais pas d’hypothèses. On peut prévoir mieux que jamais les effets, sans comprendre les causes.

Einstein est le premier à expliquer les causes de l’attraction universelle (par la déformation de l’espace-temps du fait de la gravité des corps célestes - cf. théorie de la relativité généralisée), il est donc certain d’introduire plus d’intelligibilité dans la compréhension de la nature. Même si, en même temps, on dit que seuls quelques très grands esprits sont capable de comprendre les théories de la relativité…

Seulement, avec la physique quantique, patatras ! finie l’intelligibilité, les phénomènes physiques présents dans les particules de matière sont devenus incompréhensibles pour l’esprit humain. Non pas qu’il faille espérer la découverte d’une cause inconnue comme avec Newton ; non pas non plus qu’il faille être prix Nobel de physique pour y voir clair. Non, c’est plus radical : les lois de la physique quantique sont en parfaite contradiction avec les principes logiques qui régissent le fonctionnement de notre esprit, et avec les observations macrophysiques (1).

Il y a pire : pour Einstein, le monde - ou la nature - forme un tout, qui a son unité. Avec l’arrivée de la physique quantique il y a deux natures : celle qu’on observe dans les étoiles soumise aux lois de la relativité ; et la nature liée aux phénomènes corpusculaires soumis aux lois quantiques.

Et ne comptez pas sur moi pour vous rassurer sur l’unité de la nature en vous exposant la « théorie des cordes » : chacun a ses limites.

(1) Voir à ce propos l’intéressant numéro hors-série de Science et avenir consacré au chat de Schrödinger.

Tuesday, January 02, 2007

Citation du 3 janvier 2007

L'éternel mystère du monde est son intelligibilité

Albert Einstein - Pensées intimes

Vous avez pris de bonnes résolutions pour 2007, et en particulier vous vous êtes promis de vous cultiver un peu et de ne plus vous contenter des informations glanées dans Voici.

La citation du jour vient à votre secours : mathématiques et physique des particules : ça vous va ?

Cette pensée d’Albert Einstein est souvent évoquée pour souligner le rôle joué par les mathématiques en physique. Comment comprendre qu’en manipulant des équations on soit parvenu - par exemple - à découvrir la loi de l’électromagnétisme, bien avant que l’expérience de laboratoire le confirme ? Tout se passe comme si la nature était régie par les mêmes règles que celles qui gouvernent les mathématiques, qui sont celles de notre esprit.

Dans l’antiquité déjà, Pythagore avait affirmé que « tout est nombre » ; il signifiait par là que, grâce au symbolisme des nombres on pouvait rendre compte de tout ce qui existait. Mais aujourd’hui, on ne cherche plus dans ce symbolisme une explication du mystère de la nature. Ce qu’on cherche, c’est - depuis Kant - à répondre à la question « Comment la science est-elle possible ? ». Avec la remarque d’Einstein, c’est la nature de la nature qui est ainsi mise en cause : si la science est possible, c’est peut-être parce que le sujet connaissant ne fait qu’un avec l’objet à connaître. Et alors on se retrouve d’un seul coup dans le champ de la religion, voire même du mysticisme : Dieu a créé l’homme comme il a créé l’univers. Avec la même pâte, avec le même alphabet, qu’importe : quelle que soit la nature de cette communauté de nature, l’important, c’est qu’elle existe ; et le seul fait de comprendre la nature est une preuve de son existence.

On voit que le mysticisme n’a pas reculé devant la science. Le colloque de Cordoue cherchant dans la physique quantique les traces du mystère de l’univers l’a montré de façon éclatante (1) ; mais la tendance à la subversion de la science par la religion est permanente. Partout où il y a du mystère, il y a place pour le mysticisme.

à suivre donc…

(1) sur la physique quantique, voir le message de demain.

Monday, January 01, 2007

Citation du 2 janvier 2007


Craignez, seigneur, craignez que le ciel rigoureux
Ne vous haïsse assez pour exaucer vos voeux !

Jean Racine - Phèdre

Notre agent très spécial a réussi a infiltrer le réseau Echelon.
Il a intercepté ces messages de vœux que nous vous livrons.

- Mon cher Oussama,

je te souhaite une bonne année et surtout une bonne santé. Je sais que tu as des ennuis avec tes reins : fais bien attention à toi, ne bois pas n’importe quoi, surtout dans le désert où tu as dû te réfugier.
Je voudrais te demander quelque chose, Oussama : téléphone-moi dès que possible. Tu sais que nos amis de la CIA sont très inquiets à ton sujet : ils vont jusqu’à dire que tu es peut-être mort !

Si tu lis ces lignes, un petit coup de fil... Pense-y.

Ton George Walker

- Le Président des Etats-Unis d’Amérique à Saddam Hussein. (1)

Meilleurs vœux pour 2007. Que votre santé soit florissante et que vos espoirs soient comblés.

P.S. Saddam, je crains que tu ne prennes froid dans ta prison ; on dit qu’elle est humide. Serre bien ton écharpe autour de ton cou ; je sais que le chanvre n’est pas très chaud, mais c’est mieux que rien.

- Mon Petit Nicolas,

je te souhaite une bonne année 2007, et surtout qu’elle t’apporte le succès que tu mérites.
Tu sais que je vais peut-être quitter la France en mai ; je compte me rendre en Uruguay, on dit que les gens de Punta del Este avaient été très sympathiques avec Jacques Médecin. Dès que je serai là-bas je m’occuperai de te chercher une grande maison au cas où tu en aurais besoin toi aussi. Ça peut toujours servir.

Tonton Chi-Chi

- Bonjour Marie-Georges,

Bonne année et bien des choses aux camarades. Si tu passes par chez nous, monte donc : on a pour toi plein de pralines dans le buffet.

Les Nonniste

- Le président Mahmoud Ahmadinejad salue le peuple israélien, et lui souhaite la réalisation de tous les vœux que la République Islamiste formule à son égard.

- Wladimir Poutine aux Tchétchène :

Le peuple Russe souhaite la paix et la prospérité au valeureux peuple Tchétchène.
Nous savons quelles souffrances ils endurent du fait des bandits qui prétendent les défendre. Mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour alléger leurs épreuves en 2007. Sachant combien ils souffrent d’insomnie du fait des bombardements, nous faisons installer à Grozny des canalisations pour diffuser dans chaque maison un gaz soporifique spécial (le même que pour le théâtre de Moscou) afin que le bruit des bombes ne les dérange plus.