Saturday, July 31, 2010

Citation du 1er août 2010

Hannibal était borgne. Il se moqua du peintre qui le peignit avec deux yeux, et récompensa celui qui le peignit de profil. On ne veut pas être loué trop fadement ; mais on est bien aise qu'on dissimule nos défauts.

Helvétius – Pensées et réflexions

Montrer le bon profil ! Sage conseil, mais aussi sage précaution.

C’est vrai que la morale dégagée par Helvétius est un peu convenue ; en tout cas elle vient avec des gros sabots.

Mais l’anecdote se révèle beaucoup plus fine. Qui donc ne pourrait en tirer profit ?

Car c’est sans rougir que nous pratiquons l’art d’embellir les amis en jetant le voile pudique du silence sur leurs défauts, et en soulignant leurs qualités. Qui donc pourrait nous le reprocher ? S’agit-il de flagornerie ? Nullement.

Reste quand même une chose à éclairer. Si on ne peut nous le reprocher, on peut quand même s’interroger sur les raisons qui nous poussent à pratiquer ce genre de louange par omission.

Car il y a toujours le soupçon de la manipulation. Ne cherche-t-on pas à influer sur le jugement de l’autre en le flattant – même par omission ? Ce n’est alors pas la pratique qui est douteuse, mais son but.

Toutefois, à part les misanthropes, qui donc pourrait y trouver matière à blâme ?

Ne fait-on pas usage de ce procédé utilisé par le portraitiste d’Hannibal, quand nous communiquons d’abord les réussites avant de passer aux défauts ?

En tout cas je suis sûr que dans le monde de l’entreprise on doit l’utiliser à profusion.

Quand le manager général entreprend d’évaluer le travail d’un collaborateur il lui dit en premier :

- Good job ! (1)

Ça peut éviter quelques suicides…

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(1) Si je donne la formule en langue anglaise, ce n’est pas par snobisme, mais parce que le procédé est utilisé plus systématiquement aux US qu’en France. Demandez aux employés de France-Télécom

Friday, July 30, 2010

Citation du 31 juillet 2010

Ce qu'il y a de plus puissant dans le secret, ce n'est donc pas le mutisme qu'il impose, c'est la complicité qu'il crée entre ceux qui en sont porteurs…

Vladimir Jankélévitch – L'ironie (1)

Cher lecteur, dis-moi : as-tu un secret ? Je veux dire, une pensée, un sentiment, un événement que tu sois le seul à connaître et que tu n’aies jamais divulgué à qui que ce soit ?

Non – Ne crois pas que je te demande de me le susurrer dans le creux de l’oreille. Simplement je voudrais savoir : comment tu t’arranges avec ça ?

- Est-ce que tu l’as oublié au point que c’est avec surprise que tu en as de temps à autre la réminiscence ?

- Est-ce au contraire un souvenir cuisant que tu tais pour ne pas en démultiplier l’existence ? (2)

- Ou n’est-ce pas simplement quelque chose que tu ne partages qu’avec des amis dignes de le connaître ?

Si nous relisons avec un peu plus d’attention le texte de Jankélévitch (cf. infra note 1), nous voyons bien qu’il considère le secret sous une forme relative : il ne s’agit pas de quelque chose que personne sauf nous ne connaît ; il s’agit de quelque chose que nous partageons en tant que secret avec quelques personnes.

--> Oui, mais un secret qui est connu de plusieurs, en quoi est-ce encore un secret ?

Deux réponses :

1 – Le secret est ce qui est volontairement caché à tous ceux qui ne sont pas initiés ni confidents. Le secret, c’est ce qui permet de diviser l’humanité en deux groupes : nos amis et confidents d’un coté, et puis tous les autres.

2 – Le secret peut être aussi ce qui constitue la réalité profonde, énigmatique, inexprimable de quelqu'un ou de quelque chose. Le secret est un indice de profondeur : tels sont les secrets maçonniques ou les secrets de la nature. Dans ce cas, je peux partager un secret avec ceux qui ont fait l’effort de venir jusqu’à moi, ou de se hisser un niveau du savoir nécessaire pour le connaître.

Deux jouissances liées au secret :

1 – Celle d’avoir des confidents (3).

2 – Celle de jouir d’une connaissance de l’Etre et de la Vérité.

« O récompense après une pensée / Qu'un long regard sur le calme des dieux ! » Paul Valéry – Le cimetière marin (4)

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(1) Voici le texte complet : « Un secret qu'on est vraiment seul à détenir, un tel secret rendrait malades les plus robustes, et on peut même se demander s'il existe une conscience assez intrépide pour supporter ce tête-à-tête, sans en mourir ; seule une psychanalyse appropriée, en divulguant le grand secret qui nous consume, nous rendrait le sommeil et l'appétit. Ce qu'il y a de plus puissant dans le secret, ce n'est donc pas le mutisme qu'il impose, c'est la complicité qu'il crée entre ceux qui en sont porteurs ; il est à la fois tacite et explicite, exclusif et confiant ; il ferme la bouche aux initiés, il calfeutre portes et fenêtres, mais ce silence dont il s'enveloppe est un silence qui en dit long. »

(2) Voir Racine : Phèdre – Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, / Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable. (Voir ici)

(3) La vogue des Facebook nous révèle que l’important est d’avoir des confidences à faire, et peu importe à qui on les fait. C’est troublant.

(4) Vers inscrits sur la tombe de Paul Valéry

Citation du 30 juillet 2010

Il répond, mon amant, et me dit: Lève-toi vers toi-même, ma compagne, ma belle, et va vers toi-même !

Cantique des cantiques 2 – 10 (Traduction d’André Chouraqui)

Cantique des cantiques – 3

Ici, on aimerait avoir une bonne connaissance de l’hébreu pour vérifier la traduction. Parce que voici ce que donne la traduction de Louis Segond: Mon bien-aimé parle et me dit : Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! (1)

En dehors de la platitude de la formulation, il y a aussi une déperdition d’idée : car n’est-ce une belle pensée que de dire : En venant vers toi, je marches vers moi-même ? En tout cas c’est une jolie formule et si vous avez à faire une déclaration d’amour, je vous la recommande.

Je ne vais pérorer là-dessus et gâcher le plaisir que vous allez avoir à développer comme bon vous semble cette pensée.

Par contre je voudrais insister un peu sur le choix entre des traductions – et même : le choix entre des lectures différentes également possibles d’un texte. Evidemment, ce n’est pas parce que la traduction Chouraqui me parle d’avantage (2) que celle de Segond qu’elle est plus valable. Mais peut-être un texte a-t-il aussi cette fonction d’éveil de la pensée. Le sens d’un texte, c’est aussi – et sans doute surtout – une rencontre entre une pensée « étrangère » : celle de l’auteur – et une pensée « locale » : celle du lecteur.

Il faut bien sûr un décalage pour que ça prenne de l’intérêt : nous n’irions pas lire un texte qui raconte ce que nous savons déjà. Mais il lui faut aussi un point d’ancrage dans notre propre pensée, dans nos préoccupations.

Et tout ça, ce n’est pas seulement une affaire de culture personnelle ; c’est aussi une attitude de curiosité et d’ouverture sans les quelles la lecture est un pensum ennuyeux.


(1) Mon chéri chante et me dit : « Debout, toi, ma compagne, ma belle, et viens t’en » : ça c’est la Traduction œcuménique (TOB). La même formule en 2 - 13

(2) Les lecteurs fidèles de La Citation du jour n’ont sûrement pas oublié le post du 11 juillet dernier où j’abordais déjà l’idée évoquée dans ce passage.


Thursday, July 29, 2010

Citation du 29 juillet 2010

14 - Jardin fermé, ma soeur-fiancée, onde fermée, source scellée !

15 - Tes effluves, un paradis de grenades, avec le fruit des succulences, hennés avec nards;

16 - nard, safran, canne et cinnamome avec tous les bois d'oliban; myrrhe, aloès, avec toutes les têtes d'aromates !

17 - Source des jardins, puits, eaux vives, liquides du Lebanôn !

18 - Éveille-toi, aquilon ! Viens, simoun, gonfle mon jardin !

Que ses aromates ruissellent !

Mon amant est venu dans son jardin; il mange le fruit de ses succulences.

Cantique des cantiques 4, 14-18 (Traduction d’André Chouraqui)

Cantique des cantiques – 2

Mon amant est venu dans son jardin; il mange le fruit de ses succulences.

La sensualité du cantique des cantiques vient disions-nous hier de ce que la totalité des sens se trouve mobilisée pour évoquer les jouissances de l’amour. Et si le « prurit du sexe » (pour parler comme l’Eglise) n’est pas présent dans ce texte, c’est qu’il n’a pas plus de force que le plaisir de humer l’odeur de l’amant, de savourer le goût de sa peau et le soyeux de ses cheveux, etc…

Hier donc, l’amant était une senteur de myrrhe entre les seins de sa belle. Aujourd’hui, c’est cette belle fiancée (1) qui s’offre à la dévoration de son amant.

Car la progression est sensible ici : certes ce sont les senteurs du jardin qui symbolisent de corps féminin ; mais aussi ces senteurs ne sont pas seulement dégagées par des fleurs ou des arbres odoriférants. Ce sont aussi des senteurs de fruits – de fruits qu’on va mordre à belles dents.

Ce passage du Cantique nous permet de préciser ce que signifie de décloisonnement dont nous parlions hier. Si les sensations ne sont jamais isolées les unes des autres c’est parce que – par exemple – un parfum est différent selon qu’il se trouve enfermé dans un flacon ou exhalé par une fleur du jardin. Et de même l’odeur de rose ne saurait être confondue avec celle de la pèche, parce que l’odeur de pèche est toujours en même temps saveur d’un fruit qu’on pourrait mordre.

Merleau-Ponty disait que le rouge du tapis était toujours le rouge laineux du tapis.

La parfum de la belle est celui de la grenade, parce qu’on peux la mordre, la sucer, la mâchonner…



Pardon, je n’égare…


(1) Même la traduction Segond donne : 12 - Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée

Faute de références je ne saurais dire s’il y a une invitation à l’amour incestueux, ou bien si on est dans une métaphore « pharaonique ».

Tuesday, July 27, 2010

Citation du 28 juillet 2010

Mon amant est pour moi un sachet de myrrhe; il nuite entre mes seins.

Cantique des cantiques 1, 13 (Traduction d’André Chouraqui (1) – Illustration de Marianne Clouzot)

Elle ne porte rien / D’autre qu’un peu / D’essence de Guerlain / Dans les cheveux…

Serge Gainsbourg – The initials B.B.

Cantique des cantiques – 1

Voilà l’été, les vacances, la tiédeur des longues soirées au parfum de chèvrefeuille – et des siestes volets clos, raies de lumière sur les murs chaulés de la chambre, couvre-lit froissé sur le parquet……

Bref, c’est la saison des amours.

La Citation du jour, fidèle à sa mission culturelle ne pouvait laisser passer cette saison sans la célébrer de la façon la plus poétique et la plus spiritualisée possible. Le Cantique des cantiques (2) sera j’en suis sûr apprécié de ce point de vue.

Qui de vous, messieurs, ne rêve – s’il ne le fait pas régulièrement – de nuiter entre les seins de sa belle ? Raison pour la quelle le fantasme de la femme à trois seins ne saurait satisfaire réellement les hommes : trois seins signifie plus de place où se nicher (3).

Soyons sérieux… Notons plutôt qu’ici ce n’est pas l’amant qui parle, mais c’est la belle fiancée, et qu’elle compare le ravissement de l’amour à celui que lui procurent les senteurs de la myrrhe.

Si la sensualité dégagée par le Cantique des cantiques est incomparable c’est parce qu’il n’évoque jamais le sexe. Les jouissances qui sont évoquées sont celle du goût, du toucher, de la vue – et donc de l’odorat. C'est exactement la même inspiration que dans la chanson de Gainsbourg : Elle ne porte rien / D’autre qu’un peu / D’essence de Guerlain / Dans les cheveux…

Comprenons-nous bien : je ne dis pas qu’il faut « contourner » le sexe pour évoquer les jouissances de l’amour. Non. Mais que ce qui est le plus fort, c’est d’évoquer ces plaisirs comme embrasant l’être entier et donc le corps entier, au travers de ses différents organes et de ses différentes sensations.

C’est une affaire de décloisonnement.

(1) Une version autre version de ce texte est donné dans la traduction de Louis Segond (1880) ici

(2) La traduction d’André Chouraqui donne comme titre : Poème des Poèmes.

(3) Comme le disait notre citation de l’an dernier : les seins… un c’est pas assez, trois c’est trop.

Monday, July 26, 2010

Citation du 27 juillet 2010

C’est pour mieux goûter la vie que je change son goût…

Patrick Chamoiseau – Solibo magnifique

Solibo est le héros du roman de Patrick Chamoiseau. A Fort de France, Solibo est un conteur qui subjugue les femmes et les hommes, et qui a même un pouvoir sur les animaux. Il est aussi un peu un clochard, mais surtout il pratique un art irremplaçable : celui de la parole.

Toutefois, le voilà qui meurt un jour d’une « égorgette de la parole », étouffé par les mots qu’il n’a pas pu dire parce qu’il n’y avait plus personne pour les écouter… Jolie parabole pour illustrer notre époque avide de communication, où pourtant nos lèvres trouvent de moins en moins d’oreilles pour les écouter… (1)

Mais revenons à notre histoire : en plus de l’art de parler Solibo a un autre talent : celui de vivre et de rendre heureux ceux qui le suivent.

Solibo sait vivre : il sait que pour vivre il ne faut pas de routine, pas de répétition, pas d’habitude. Par exemple, il est impossible de savoir où le trouver, avec qui, se livrant à quelle occupation. Même s’il vient tous les jours à midi Chez Chinotte pour prendre son punch, le voilà qui entre une fois par la porte, une autre fois par la fenêtre, une autre fois par derrière…

Eloge du changement, éloge de la superficialité, éloge du plaisir sans cesse renouvelé parce que sans cesse différent. Nous avions fait il y a un an (voir ici) l’éloge de l’inconstance à la suite d’une citation de Le Clézio : Le Clézio, lui aussi venu des îles – est-ce un hasard ?

Le plaisir de l’inconstance n’est pas ici le plaisir un peu sadique de la séduction. C’est un art de l’effleurement qui suit le contour des choses pour en humer le nectar, et qui en toute liberté vole vers d’autres fleurs. C’est l’art de butiner.

Nous voici loin de la sagesse antique, loin aussi de Nietzsche et de son éternel retour.

Mais nous voici aussi proche des pierres qui roulent parce qu’elles ne veulent surtout pas amasser de mousse.

Car, c’est comme ça que – contrairement à ce que dit la chanson – we can get satisfaction. (2)

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(1) Et Facebook me direz-vous avec ses millions d’amis ? Est-ce que ça ne dément pas ces allégations grincheuses ? Certes, ça réchauffe le cœur. Mais ça ne change rien à notre propos : Chamoiseau dans son livre oppose fortement l’art de la parole à celui de l’écriture. La parole est seulement parole proférée, elle inclut bien sûr tout ce que la personne qui parle ajoute à son message par ses mimiques, le ton de sa voix, ses postures etc. Et aussi – et surtout faudrait-il dire – le lien intime, qui relie le « parleur » à son auditoire.

Facebook qu’on le veuille ou non, c’est de l’écrit. Donc du solitaire.

(2) Paroles anglaises : ici – Difficulté à suivre en anglais ? Pas de Problème : voyez ici

Sunday, July 25, 2010

Citation du 26 juillet 2010

Donner un verre d'eau en échange d'un verre d'eau n'est rien ; la vraie grandeur consiste à rendre le bien pour le mal.

Gandhi – Discours et écrits

Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre.

Evangile de Matthieu 5:39.

Question à 500 millions d’euros : Dans le Sermon sur la montagne, Jésus affirme que si on vous frappe sur la joue droite, vous devez :

Réponse A – Gifler l’adversaire sur la même joue.

Réponse B – Tendre la joue gauche.

Réponse C – Lui donner un coup de pied dans les parties génitales.

Réponse D – Lui faire une caresse.

Aujourd’hui, tout le monde sait lire, donc tout le monde a lu le Sermon sur la montagne.

Mais tout le monde n’a pas forcément lu Gandhi.

En apparence, Gandhi s’inscrit dans une autre perspective que celle de Jésus : il s’agit de l’échange du bien contre le mal.

Car, tendre la joue gauche après avoir été frappé sur la droite, c’est simplement signifier « je ne résiste pas aux méchants », parce que pour leur résister il faudrait être méchant à son tour.

Par contre, rendre le bien pour le mal, c’est signifier non pas simplement que la résistance n’est pas de mise, mais aussi que le mal est inférieur au bien.

Pourtant, entre Jésus et Gandhi, il n’y a qu’une différence de stratégie. Etant donné que le mal se manifeste ici par la violence, la seule question est de savoir comment lutter contre la violence.

- Soit en ne lui résistant pas

- Soit en adoptant une conduite qui manifeste son inanité.

… Tant qu’à faire de donner une réponse à notre Question à 500 millions, j’opterai pour la Réponse D. – C’est mon dernier mot.

Car, au fond, celui qui ne résiste pas ne montre pas grand-chose : après tout, peut-être est-il faible et incapable de toute façon de résister.

Voilà pourquoi Gandhi affirme que rendre le bien pour le mal prouve non seulement l’inanité du mal, mais encore la grandeur de celui qui adopte une telle conduite.

Saturday, July 24, 2010

Citation du 25 juillet 2010

Toute femme a son caprice, répondit-elle à Aristote ; celui d’Omphale était de faire filer un héros, le mien est de chevaucher sur le dos d’un philosophe. Cette condition vous paraîtra peut-être une folie ; mais la folie est à mes yeux la meilleure preuve de l’amour.

Lai d’Aristote (Attribué à Henri d’Andelys, trouvère du XIIIème siècle)

Le Lai d’Aristote raconte comment Phyllis, une courtisane, avait fait perdre la tête à Alexandre au point qu’il en délaissait ses conquêtes militaires. Son précepteur, Aristote, lui en ayant fait le reproche, Phyllis voulut démontrer que même les philosophes étaient près à tout abandonner pour les charmes d’une femme. Ce qu’elle fit, et ayant obtenu grâce à son pouvoir de séduction de chevaucher Aristote, elle l’obligea à rejoindre Alexandre ainsi : à quatre pattes. Selon notre source, il en est resté une expression : « Faire le cheval d’Aristote » ; et aussi cette image :


Gravure de Hans Baldung (datée de 1505)

…Chevaucher le dos d’un philosophe : qui d’entre vous, mesdames n’a pas rêvé d’une telle escapade ?

Non, vraiment, ça ne vous tente pas ?

Je ne vous crois pas ! En tout cas, voyez cette photo, si justement célèbre de Nietzsche avec Lou [Andréas]-Salomé et Paul Rée – lui aussi philosophe et soupirant officiel de la belle Lou.

Lou Salomé, Paul Ree et Friedrich Nietzsche, 1882

Qu’ont-ils fait tous les trois ensemble? Je n’ai pas lu la presse people et donc je ne puis vous répondre. Toujours est-il qu’ils ont posé pour cette photo, qui parait un peu canaille pour qui ne connaît pas le Lai d’Aristote.

Car la ressemblance entre cette photo et la gravure de Hans Baldung (datée, je le rappelle de 1505) est absolument frappante – jusqu’au fouet ridicule tenu par Lou, qui est la copie exacte de celui de la belle Phyllis.

Vous me direz que pour aller jusqu’au bout de la métaphore, il aurait fallu supprimer la carriole et que Lou chevauchât nos philosophes à dos d’homme.

Seulement voilà : si on a trouvé le moyen de mettre deux hommes sur un seul cheval, on n’a pas encore trouvé celui de mettre une femme sur deux chevaux.

Friday, July 23, 2010

Citation du 24 juillet 2010

Un amour commence à exister quand chacun offre à l'autre le fond de ses pensées, les secrets les plus verrouillés. Sinon, ce n'est pas de l'amour, c'est de l'échange de peaux, de désir immédiat.

Katherine Pancol – Un homme à distance

Peinture et poésie se font comme on fait l'amour : un échange de sang, une étreinte totale, sans aucune prudence, sans nulle protection. Le grand saut, à chaque fois.

Joan Miró – Le Figaro Magazine - Juillet 2007

…L’amour, c’est l’intimité sans retrait, alors que la caresse, c’est le contact à la superficie de deux épidermes…

Alors ? Voilà encore le moment des mots bleus ? Celui des fadaises chuchotées qui dégagent un parfum de violette ? Laisse tomber !

Je ne ferai pas grief à Katherine Pancol d’avoir écrit cette phrase. Après tout peut-être avait elle un développement sur les rapports amour/amitié à placer. Mais si je la cite, c’est parce qu’elle me sert de rampe de lancement pour la pensée de Miró sur les étreintes de l’amour.

Entre la caresse qui permet à deux peaux de jouir l’une de l’autre et l’étreinte il y a plus qu’une différence d’intensité. Il y a en outre une fusion entre deux corps, qui ne sont pas seulement faites de muscles et d’os, mais aussi de chair.

Je ne reviendrai pas sur la signification de la chair en amour. J’ai déjà donné mon sentiment là-dessus, grâce au chef d’œuvre de Johnny Hallyday (voir ici). Par contre ce que Miró nous explique, c’est que pour rencontrer l’autre dans l’effusion de l’étreinte, il faut oublier toute prudence, renoncer à toute protection – et bien sûr, on pense tout de suite aux rapports sexuels protégés : sortez couverts !

En vérité, je ne sais pas quand Miró a donné cette interview : en tout cas étant mort en 1983, il n’a sûrement pas connu l’origine exacte du sida.

Mais nous…. Nous qui savons, allons nous dire que l’amour et la capote ne vont pas ensemble ? Allons nous dire à la femme qui défaille entre nos bras : « Chérie, je ne veux pas mettre de préservatif, parce que, faire l’amour avec toi, c’est un échange de sang, une étreinte totale, sans aucune prudence, sans nulle protection. Le grand saut, quoi… »

Thursday, July 22, 2010

Citation du 23 juillet 2010

Les footballeurs sont comme les prostituées. Leur boulot c'est de se détruire le corps pour le plaisir de gens qu'ils ne connaissent même pas.

Merle Kessler


Tintoret – Dame découvrant ses seins (Musée du Prado)

Commentaires sur ce tableau du Tintoret

- 1 - Cette femme au téton offert serait le portrait de

Veronica Franco, attribué à le Tintoret (Musée du Prado). Elle-même fille de courtisane, et poétesse, on dit que la République de Venise offrit à Henri III roi de France une nuit en sa compagnie

- 2 Cette « Dame offrant ses seins » pourrait aussi être Elvira Cagliari, la maîtresse du pape Pie IV qui succomba dans ses bras

Qu’importe que cette courtisane soit l’une ou l’autre de ces prostituées ? En réalité, ce qui compte, c’est l’effet qu’elles ont produit. Car, il faut l’admettre, elles n’ont laissé indifférent ni Henri III (1) ni le Pape qui alla dans l’enthousiasme jusqu’à périr entre leur bras.

Mais enfin, pour être tout à fait honnête, j’avouerai que cette citation qui relie le footballeur à la prostituée m’a invité plutôt à penser à ce fait divers qui a conduit deux footballeurs de l’équipe de France à être inculpés pour « sollicitation de prostituée mineure »..

On a beaucoup jasé sur la vitalité de nos footballeurs et sur les troisièmes mi-temps. Mais on a laissé un peu de côté cette information selon la quelle la jeune Zahia aurait été « offerte » pour une nuit à Ribéri à l’occasion de son anniversaire – Comme Veronica Franco dont on a parlé plus haut.

Mais voilà le vrai scandale : on s’émeut qu’un homme puisse coucher avec une jeune femme encore mineure – alors qu’il ignorait probablement son age véritable. Par contre que cette femme ait été exactement comme un objet offerte au bon plaisir de l’homme comme cadeau d’anniversaire voilà qui nous laisse indifférent.


(1) Il est vrai que Henri III est plus célèbre pour ses Mignons que pour ses maîtresses. Peut-être… Et alors ? Qu’est-ce qui empêche un grand monarque d’avoir des mignons et des mignonnes ?

Wednesday, July 21, 2010

Citation du 22 juillet 2010

Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Jean de La Fontaine – Le Chien à qui on a coupé les oreilles (Fable)


On sait que, concernant le sens véritable de la mutilation de l’oreille que Van Gogh s’est infligée à lui-même, les intrerpétations sont légions.

C’est qu’on ne peut s’empêcher d’y voir un acte grave, qui met en jeu quelque chose d’essentiel pour l’homme. Non que l’oreille soit indispensable pour vivre (et d’ailleurs entendrions nous moins bien sans le pavillon de l’oreille ?) ; mais plutôt parce qu’une valeur symbolique s’y trouve attachée : c’est un organe relationnel, qui nous permet d’être en communication avec les autres – ou à l’écoute de la nature.

L’idée de La Fontaine, c’est que l’oreille est plus gênante qu’autre chose et que le chien a bien tort de se plaindre de l’avoir coupée.

Car Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée. Sans oreilles, il offre donc moins de prise à ses adversaires.

Après tout, nos joueurs de rugby l’ont bien compris

comme en témoigne cette photo de Thierry Dusautoir : à son poste (3ème ligne si mes informations sont bonnes), il est important de pouvoir percuter l’adversaire sans y perdre quelque chose.

Dernière remarque pour signaler l’importance accordées aux oreilles : on a été horrifié de la cruauté du boxeur Mike Tyson, mordant son adversaire à l’oreille en plein combat. (1)

Voilà des boxeurs qui s’aplatissent la face à coup de poings lourds comme des locomotives – et une simple morsure à l’oreille faite hurler d’horreur tout le public.

D’ailleurs autrefois existait une punition barbare consistant à couper les oreilles d’un coupable : on l’essorillait.


(1) Contre Evander Holyfield en 1996. Voir la vidéo ici (l’enlacement fatal est à 2’40’’)

Tuesday, July 20, 2010

Citation du 21 juillet 2010

La modestie va bien aux grands hommes. C'est de n'être rien et d'être quand même modeste qui est difficile.

Jules Renard – Journal – 2 décembre 1895

C’est vrai, il a raison Jules Renard : quand on n’est rien, parvenir à être modeste quand même, c’est non seulement difficile, mais c’est quasiment impossible. Car, si être modeste c’est s’effacer devant les autres, la modestie est une vertu inaccessible aux médiocres aux sans-grade, aux gagne-petit : ils n’ont rien à effacer, eux.


Évacuons la question de la sémantique : en effet, Jules Renard feint d’ignorer le sens premier de la modestie : Simplicité, absence de recherche, de faste, de luxe. Car alors, on voit bien qu’elle décrit un état et non une position de la volonté. On peut être modeste, quand on est de condition modeste. Simplement, il n’y a aucun mérite à l’être.

La question posée par notre auteur ne prend sa valeur qu’avec le sens dérivé : Fait d'être modeste, effacement de soi, retenue dans l'opinion que l'on a ou que l'on affiche de soi-même. (1). Autrement dit, celui qui marine dans la pauvreté, ou qui a un QI à 85, celui là n’a aucun mérite à être modeste, parce qu’il n’a rien du tout à effacer, ni rien à retenir dans l’opinion qu’il a de lui-même.

On va me croire cynique. Ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, je vise un des plus célèbre propos d’Alain, intitulé : la morale, c’est bon pour les riches (Propos du 13 novembre 1909 – A lire ici). Nous dirons donc avec le philosophe : La modestie est une vertu pour les riches

Alain visait surtout les donneurs de sermons, ceux qui se donnent le droit de juger les autres (= les pauvres) à l’aune de leur mode de vie, qu’ils baptisent vertu, manifestant par là un insupportable mépris des conditions réelles d’existences dans les quelles se débattent les démunis.

Je ne me permettrai sûrement pas de rajouter une ligne de commentaire à ce texte que je juge très beau parce que très digne. Je dirai simplement que la modestie n’est une vertu (2) qu’à condition d’admettre que la dissimulation soit une posture morale.

Et si on me dit que c’est seulement la condition pour rencontrer les autres, d’égal à égal, même si cette égalité est fictive, je dirai que je n’ai jamais pu supporter le procédé des opéras du 17ème ou 18ème siècle, où le Tout-puissant Roi se déguise en berger pour approcher la belle bergère. (3)


(1) Ces définitions proviennent du TLF

(2) Vertu sociale il est vrai.

(3) C’est d’ailleurs tout ce qui m’a retenu d’admirer d’avantage le beau livre de Florence Aubenas qui adopte la vie de femme de ménage pour nous faire connaître la vie réelle de ces femmes.

[Je remarque qu’à la question : Florence Aubenas, comment se fait-il qu’on ne vous ait pas reconnue ? elle a répondu que si, on l’a bien soupçonnée d’être ce qu’elle était en réalité, mais seulement quand elle a postulé pour des emploi un peu plus élevés. Il est inimaginable que la pauvre Cendrillon soit autre chose qu’une souillon.]

Monday, July 19, 2010

Citation du 20 juillet 2010

-->
Et le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie.
Evangile de Luc – La parabole du dîner 14, 23 (1)
On se doute que cette parabole étrange a fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des sermons.
- Jésus fait-il ici l’éloge de l’intolérance et des conversions à la hache, la tête de l’infidèle sur le billot ?
- Ou bien ne fait-il que fustiger l’appétit de la chair et les préoccupations matérialistes qui détournent de Dieu ?
Je serais tenté de croire plutôt à cette dernière explication, encore que bien des infidèles aient été sacrifiés au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ce qui est certain, c’est que si Dieu t’appelle, vas-y ; et ne t’attends pas à ce qu’il t’appelle une seconde fois : aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon souper.
Mais plus encore, c’est le rejet des préoccupations terrestres qui frappe. L’homme qui va aux champs, celui qui essaie une paire de bœuf ou celui qui va se marier : qu’ils laissent tomber tout ça pour aller au banquet du Seigneur.
Oui, mais alors les intégristes catho ont raison de dire que les protestants ne sont pas des vrais chrétiens. Parce que eux, le travail et l’argent, ils pensent bien que ça fait le bonheur de Dieu. Ou si vous préférez une formule moins choquante, que l’homme peut faire son salut par son travail et que l’argent qui le récompense et mesure son mérite justifie aussi qu’il entre au paradis.
Si donc les puritains ont raison, il faut réécrire la parabole du banquet :
« Deux jours avant l’heure du souper, un jeudi, le maître envoya ses serviteurs dire aux conviés : Quand vous aurez fait vos 35 heures augmentées des heures supplémentaires, et quand vous aurez fini de balayer votre bureau, venez, car tout sera prêt. »
(1) Voici le texte de la parabole des invités du dîner,
« …Un homme donna un grand souper, et il invita beaucoup de gens.
A l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés: Venez, car tout est déjà prêt.
Mais tous unanimement se mirent à s'excuser. Le premier lui dit: J'ai acheté un champ, et je suis obligé d'aller le voir; excuse-moi, je te prie.
Un autre dit: J'ai acheté cinq paires de boeufs, et je vais les essayer; excuse-moi, je te prie.
Un autre dit: Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis aller.
Le serviteur, de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de la maison irrité dit à son serviteur: Va promptement dans les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux.
Le serviteur dit: Maître, ce que tu as ordonné a été fait, et il y a encore de la place.
Et le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie.
Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon souper. »
Luc, 14 16-24

Sunday, July 18, 2010

Citation du 19 juillet 2010

Soyez toujours modeste, jamais humble. La modestie est la qualité d'un honnête homme. L'humilité est la qualité d'un lâche, d'un fourbe, d'un sot, ou la vertu d'un chrétien.

La Beaumelle – Mes pensées ou Le qu'en dira-t-on (1752)

Ce qui fait la qualité du lâche, du fourbe, du sot, fait aussi la vertu d’un chrétien : étonnez-vous qu’après ça La Beaumelle ait été embastillé !

La distinction entre la modestie et l’humilité a été bien des fois évoquée avec beaucoup de finesse : je ne me risquerai pas à redire tout cela (1).

Donc, sans reprendre ce que les textes indiqués en note ajoutent à notre citation de La Beaumelle, et en remontant un peu en amont de son jugement, je crois que l’humilité comme la modestie (à supposer qu’elle ne soit pas feinte) posent le même problème : celui de l’auto-évaluation.

C’est l’angoisse des jeunes : qu’est-ce que je vaux se demandent-ils ? Je veux bien être modeste et humble, mais je veux savoir pourquoi – et jusqu’où ? Ce serait intéressant de justifier leur besoin de reconnaissance par ce fait : savoir ce qu’ils valent.

On dira que ce besoin ne débouche pas nécessairement sur l’humilité – et encore moins sur la modestie. Certes.

Tout le problème tient alors dans le point de repère choisi pour s’évaluer : on dit bien qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Mais faut-il vraiment rechercher les aveugles pour paraître clairvoyant ?

Tel est le sens du stade religieux de la vie selon Kierkegaard : nous amener à rire de nous et de notre prétention à valoir quelque chose devant Dieu. Oui, Dieu est l’aune à la quelle il faut nous mesurer, même si – et surtout parce que – notre petitesse doit en être reconnue.

Voilà pourquoi La Beaumelle a été embastillé : non pas pour avoir humilié les chrétiens, mais pour avoir, par sa méconnaissance du sens l’humilité véritable, prouvé qu’il était non pas uniquement un protestant (ce qui déjà le rendait peu recommandable), mais surtout un abominable athée.


(1) Voir par exemple La Bruyère et Voltaire (à lire ici)

Saturday, July 17, 2010

Citation du 18 juillet 2010

À chaque règlement nouveau qu'on impose à la France, chaque citoyen français s'inquiète de savoir non point comment le suivre, mais comment l'éluder. J'en reviens toujours à ceci : on parle de défaut d'organisation ; c'est défaut de conscience qu'il faut dire.

André Gide – Journal 1889-1939 – 15 février 1918

Pour illustrer l’écart de mentalité entre les français et les anglais, on dit qu’en 1940, lorsque le gouvernement britannique rationna les fournitures de gaz, il indiqua à titre d’exemple que chaque foyer ne devait pas consommer plus de 20 litres d’eau chaude par jour (1). Alors les anglais sont allés dans leur salle de bain pour faire une marque dans leur baignoire afin de savoir quelle limite ne pas dépasser. Le citoyen français, lui, s'inquiète de savoir non point comment suivre [la prescription], mais comment l'éluder.

Défaut de conscience diagnostique Gide : sans doute. Mais il ne suffit pas de s’alarmer d’une telle disposition ; il s’agit plutôt de trouver dans quelle direction aller pour élever ce niveau de conscience.

- Exemple : la fraude fiscale est en France un sport fort répandu, et il est soutenu par l’idée que l’Etat ne va pas chercher l’argent là où il est (entendez : chez les riches – c'est-à-dire les autres).

Autre exemple : je ne ferai plus travailler mon maçon sans facture (…) le jour où nos anciens députés s’abstiendront de cumuler leur retraite de parlementaire avec des indemnités pantagruéliques gagnées à rédiger des rapports squelettiques.

- Elevons donc le niveau de conscience : ce que nous devons réclamer, ce n’est ni de payer moins, ni de faire payer plus le voisin. C’est plus de justice sociale qu’il nous faut, que chacun paie ce qu’il doit et reçoive ce qu’il mérite. La conscience morale – ou civique – consiste alors à considérer l’ensemble de la société et non le rapport entre moi et mon voisin.

Ce n’est pas parce que je dois payer l’impôt qu’il est injuste ; peut-être même qu’il est juste parce que moi aussi je dois le payer.


(1) Je ne garantis pas ce chiffre : il s’agit de toute façon d’un quantité réduite.

Friday, July 16, 2010

Citation du 17 juillet 2010

Un homme d'esprit me disait un jour : que le gouvernement de France était une monarchie absolue tempérée par des chansons.

Chamfort – Maximes et Pensées

Chamfort – 1740-1794 (1) : on serait tenté encore une fois de dire à propos de cette citation que nos problèmes d’aujourd’hui existaient bel et bien hier… et avant-hier.

Si la chanson au XVIIIème siècle était la façon pour le peuple de critiquer et de persifler le pouvoir sans s’exposer à la répression, alors en effet on doit constater que nous avons gardé l’habitude de censurer le pouvoir par nos mouvements d’opinion.

Les « chansons » d’aujourd’hui circulent sur Tweeter, Facebook, Mediapart ; et les chansonniers : les Guignols de l’info, Stéphane Guillon, etc…

Bref : au lieu de s’étonner ou de se scandaliser devant l’énorme pouvoir que représentent les media d’aujourd’hui, tâchons de nous rappeler qu’hier exactement les mêmes mécanismes jouaient. La démocratie « directe » celle de l’opinion publique qui se manifeste à chaud et qui est capable de tous les excès a toujours été un contrepoids au pouvoir même absolu. Même sans évoquer les « émotions populaires », qu’on se rappelle des libelles de tous genres qui couraient sur Marie-Antoinette durant la révolution : ça a sûrement tempéré la monarchie absolue ; mais sûrement pas tempéré le traitement réservé aux monarques.

Les vertueux démocrates de 1789 auraient dû mépriser de telles chansons ; ils ne l’ont pas fait.

Et aujourd’hui ? On ne cherche pas à bâillonner le buzz ; ce serait inutile. Mais on fait des sondages d’opinion pour mieux le décortiquer… et pour le manipuler.

Car qui empêche le monarque absolu de faire courir dans les rues des chansons qu’il aura écrites lui-même ?


(1) Sur la mort de Chamfort, voici ce qu’on lit dans Wikipédia : La mort de Chamfort représente le comble du suicide raté. Ne supportant l'idée de retourner en prison, il s'enferme dans son cabinet et se tire une balle dans le visage. Le pistolet fonctionne mal et, s'il perd le nez et une partie de la mâchoire, il ne parvient pas à se tuer. Il se saisit alors d'un coupe-papier et tente de s'égorger, mais malgré plusieurs tentatives ne parvient pas à trouver d'artère. Il utilise alors le même coupe-papier pour « fouiller sa poitrine » et ses jarrets. Épuisé, il perd connaissance. Son valet, alerté, le retrouvera dans une mare de sang. Malgré tous les efforts de Chamfort pour se supprimer, on parviendra quand même à le sauver. Il mourra quelques mois plus tard d'une humeur dartreuse.

Thursday, July 15, 2010

Citation du 16 juillet 2010


Les conquérants : Terre... Horizon... Terrorisons !

Jacques Prévert

Est-ce que l’homme descend du songe ?

Miss.Tic

Calembour 1

Deux citations sans grand rapport, sauf que chacune joue sur les mots – ou joue avec les mots.

J’ai deux objectifs ici :

- le premier, de montrer que le reproche qu’on fait parfois à Miss.Tic de se borner à jouer avec les mots – ce que chacun peut faire sans grande difficulté – n’est pas justifié, et tout cas que des poètes du calibre de Prévert l’ont fait sans qu’on songe à le leur reprocher.

- le second, de dire que les poètes ont su jouer avec les mots pour y puiser du sens – et du sens poétique.

Pourquoi les jeux de mots ? Pour amuser, un peu comme le petit enfant rit tout seul des sonorités qu’il tire de sa bouche, ou bien encore tirer parti de l’effet de surprise – et du surcroît de sens – obtenu grâce aux assonances (1) ?

Bien sûr. C’est qu’il faut admettre que le poète qui joue ainsi avec le langage – ou si l’on veut être plus précis : les signifiants – le considère comme une matière première, parce que son rapport au langage n’est pas le même que celui de l’homme ordinaire.

Ne soyons donc pas comme monsieur Jourdain qui admettait qu’entre la prose et les vers, la différence tenait seulement dans la versification. Car en réalité, le poète est celui pour qui les sonorités du langage sont elles aussi porteuses de sens, d’un sens que tout autre procédé – et surtout la conceptualisation – serait incapable d’énoncer.

C’est ainsi que Sartre disait (je ne sais plus où, probablement dans Qu’est-ce que la littérature ?) que pour lui, Florence est à la fois ville, femme et fleur.

Ou Prévert que les conquérants terrorisent la terre entière jusqu’à l’horizon.

Ou Miss.Tic pour qui l’homme est un songe aussi bien qu’un singe – ou un rêve de singe ?


(1) On pense aux allitérations comme dans le célèbre vers de Racine Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? (Andromaque)

Wednesday, July 14, 2010

Citation du 15 juillet 2010

Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal ; la loi souveraine est la subordination et la dépendance.

Vauvenargues – Réflexions et Maximes

Deux prérequis sont nécessaires pour que cette citation fonctionne :

- D’abord, il faut admettre que la loi de la nature (c'est-à-dire une loi que l’homme n’a pas eu à créer) est en même temps la loi souveraine (donc celle contre la quelle on ne doit pas aller).

- Ensuite que l’inégalité naturelle produit la subordination et la dépendance.

Si nous admettons que la nature produit des inégalités, serons-nous d’accord avec les présupposés de Vauvenargues ?

- D’abord, la loi de la nature est-elle souveraine ? Si elle n’est que physique, il est évident qu’elle s’impose avec nécessité, mais nullement qu’elle porte en elle une légitimité quelconque. On a depuis longtemps appris à combattre les effets d’une loi de la nature à l’aide d’autres lois naturelles, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. La loi de la nature ne serait souveraine, qu’à la condition de s’imposer à la volonté des hommes – c’est donc aussi qu’elle régirait leur comportements, leurs devoirs, leurs valeurs.

Tout ça, ça fait beaucoup…

- Les inégalités naturelles produisent-elles de la dépendance et de la subordination ? Là, il y va un peu fort, Vauvenargues. Comment ? Parce que je suis plus faible que mon voisin, celui-ci aurait le droit de me commander et j’aurais le devoir de lui obéir ? Sans aller plus loin rappelons Rousseau et son célèbre chapitre 3 du Contrat social (livre 1) : le plus fort a un pouvoir sur moi, mais il n’a pas de droit sur moi.

Finalement, ou bien on considère qu’on parle ici des inégalités physiques, et alors c’est vrai qu’elles sont légion dans la nature. Et c’est vrai aussi qu’à en parler, on ne produit que des banalités qui ne valent pas la peine d’être discutées.

Ou bien on tire de cette situation de quoi légitimer les inégalités sociales, et alors on entre dans un processus idéologique bien précis. Ce qui compte d’ailleurs, ce n’est pas seulement de dénoncer cette idéologie mais d'abord de signaler son existence – car les idéologies sont toxiques principalement quand elles sont masquées.

Tuesday, July 13, 2010

Citation du 14 juillet 2010


Mardi 14 juillet [1789] – Rien.

Extrait du Journal de Louis XVI

Une page par mois, une ligne par jour. Le journal de Louis XVI n’est pas tenu chaque jour mais rédigé le mois suivant, à partir de notes quotidiennes qu’ensuite il jetait. « 14 juillet : rien » n’a donc pas été écrit le 14 juillet 1789, dans l’ignorance de la suite, mais en août, en connaissance de cause. (1)

Que n’a-t-on dit de l’aveuglement de Louis XVI qui écrit dans son journal à la date du 14 juillet 1789 « Rien », comme si la prise de la Bastille n’avait été pour lui qu’une péripétie insignifiante.

Il est vrai qu’on dit aussi que cet évènement n’entrait pas dans le cadre des fait retenus pour ce journal qu’on appelait à l’époque « Livre de raison » (2) : Louis XVI notait essentiellement ses sorties de chasse et exceptionnellement des évènements aux quels il avait pris part. La prise de la Bastille, il n’y était pas, donc il n’en parle pas.

Il reste pourtant quelques exceptions : durant la fuite à Varennes et le retour à Paris, Louis XVI note les épisodes principaux ; mais il conclut la période de l’arrestation de Varennes, le 28 juin 1791 en écrivant : J’ai pris du petit lait (3).

Voilà : ce qui frappe surtout c’est la mise à plat de tous les évènements, leur isotonie si je puis dire. Ils ont tous la même importance ce qui produit un nivellement par le bas.

Ajoutons ce qui n’est sûrement pas un détail : Louis XVI tenait ce Livre depuis l’âge de 11 ans et il avait toujours le même principe (que nous avons signalé plus haut) : une page par mois, chaque mois étant recopié le mois suivant à partir de notes prises au fur et à mesure, ce qui laissait le temps de rectifier au cas où un évènement n’eut pas été connu sur le champ. On ne saura sans doute jamais quels étaient les états d’âme du roi quand il traçait les lignes de ce journal. Mais je me plais à penser que son éducation l’avait forgé pour rester impavide dans la tourmente.

On devrait bien en faire autant.

--> Je commence aujourd’hui :

14 juillet 2010 : pris le pastis sur ma terrasse.


(1) Voici les deux semaines qui encadrent le 14 juillet :

Mardi 7 Chasse du cerf à Port-Royal, pris deux.

Mercredi 8 Rien.

Jeudi 9 Rien. Députation des États.

Vendredi 10 Rien. Réponse à la députation des États.

Samedi 11 Rien. Départ de M. Necker.

Dimanche 12 Vêpres et Salut. Départ de MM de Montmorin, Saint-Priest et la Luzerne.

Lundi 13 Rien.

Mardi 14 Rien.

Mercredi 15 Séance à la salle des États et retour à pied.

Jeudi 16 Rien.

Vendredi 17 Voyage à Paris et à l’Hôtel de Ville.

Samedi 18 Rien.

Dimanche 19 Vêpres et salut. Retraite de MM. De Montmorin et Saint-Priest.

Lundi 20 Promenade à cheval et à pied dans le petit parc, tué dix pièces.

Mardi 21 Rien. Retraite de M. de la Luzerne. Le cerf chassait au Butard.

(2) Livre de raison désignait un Journal dans le quel le chef de famille inscrivait, avec ses comptes, les événements tels que naissances, mariages, etc., et ses propres réflexions.

(3) Texte [Rappelons que reconnu et arrêté à Varennes dans la nuit du 21 au 22 juin 1791, le roi repart pour Paris le 22 juin tôt le matin]

Lundi 20 Rien.

Mardi 21 Départ à minuit de Paris, arrivé et arrêté à Varennes en Argonne à onze heures du soir.

Mercredi 22 Départ de Varennes à 5 ou 6 heures de matin, déjeuné à Saint-Menehoul, arrivé à 10 heures à Châlons, y soupé et couché à l’ancienne Intendance.

Jeudi 23 À onze heures et demie on a interrompu la messe pour presser le départ, déjeuné à Châlons, dîné à Epernay, trouvé les commissaires de l’Assemblée auprès du pont à Buisson, arrivé à onze heures à Dormans, y soupé, dormi 3 heures dans un fauteuil.

Vendredi 24 Départ de Dormans, à sept heures et demie, dîné à la Ferté-sous-Jouarre, arrivé à onze heures à Meaux, soupé et couché à l’Évêché.

Samedi 25 Départ de Meaux, à 6 heures et demie, arrivé à Paris, à 8 h. sans s’arrêter.

Dimanche 26 Rien du tout, la messe dans la galerie. Conférence des commissaires de l’Assemblée.

Mardi 28 J’ai pris du petit lait.