Monday, July 31, 2017

Citation du 1er août 2017

Quand on n'a que de la vanité, toute femme est utile ; aucune n'est nécessaire ; le succès flatteur est de conquérir, et non de conserver.
Stendhal – De l'Amour
Remplacez la femme par ce que vous voudrez, ça ira aussi bien.
Quoique… Si l’on prend au sérieux la formule de Stendhal, alors on voit tout de suite qu’il pense au séducteur, quelqu’un comme Don Juan qui ne songe qu’à la conquête de la femme et surtout pas à son asservissement dans un couple.
Du coup, si la séduction implique bien de réduire la femme à n’être qu’un instrument pour satisfaire sa vanité, on doit quand même dire que le séducteur est un oiseleur d’un genre spécial, puisqu’il tend des pièges à ses futures conquêtes, mais qu’il leur rend la volée juste après. Comme Johannes, le héros de Kierkegaard qui prétend avoir fait le bonheur de sa victime Cordélia en la préparant pour un futur mariage … après l’avoir déflorée ! (1)
Reste que ce comportement devrait avoir un sens, car pourquoi tant d’efforts d’imagination si ce n’est finalement pour rien conserver ? 
Je tenterai deux interprétations :
             - D’abord il y a la fierté d’avoir pu conquérir une femme jugée désirable et inaccessible et qui pourtant va accorder au séducteur ce qu’elle a refusé à tous les autres. Gagner une femme telle que celle-ci, c’est relever un défi, c’est comme parvenir au sommet de la montagne et se voir là, unique occupant de ce lieu qu’on va pourtant quitter, l’escalade étant le but véritable de l’entreprise.
             - En suite, il y a dans la société une place particulièrement enviable pour certains séducteurs : il s’agit des play-boys, auréolés de pouvoirs supposés extraordinaires qui leur permettent de butiner à droite et à gauche avec désinvolture, de voleter là où les autres se trainent misérablement. Oui, le séducteur est un être brillant qui attire les regards et fait envie : du moins il nous parait tel dans notre société, alors que les siècles passés faisaient du séducteur un être démoniaque au quel l’enfer était promis : rappelons la fin du Dom Juan de Molière (et aussi de Mozart). Peut-être notre admiration pour les séducteurs est-elle un signe de l’évolution morale et religieuse de notre siècle ?
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(1) Soeren Kierkegaard – Le journal du séducteur

Sunday, July 30, 2017

Citation du 31 juillet 2017

Le viol est le seul crime où la victime devient l’accusée.
Anonyme
« Ça se passe au Pakistan. Une fillette de 12 ans est violée par un garçon de 17 ans : de quoi ruiner l’honneur de la famille de la fillette, dans une culture où la honte d’un tel acte retombe sur la victime et non sur l’agresseur. Le panchayat (cours de justice locale) décide que l’honneur de la famille de la victime serait lavé si son frère violait lui-même la sœur de l’accusé. Celle-ci qui a 16 ans est trainée au milieu de la nuit jusque devant le conseil, et la « réparation » exécutée en public »
Libération, le 28 juillet 2017 – page 9
Voulant rédiger un Post sur cette information, je suis allé picorer les citations concernant le viol dans les encyclopédies en ligne. Et là, stupéfaction : pratiquement aucune ne fournit de citation concernant le viol sexuel (des femmes en particulier) – ceci d’autant plus incompréhensible que le dictionnaire de droit décrit avec une extrême précision la nature du viol (article 222-23 du Code pénal à lire ici)
En fait dans certaines sociétés le viol apparaît comme une manière d’atteindre non pas les femmes mais les hommes – ceux de sa famille ou de son clan. Au point qu’il soit non pas l’expression de la libido masculine, mais bien de la violence voulue et calculée (on dirait presque : raisonnable), comme le serait l’usage d’une arme
Et c’est là que cette histoire incroyable nous est racontée : deux viols dont l’un est effectivement libidineux et l’autre est une sanction judiciaire, comme les  coups de fouet ou la dégradation publique.

Il y a tant de choses à dire, tant de frémissements d’indignation contenus à la lecture de cette histoire qu’on ne sait par où commencer. Tentons quand même de le faire, même si on en oublie en route.
- Déjà, la loi du Talion. Œil pour œil, dent pour dent. Sauf que ce n’est pas le violeur qui sera violé mais sa sœur. On comprend que la victime visée par ce viol n’est pas la femme (jugée quantité négligeable ?) mais sa famille sur la quelle le déshonneur va retomber. Seul le déshonneur infligé peut laver le déshonneur subi.
- La femme, propriété exclusive de sa famille et puis ensuite du mari. Souiller une femme, c’est montrer que son « propriétaire » n’a pas pu la protéger. En enfermant sa femme, on ne montre certes pas qu’elle est vertueuse, mais qu’importe ? Ce qui compte, c’est de montrer qu’on a le pouvoir de la « protéger » des prédateurs.
- L’honneur enfin, valeur devenue bien secondaire chez nous, mais qui dans des sociétés traditionnelles au contact des quelles nous vivons du fait des migrations, apparait avec force dans de multiples situations (comme de ne jamais signer de contrat, la poignée de mains entre contractants suffisant).
- C’est vrai que chez nous aussi on a beaucoup tué pour laver son honneur. Toutefois, l’affront était personnellement subi. Mais dans le cas évoqué aujourd’hui, c’est sur la tête de la femme que repose l’honneur des hommes. Et là c’est la pire des situations.

Saturday, July 29, 2017

Citation du 30 juillet 2017

… il n'y a pas de sondage, aussi difficile soit-il (…) qui puisse interrompre le mandat que donne le peuple au président de la République.
François Hollande – le 5.9.2014
On le sait, à supposer qu’il faille révoquer un chef d’Etat durant son mandat, un référendum révocatoire est indispensable (à condition que cette possibilité existe) et nul sondage, si « difficile » soit-il (pour parler comme François Hollande), ne saurait l’imposer.
Et pourtant c’est sur la foi de ces mêmes sondages que l’on voudrait créer une telle juridiction « 70% des français le jugent incompétent ? Qu’il s’en aille ! »

C’est une occasion de réfléchir à la différence entre sondage d’opinion et scrutin. Il n’est pas indispensable de songer aux cas où les statistiques se sont révélées fausses quand il s’est agi de prédire le comportement électoral. Ni même d’y voir le risque d’une manipulation de l’opinion, quelque chose comme un trucage opéré par d’habiles techniciens passés maitres dans l’art de tourner le questionnaire de sorte que les réponses soient « forcées ».
Parlons plutôt d’un contournement de la souveraineté du peuple, qui doit impérativement prendre la forme que l’on connaît : déposer un bulletin dans l’urne en toute indépendance et en toute confidentialité. Quelle différence avec le sondage d’opinion ? Eh bien c’est que dans un cas on dit : « Voilà ce que je veux pour mon pays », et dans l’autre on dit : « Voilà mon avis sur l’état du pays » (ou : « Ce qu’on devrait faire » ou etc.)
On l’a compris sans doute : en votant il s’agit bien d’engager sa volonté propre et non un sentiment si fort soit-il. 
Certes rien n’empêche le sondage de capter cet engagement, mais il peut aussi capter bien d’autres choses : je peux communiquer mon engagement de citoyen par sondage, mais je peux aussi bien faire état de mon affect de l’instant. D’ailleurs, c’est ce que répètent les techniciens de ces instituts de sondage : il s’agit d’une « photographie instantanée » de l’opinion et non d’un pronostic. Et c’est justement le propre de l’opinion que de varier au grès des émotions médiatiques; d’ailleurs quand on fustige les médias, c’est bien en raison de leur influence sur les sondages, et non sur les citoyens.

Quoique... Il arrive sans doute que le citoyen se mette à voter avec ses tripes comme s’il répondait à un sondage.

Friday, July 28, 2017

Citation du 29 juillet 2017

Mon père comprit qu'un intendant placé entre le roi et le peuple doit se regarder comme l'homme de l'un et de l'autre, tellement destiné à être l'organe des volontés du maître qu'il le soit peut-être encore plus des vœux et des prières des sujets.
Henri-François D'Aguesseau (1751 à 83 ans) dans Vie de son père
(Henri d’Aguesseau, père d’Henri-François fut intendant du Limousin  à l’époque de Louis XIV. Son fils Henri-François fut un garde des sceaux et juriste éminent durant la Régence.)

A l’heure où les nouveaux élus du peuple s’interrogent sur l’équilibre à respecter entre leurs devoirs de loyauté pour le parti pour lequel ils furent élus d’une part, et envers les revendications de leurs électeurs d’autre part, il est sans doute intéressant de chercher comment cette double contrainte fut théorisée sous l’ancien régime. On voit bien que s’agissant d’un royaume au pouvoir monarchique absolu, il est hors de question que le préfet se considère comme porteur de la volonté populaire ; toutefois il peut quand même s’estimer  en charge de faire remonter auprès de régime l’état de la province et les besoins du peuple.  Placés entre vœux populaires et volonté monarchique, tout le problème de ce magistrat tient en ce que les deux ne viennent pas de la même source : les vœux venant des sujets, et la volonté venant du roi.
D’Aguesseau pris dans l’idéologie de l’époque, résume assez bien l’issue de cette contrainte : le roi  comme un Dieu bienveillant réalise les prières de son peuple, mais il doit pour cela en être informé – et c’est là que l’Intendant entre en scène (1).

Et nous ? Supposons un instant que le Président de la 5ème république possède cette toute-puissance, comment serait-il informé des contenus de ces prières adressées au pouvoir par les citoyens ? Faut-il compter sur les élections ? Mais même là, entend-on les revendications populaires autrement que par les discours de tous ces ambitieux qui briguent le pouvoir en se réclamant de la volonté populaire ? 
Non, bien sûr : aujourd’hui plus besoin de Préfet ni de discours mensongers. Nous avons les sondages d’opinion, et ça nous suffit.
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(1) Le fameux « droit de remontrance » que possédait le Parlement lui permettant de contester certains édits royaux (voir ici) signifiait à peu-près ceci : le roi n’avait pas été bien informé des besoins du peuple et le parlement avait donc le droit de « montrer une nouvelle fois » - donc de re-montrer ce qu’il en était.

Thursday, July 27, 2017

Citation du 28 juillet 2017

L'autonomie de la volonté est le principe unique de toutes les lois morales et des devoirs qui y sont conformes.
Kant
L'autonomie consiste à se donner à soi-même envers l'autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d'une autorité extérieure.
Antoine Spire – Le Monde de l'éducation - Juillet - Août 2001
Si l’on consulte des dictionnaires de citations en ligne à l’article « autonomie » il y a peu de chance d’échapper à la définition kantienne – à moins qu’on tombe sur des paraphrases comme celle d’Antoine Spire. Notons que la liberté donc l’autonomie est la condition, est celle qui peut construire un projet et s’élancer pour le réaliser, au lieu de rester à rêver qu’elle le fait réellement.
Voilà donc ce qui nous est asséné : pour être libre, il faut obéir à la loi qu’on s’est donnée, et non glisser d’instant en instant d’un choix à un autre, d’un engagement à un autre.
- Pourquoi donc ? Et si on choisissais de dire : Je m’engage à être perpétuellement libre de me défaire de mes choix ? Si par exemple l’amoureux disait à sa bien-aimée : « Je t’aime mon doux cœur, je t’aime pour toujours… Du moins, tel est mon engagement de ce matin. Quant à savoir ce qu’il sera ce soir, attends un peu qu’on y soit. » Ne haussez pas les épaules, c’est exactement ce qu’on trouve chez Sartre. La liberté ne vaut que par la volonté qui la soutient et celle-ci doit, pour être libre, pouvoir se réengager ailleurs si elle le veut. La seule contrainte, si c’en est une, est l’essence qui se construit au long de l’existence.
Et pourquoi pas ? Sauf que, come on l’a vu, Kant estime que la liberté est d’essence morale, qu’elle intervient lorsque se pose la question : Que dois-je faire ? Et la réponse, puisqu’on est dans le domaine de la morale, fait intervenir forcément autrui : mon acte libre m’engage vis-à-vis de lui, et pas seulement vis-à-vis de moi ; et si c’est la raison qui doit nous dicter les lois aux quelles notre action peut obéir tout en restant autonome, alors nous pouvons être tranquille : nos choix rationnels seront en accord avec ceux d’autrui – puisque la raison est par définition universelle.
C’est tellement nécessaire que même Sartre est bien forcé de faire intervenir lui aussi la cohérence de mes choix avec ceux d’autrui : je n’ai pour contrainte pour me guider dans ce domaine que la certitude d’accepter à l’avance que, ce que je choisis de faire, j’accepte aussi que chacun le fasse également.

Bien sûr, je peux refuser cette contrainte, puisque je suis libre. Mais alors je suis un « salaud ».

Wednesday, July 26, 2017

Citation du 27 juillet 2017

Le vrai ennemi du service public, c'est l'égalitarisme ; son ami, la liberté. La liberté bien conçue favorise l'égalité.
Jean-Michel Blanquer – Ministre de l’éducation nationale
Un instant je vous prie, J-M Blanquer : vous devriez peut-être relire ce que Votre Président disait à ces petits écoliers qui finement l’avaient interrogés sur la différence droite-gauche : « La droite, c'est une famille politique pour laquelle le plus important, c'est sans doute la liberté. Quant à la gauche, c'est une famille politique pour laquelle le plus important, c'est l'égalité. » Moyennant quoi il ajoutait : « Pour réunir les deux ce qu’il faut, c’est la fraternité. » (lire ici)
Voilà où vous en êtes, J-M Blaquer : pour vous la fraternité est inutile (à moins que selon vous elle n’existe pas ?), mais ce n’est pas grave puisqu’il suffit de bien concevoir la liberté pour qu’elle favorise l’égalité.
On a compris : tout est dans cette mention « bien conçue ». Il faut que l’égalité soit « bien conçue » – Mais alors comment « bien concevoir l’égalité » ? Et qu’est-ce donc que l’égalité « mal conçue » ?
Un exemple : J-M Blanquer estime on le sait que le collège unique, ça ne marche pas, et qu’il faut différencier les établissements scolaires, par exemple selon qu’ils sont ou non associés à une forme d’apprentissage professionnel. Alors, certes, les inégalités sociales seront reproduites par le système scolaire : les enfants d’ouvriers se regroupant dans les collège d’apprentissage et les autres dans les collèges classiques. Où donc est partie l’égalité ?
--> Lisons mieux : ce n’est pas l’égalité qui compte, c’est la liberté. Mais pas n’importe quelle liberté : l’enfant qui prétendrait vouloir étudier dans les livres avant d’apprendre un métier alors qu’il a quitté le CP sans savoir lire sera considéré comme n’ayant pas compris où était sa liberté.
– Et vous chers amis, avez-vous deviné où était la liberté du jeune illettré ?
La liberté, c’est l’autonomie. L’autonomie, c’est la capacité d’assumer ses choix sans passer par la protection ou l’aide d’autrui. Et le choix qui assure la plus fondamentale des autonomies, c’est de survivre en satisfaisant ses besoins sans passer par l’assistance de l’Etat.
Voilà donc comment la liberté est bien conçue : c’est quand elle permet non pas de faire ce qu’on veut tout de suite, mais quand elle permet de réunir les moyens qui permettront, plus tard, de satisfaire ces choix.
CQFD !
… Quoi ? J’en entends qui râlent quand même et qui prétendent que la liberté ce n’est pas simplement de survivre, mais de bien vivre de son travail. Et qui vont jusqu’à prétendre que pour vivre bien il faut avoir un bel appart où mettre sa petite famille et une belle voiture pour emmener tout ce monde en vacances au bord de la mer ?

Dites donc mes petits amis, ne seriez-vous pas entrain de confondre les libertés avec la liberté ? Ignorez-vous donc que, si cette dernière consiste à vivre sans rien demander à l’Etat, alors tout le reste est secondaire ?