Wednesday, April 29, 2009

Citation du 30 avril 2009

Le "déterministe" nous jure que si l'on savait tout, l'on saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que "tout savoir" n'ait aucun sens.

Paul Valéry – Regards sur le monde actuel

Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Laplace - Théorie analytique des probabilités. (1812) (1)


rien ne serait incertain pour elle [l’intelligence omnisciente], l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux.

Selon le déterminisme, le passé, le présent et le futur sont solidaires parce que déterminés par des lois constantes qui gouvernent tout dans l’univers ; ils coexisteront aussi longtemps que les phénomènes, eux-mêmes.

Voilà donc ce qu’on attend de la science : qu’elle nous prédise ce qui va arriver, aussi sûrement qu’on pourrait prédire les mouvements d’un robot dont on aurait maîtrisé totalement la programmation.

C’est ainsi qu’on attend des spécialistes qu’ils nous disent quand et comment la crise va se résoudre, et si il vaut mieux investir dans la pierre maintenant ou dans 6 mois.

Autrement dit, on fait comme si on pouvait tout connaître. Et comme si « tout » était connaissable.

Valéry nous en avertit : « tout savoir » n’a aucun sens. Notre robot de tout à l’heure, admettons qu’il ait deux mouvements précis de possible – et deux seulement. Supposons maintenant que ces mouvements se déclenchent dans des situations bien spécifiques, mais que chacune de ces situations survienne de façon totalement aléatoire : pourrions nous prédire ce que va faire notre robot ? Nous n’essayerions même pas de le deviner, et nous estimerions ridicule de le faire.

On peut proposer d’aller plus loin : si l’avenir est inconnaissable, ce n’est pas parce qu’il est chaotique, c’est parce qu’il n’existe pas. Et ce qui sera, mais qui n’existe pas aujourd’hui, c’est très exactement ce qui dépend de notre liberté.

Et si la crise financière-économique-sociale-politique (ouf!) que nous traversons faisait partie de ces phénomènes dont l’avenir ne peut être prédit, parce qu’il n’existe pas?

Et si cela signifiait que cet avenir dépendait de nous ? Qu’il sera ce que nous en ferons ?

Ce serait intéressant si c’était vrai : parce qu’alors notre liberté étant proportionnelle à l’indétermination de l’avenir, notre responsabilité (issue des actes de notre liberté) serait proportionnelle à notre ignorance.


(1) Voir aussi Post du 5 juin 2007

2 comments:

Djabx said...

notre responsabilité (issue des actes de notre liberté) serait proportionnelle à notre ignorance.Bonjour,

Juste pour être bien sur de comprendre votre propos, quand vous parler ici d'ignorance, parlez vous d'ignorance d'un individu ou plutôt (comme il me semble comprendre) de "non savoir" possible par qui que ce soit quelque soit et ce quelque soit l'effort qu'il fournit?

Jean-Pierre Hamel said...

"non savoir" possible pour qui que ce soit et ce quelque soit l'effort qu'il fournit?

- Oui, bien sûr. Il s’agit des limites absolues du savoir, celles qui sont posée par le savoir même, comme par exemple le principe d’incertitude de Heisenberg : on sait qu’on ne pourra jamais superposer la connaissance de la vitesse de la particule et celle de sa position.
Et que si on y arrive un jour, alors il faudra refonder les bases même de la science. La science pose elle-même les limites de ses possibilités, et c’est comme le dit Lévi-Strauss ce qui la distingue de la magie – et de la religion.