Friday, May 19, 2006

Citation du 20 mai 2006

De tant de milliasses de vaillants hommes qui sont morts depuis quinze cents ans en France les armes à la main, il n’y en a pas cent qui soient venus à notre connaissance.

Montaigne Essais, II, 16

La gloire, chose frivole par la quelle nous cherchons à nous accroître de ce qui ne nous appartient pas, c’est à dire la renommée(1). Car le nom s’oublie dès la personne a disparu, et même la bravoure du guerrier ne résiste pas à cet engloutissement.

Que le fait pour nos soldats d’être morts au champ d’honneur ne leur ait pas assuré la gloire, il suffit de lire les inscriptions des monuments aux morts pour s’en convaincre : ces noms ne sont plus rien pour nous. Banalité. Mais ce qui est moins banal c’est lorsque cet anonymat devient un moyen d’identification. Je veux parler du Soldat Inconnu, anonyme choisi parmi les morts au combat pour les signifier tous.

La gerbe au Soldat Inconnu honore en effet tous les soldats y compris les Martin, les Dupont-Durand, les Matthieu… Il faut donc qu’on les identifie à l’Inconnu pour les honorer : ils sont comme des cas particuliers qui se rangent sous le cas général que constitue le Soldat Inconnu, c’est Lui qui les définit comme le concept définit tout ce qu’il dénote.

Mais ce renversement est suivi d’un second : si la gloire est liée à l’hommage qu’on rend à ce soldat, alors elle échappe au capitaine, au général, à l’amiral, puisqu’on ne connaît pas de capitaine inconnu, de général inconnu, etc..

En réalité, ce que Montaigne pointe, c’est la masse : c’est parce que il y a tant de « milliasses » de morts à la guerre qu’ils sont anonymes : plus ils sont nombreux moins on ne peut en connaître les détails. Exactement comme le concept : plus la dénotation est importante, moins la connotation contient d’éléments.


(1) Renommée : Considération élogieuse largement répandue dans le public et qui s'attache au nom d'une personne ou d'une chose. (TLF)

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