Saturday, November 12, 2011

Citation du 13 novembre 2011

L'amour du prochain est attention. Selon la première légende du Graal [...], le Graal, pierre miraculeuse qui rassasie toute faim, appartient à quiconque dira le premier au gardien de la pierre, paralysé et souffrant: Homme, quel est ton tourment ?

Simone Weil

… j'ai souvent entendu dire qu'on peut parfois trop se taire, tout comme on peut parfois trop parler. Mais cependant, le jeune homme ne leur pose aucune question, ni pour son bien, ni pour son malheur.

Chrétien de Troyes – Perceval, le conte du Graal (Perceval chez le roi pêcheur) (1)

Laissons de côté cette tradition tardive qui fait du Graal on objet de pierre (2) ; d’ailleurs avec Simone Weil le regard s’en détourne pour aller vers le gardien du Graal, homme paralysé et souffrant. De la Légende du Graal, on ne conserve ici que la faute du silence : Perceval qui n’ose pas poser la question perd à tout jamais ce que pourtant il recherchait. La faute est donc de passer à côté de cet homme – le gardien de la pierre, de toute évidence souffrant et paralysé – sans lui demander : Homme, quel est ton tourment ? La première manifestation de la compassion est là. Sans doute ne suffira-t-elle pas à réconforter le malheureux, mais au moins va-t-elle créer ce lien sans le quel rien n’est possible.

Regardons le mendiant qui tend sa sébile aux passants. Ou plutôt qui l’a mise entre ses pieds, avec un petit écriteau à côté pour solliciter l’aumône. Il a la tête baissée en signe d’humilité, et son regard est rivé au bitume. Il ne parle pas, il ne sollicite rien, sauf un peu d’argent : ce que chacun lui donnera – ou pas – sans même lui accorder un regard. Surtout pas un regard, des fois qu’il faille lui parler, et lui demander pourquoi il en est réduit à la mendicité.

On fait l’aumône ainsi, par souci de bonne conscience, comme on donne aux Restos du Cœur – par téléphone ; mais le premier pas qui nous unirait à notre semblable souffrant, nous ne le franchissons pas. Pourquoi ?

- Certains diront que nous ne faisons pas l’aumône d’une parole au miséreux parce que la société moderne, et puis l’isolement des grandes cités, etc… Soit.

- Mais on peut dire aussi qu’on refuse de s’engager vis-à-vis du mendiant parce qu’on refuse aussi de le traiter comme notre égal. Lui demander Homme, quel est ton tourment ? c’est s’engager à l’écouter et à pénétrer ainsi avec lui dans une région de la société où existent des hommes comme nous, mais qui subissent d’autres contraintes que les nôtres.

Voilà : le traiter comme notre égal, c’est nous mettre à son niveau – et ça fait peur.

En réalité, ce qu’il faudrait, c’est – au contraire – le mettre à notre niveau en le traitant comme notre semblable.

Le Graal dont nous parle Simone Weil nous promet de rassasier toute faim. Mais ce n’est qu’un symbole : la vraie richesse est de découvrir un homme derrière les haillons du miséreux.

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(1) Contexte : au banquet du Roi pécheur, Perceval voit défiler les objets miraculeux : une lance qui saigne et un vase merveilleux ayant contenu le sang du Christ. Bloqué par son éducation, il n’ose demander de quoi il s’agit. C’est le Graal. Le lendemain tout à disparu et le Graal est à jamais perdu. Lire le passage en question ici.

(2) Pour Wolfram von Eschenbach, comme il le présente dans son Parzival, le Graal est une pierre dont le nom ne se traduit pas : « Lapsit Exillis ». (Source : Wikipédia – on peut aussi consulter ce site spécialisé)

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