Saturday, November 18, 2006

Citation du 19 novembre 2006

Enrichissez-vous !

François GUIZOT - Discours à la Chambre des députés, séance du 1er mars 1843,

Qu’on me permette, juste pour une fois, de prendre comme objet de réflexion ce sur quoi elle s’exerce d’habitude : la citation.

Une citation apparaît souvent comme une formule, plutôt lapidaire, à la quelle nous accordons une signification évidente, que nous soyons d’accord ou non avec elle. Mais surtout, une citation a un auteur, je veux dire qu’elle a été prononcée par quelqu’un, qui avait l’intention bien arrêtée de la formuler. Or, c’est parfois - souvent ? - faux.
Voici un exemple. La formule de Guizot est célèbre entre toutes. A cause d’elle, on a fait de Guizot un apôtre du capitalisme sauvage, on l’a identifié avec celui que Marx appelait « l’homme aux écus », celui qui ne connaît que « la froide loi de l’argent » (Capital livre I). Erreur ! Voici maintenant le texte d’où provient cette citation :

« Il y a eu un temps, temps glorieux parmi nous, où la conquête des droits sociaux et politiques a été la grande affaire de la nation ; la conquête des droits sociaux et politiques sur le pouvoir et sur les classes qui les possédaient seules. Cette affaire-là est faite, la conquête est accomplie ; passons à d'autres. Vous voulez avancer à votre tour ; vous voulez faire des choses que n'aient pas faites vos pères. Vous avez raison ; ne poursuivez donc plus, pour le moment, la conquête des droits politiques ; vous la tenez d'eux, c'est leur héritage. À présent, usez de ces droits ; fondez votre gouvernement, affermissez vos institutions, éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France : voilà les vraies innovations ; voilà ce qui donnera satisfaction à cette ardeur de mouvement, à ce besoin de progrès qui caractérise cette nation. »

Ce mot, qui n'a pas suscité de commentaires à l'époque où il a été prononcé, a été utilisé bien plus tard par les ennemis politiques de Guizot pour discréditer le gouvernement de juillet : autant dire que la « citation » est venue « habiller » une idée déjà là, pour la quelle on avait besoin de la « caution » d’un auteur précis. Et tant pis si ce qu’on lui fait dire n’a rien - ou presque - à voir avec le contexte.

Voilà donc ma question : lorsque nous relevons une citation comme importante, n’est-ce pas avec la plus grand insouciance quant à son authenticité, étant tout juste occupé à rechercher la garantie d’un auteur prestigieux ? Ne serions-nous pas mieux inspirés de nous en passer ? A moins que…
… à moins que nous disions, avec Jorge Luis Borges, « A elle seule, la vie est une citation. »

2 comments:

Carlos Abrego said...
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Carlos Abrego said...

Dans le Livre I du Capital, Marx ne se refère pas à cette phrase de Guizot,il fait simplement allusion à son "langage emphatique".

Voice le texte: "En fait, ces économistes bourgeois sentaient instinctivement qu'il "ya avait péril grave et grave péril" pour parler le langage emphatique de M. Guizot, à vouloir trop approfondir cette question brûlante de l'origine de la plus-value".

Avant de signaler les erreurs de K. Marx, mieux vaut le lire avant.