Monday, February 04, 2008

Citation du 5 février 2008

Lire -1

Ce que le lecteur veut, c'est se lire. En lisant ce qu'il approuve, il pense qu'il pourrait l'avoir écrit. Il peut même en vouloir au livre de prendre sa place, de dire ce qu'il n'a pas su dire, et que selon lui il dirait mieux.

Jean Cocteau - La difficulté d'être

Te voilà percé à jour, paresseux lecteur, toi qui ne penses que par procuration, toi qui faute de savoir ce qu’il faut penser, te pares des plumes du paon en glissant dans tes discours les citations d’auteurs dont tu as fait ta délectation.

Et te voilà cerné : non seulement on sait ce que tu fais, mais on te comprend mieux que toi-même tu ne te comprends. Tu n’es pas seulement influençable ; tu es orgueilleux. Tu en veux au livre d’avoir dit avant toi ce que tu te découvres entrain de penser ; tu lui reproche, en étant trop brillant, de souligner ta nullité. Les meilleurs livres sont ceux que tu aurais aimé écrire, et tu reproches à l’auteur de l’avoir fait… Quelle mauvaise foi !

Mais qui donc se soucie encore de lire ? Notre époque de ténèbres illettrées, médiatisées, formatées-ménagères, n’a plus affaire au livre ; Cocteau peut remballer son pathos, on n’en a rien à faire.

Pas tout à fait quand même. Parce que, ce que Cocteau pointe ici, on le rencontre toujours. Il s’agit de cette quasi obsession chez certains - et en général, il s’agit de ceux dont la dialectique est au plus bas - d’affirmer sans démontrer, et de demander - voire même d’exiger - l’assentiment de l’auditeur, comme si ce qu’il venait d’énoncer était une évidence : « On est bien d’accord, hein m’sieur ? ». Et vous, qu’on tire par la manche, vous laissez tomber « oui, oui, bien sûr »… Seul le dégoût d’entrer dans un tel débat explique cette lâcheté !

Z’êtes bien d’accord ?

2 comments:

Djabx said...

Bonjour,

Avant toutes autres choses, je dois avouer que ce texte m'a fait rire de moi, mais bon passons.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, je pense (peut-être un peu candidement) que ce que cherche le lecteur ce n'est pas se lire, mais découvrir de nouvelles idées afin de mieux se comprendre, et ainsi mieux se connaitre.

Ainsi, quand le lecteur lit le seigneur des anneaux (exemple carricatural) pendant ces instants, il n'est pas lecteur, mais tour à tour guerrier, roi, sorcier, etc. Il part à l'aventure et sort de sa vie plus ou moins monotone (tout du moins, plus monotone que celle à sa disposition dans le seigneur des anneau).
Est-ce que le lecteur aimerai pour autant avoir écrit cet ouvrage?
Je ne crois pas, je pense par contre qu'il souhaiterai l'avoir vraiment vécu ne serai-ce qu'un instant; tout ça pour se nourrir d'expériences inconnues, de sentiments et de visions différentes que celles qu'il peut rencontrer tous les jours.
Ces expériences (même fictives) l'aideront à mieux se comprendre.

Vous me direz que votre propos ne s'attribuait peut-être pas aux livres d'aventure, mais plus à ceux de philosophie. Et je vous dirai que je ne suis toujours pas d'accord avec vous. Mais essayons de clarifier un peu plus mon idée.

Tu en veux au livre d’avoir dit avant toi ce que tu te découvres entrain de penser; [...]

C'est surtout là que je ne suis pas d'accord.
Vous insinuez que le lecteur suis votre idée, comme un mouton son berger.
Je pense au contraire que le lecteur vous suis (comment faire autrement dans un livre?) mais surtout prend note du chemin parcouru à vos coté.
Après le lecteur, refait seul ce cheminement dans sa pensée. Si celui-ci (et non pas le votre directement) trouve écho au fond de lui, alors il s'appropriera l'idée; mais uniquement si celle-ci trouve écho à ses idées déjà acquises.
Ainsi vous autres écrivains n'êtes pas des "bergers de lecteurs", mais des découvreur de nouvelles voies au seins de la pensé, et donc potentielement celles des lecteurs.

Enfin, si le lecteur, une fois cette nouvelle idée appropriée la répend à son tour, n'est-ce pas la volonté de l'auteur à la base? Sinon il ne l'aurai sûrement pas publiée...

Jean-Pierre Hamel said...

D’abord, merci pour votre message qui me paraît très complèt et surtout très enrichissant.
Mon Post avait un ton mi-sérieux, mi-ironique : en fait des gens qui attendent l’ouvrage du maître pour penser comme lui, j’en ai connu dans mon jeune temps : c’étaient des lacaniens et des althussériens. C’est un peu à eux que je pensais.

« vous autres écrivains n'êtes pas des "bergers de lecteurs", mais des découvreur de nouvelles voies au seins de la pensé, et donc potentiellement celles des lecteurs. »
Voilà une belle formule, et je pense tout à fait comme vous. Qu’importe que quelqu’un ait découvert la vérité avant moi ? La vérité est à tous donc elle n’appartient à personne. Mais surtout… Mais surtout la pensée doit donner à penser. Et le philosophe que serait comme un sherpa, qui ouvrirait la voie, comme vous dites, et qui vous dirait : « maintenant, allez-y tout seul » aurait rempli pleinement sa mission. Je crois que Montaigne est un modèle ici ; dommage qu’il soit un peu difficile à déchiffrer.
Bien à vous. J.P.H.