Friday, January 06, 2012

Citation du 7 janvier 2012

Eh bien ! vieux lubrique, vieux Valmont, vieux Cardoville, infect Noirceul et père Jérôme, souilles-tu suffisamment le département de la Haute-Garonne ? Emplis-tu les ravines des éjaculations de ton indomptable broquette ? Combien de chèvres as-tu déshonorées, combien de caméristes séduites, de pâtres violés et de tables d’hôte éblouies ? (…) Terrifies-tu les bourgeois ? Soutiens-tu un peu les principes ?
Gustave Flaubert, lettre – lundi 18 juillet 1859, à Ernest Feydeau (1)
Sade : le plaisir de la lecture vient évidemment de certaines ruptures [...] des messages pornographiques viennent se mouler dans des phrases si pures qu’on les prendrait pour des exemples de grammaire. [...] Le plaisir du texte est semblable à cet instant intenable, impossible, purement romanesque, que le libertin goûte au terme d’une machination hardie, faisant couper la corde qui le pend, au moment où il jouit.
Roland Barthes, Le Plaisir du texte
Vieux Valmont, vieux Cardoville, infect Noirceul et père Jérôme… Comme si ces références à la littérature de l’Enfer de la B.N. (2) ne suffisaient pas, le niveau de langage et la structure des phrases de Flaubert sont là pour produire l’effet signalé par Barthes, c’est-à-dire ces ruptures qui provoquent la commotion nécessaire à la jouissance.
Je crois que l’intérêt du petit texte de Barthes est de souligner que le lecteur prend son plaisir dans un effet travaillé par l’auteur dans son texte – auteur qui ne doit pas se contenter d’aligner des propos pornographiques. Car à ce compte, l’écart entre la littérature et le roman de gare serait comblé.
De quelle rupture parle-t-on ? De la rupture venant d’une cohabitation du pur et de l’impur. Ici : « des messages pornographiques viennent se mouler dans des phrases si pures qu’on les prendrait pour des exemples de grammaire » – et ce n’est évidemment qu’un exemple.
Voyez donc ce passage de la Lettre de Flaubert : Emplis-tu les ravines des éjaculations de ton indomptable broquette ? Comment mieux analyser l’effet de cette phrase qu’en soulignant l’écart entre le fonds (sic) et la forme ? Et bien sûr, la pornographie n’est qu’un exemple de jouissance éprouvée dans la lecture du texte.
C’est que toute pornographie n’est pas jouissive (pornographie du roman de kiosque de gare), et toute jouissance littéraire ne nécessite pas forcément la pornographie. Mais il faut avouer que cette dernière est plus facile à mettre en œuvre selon les principes énoncés par Roland Barthes.
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(1) Ne pas confondre Ernest Feydeau avec Georges Feydeau, son fils (fils « présumé » : voir les ragots de l’époque ici)
On retrouvera ce texte de Flaubert – et bien d’autres – dans cet article joliment titré « La prostate de Flaubert »
(2) l'Enfer, dans le monde des bibliophiles, est une cote, apparue en 1844 pour rassembler tous les ouvrages licencieux sous une même appellation.

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