Friday, June 05, 2015

Citation du 6 juin 2015

Messieurs, on n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même qu’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est.
Jean Jaurès – Pour la laïque (Discours des 21 et 24 janvier 1910 devant la chambre des députés) – A lire ici.
Je crains que cette admirable formule de Jaurès soit incompréhensible à nos jeunes esprits – et aux un-peu-moins-jeunes. Nos enseignants, s’ils sont encore des formateurs, ne sont censés former que des travailleurs, des employés, en bref ce sont des gens qui vous donnent des compétences pour faire quelque chose – si possible quelque chose d’utile ou de rentable. On risque donc de comprendre la phrase ainsi : le plombier vous apprendra à devenir plombier, le maçon – maçon et le boulanger vous montrera comment faire du pain. Quand à savoir qui fera de vous un homme digne d’être citoyen ou père de famille, bernique ! Et en plus nous, français, nous n’irons pas même le demander au curé... car ne l’oublions pas : dans ce discours Jaurès défend l’enseignement laïque contre les assauts catholiques.
On le devine : de nos jours, l’école a choisi de nous transmettre non pas l’art d’être un homme, mais un savoir faire utile à la société. Ecoutons Jaurès : apprendre aux jeunes esprits la liberté dont jouit le maitre, cela ne se peut qu’à la condition « de les mener par les mêmes réflexions et leur soumettre la même information étendue ». C’est cela « enseigner ce qu’on est » : c’est transmettre son savoir, comme l’artisan enseigne son apprenti en montrant comment il s’y prend. Montrer l’exemple serait, si possible, l’essentiel en pédagogie.
C’est là que le paradoxe d’un enseignement non intentionnel se dénoue. De même que les maitres de musique d’autrefois se contentaient de laisser leurs disciples les observer, les  maitres d’école doivent doubler leur enseignement des connaissances d’un autre savoir, celui des principes de vie qu’on n’enseigne pas selon une pédagogie spécifique mais en incarnant une autorité morale.
Je sais bien que cette ambition d’enseigner par l’exemple peut paraître prétentieuse : on dira que l’appel du héros bergsonien n’est pas loin ! (1)  Mais après tout, pourquoi pas ? En tout cas cette conception de l’enseignement nous conduit tout droit à la question : qui enseigne aujourd’hui nos jeunes gens quand à la morale et à la vertu ? Cette question n’éveille en général que haussement d’épaules et quolibets. Rions – et puis interrogeons-nous quand même : et si cet enseignement par rayonnement de la personnalité comme le suppose Jaurès existait toujours ? Et si ceux qui nous enseignent à être ce qu’ils sont n’étaient plus ces autorités morales vénérées dans la société, mais ces junkies de la jet-set, ces idoles de paillettes revêtues de néons lumineux ?
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(1) Allusion à la morale ouverte opposée par Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion à la morale close, faite d’obligations imposées par la société. Au contraire, avec la morale ouverte apparait l'appel du Héros, de l'homme supérieur, du saint ou du mystique « qui a soulevé d'un élan puisé par lui au contact de la source de l'élan vital même et qui tâche d'entraîner les autres hommes à sa suite. Tels furent Socrate, Jésus-Christ surtout et les saints du christianisme. (...) Ce n'est plus une pression, comme la société, qu'ils font peser sur les individus, pour les figer dans la routine et constituer une morale statique, - c'est un appel qu'ils font entendre, une émotion qu'ils communiquent et qui pousse derrière eux les multitudes enflammées, avides de les imiter.» (Art Wiki, lire ici)

1 comment:

Fany said...

Bonjour Jean-Pierre,

Je dirais peut-être que nous enseignons avec nos valeurs et à travers nos expériences et je m'interroge quant au savoir-faire, car les enfants en majorité sont des consommateurs ( ça doit être très utile à la société...)

Encore bravo pour vos articles :-)

Bon weekend