[...] le plus précieux de nous-même est ce qui reste
informulé.
Gide
–Les nouvelles nourritures, p.225
On peut faire dire n’importe quoi à une citation : il
suffit qu’elle soit isolée de son contexte et qu’elle comporte des points
d’ancrage pour tel ou tel sens.
C’est vrai mais c’est parfois dommage, comme ici quand on
peut donner le contexte. Voici ce qu’écrivait Gide, une page plus haut (1) :
« Je sens bien, à
travers ma diversité, une constance; ce que je sens divers c'est toujours moi.
Mais précisément parce que je sais et sens qu'elle existe, cette constance,
pourquoi chercher à l'obtenir? Je me suis, tout le long de ma vie, refusé de
chercher à me connaître; c'est-à-dire: refusé de me chercher. Il m'a paru que
cette recherche, ou plus exactement sa réussite, entraînait quelque limitation
et appauvrissement de l'être, ou que seules arrivaient à se trouver et se
comprendre quelques personnalités assez pauvres et limitées; ou plutôt encore:
que cette connaissance que l'on prenait de soi limitait l'être, son
développement; car tel qu'on s'était trouvé l'on restait, soucieux de
ressembler ensuite à soi-même, et que mieux valait protéger sans cesse
l'expectative, un perpétuel insaisissable devenir. »
Gide
– Les nouvelles nourritures, p.224
Alors, bien sûr, le commentaire devient d’un seul coup
superflu. Quoique… On peut encore imaginer en quoi consiste cette constance, mystère informulé. Pour
ma part, j’imagine facilement que ça n’existe pas ou plutôt que c’est la
source de tout ce qui jaillit en nous, tout ce qui nous arrive comme pensée et
comme image avant même qu’on l’ait cherché. Le foyer de la pensée et des
sentiments est comme la tâche aveugle de la rétine : impossible de le
penser ou de le voir parce que c’est le lieu de toutes les pensées et de toutes
les images.
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(1) Si ma mémoire est bonne, Gide critiquait le principe
socratique « Connais-toi toi-même »
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