Tu diras, « Il y a quelque chose qui ne va pas. Je le
vois. Qu’est-ce que c’est ? » Il sera stupéfait et il dira, « Comment
tu le sais ? »
DF Wallace - The Pale King
Wallace imagine cette phrase adressée à n’importe qui, un
quidam, un inconnu (cf. Texte en ligne ici). On pourrait hausser les épaules et
dire : « Oui, c’est comme celui qui met dans les boites à lettre de
ses voisins un bout de papier anonyme sur le quel est écrit « Fuyez, tout
est découvert » et qui prétend déclencher une débandade généralisée.
En réalité, le propos de notre Citation-du-Jour est beaucoup plus
édifiant. Oui, en nous tous il y a quelque chose qui cloche. Quelque chose
comme une alarme qui retentit au fond de nous, et qui, au mieux, se trouve
assourdie et étouffée par la vie qui va. Façon de dire que la pureté des états
d’âme n’est rien qu’un équilibre subtil, quelque chose d’adynamique, résultat
de tendances contraires qui se neutralisent provisoirement. Finalement quand
Freud parlait de l’ambivalence des sentiments, il ne disait rien d’autre. Le
pur amour que vous éprouvez pour cette femme que vous aimez tant n’existe que
parce que, pour elle, vous avez refoulé toute la haine qu’elle vous inspirait.
En général, quand on dit ça aux gens, ils ont une réaction
totalement inverse de celle signalée par Wallace – ils vous disent :
« Tu es absurde ! non seulement je l’aime plus que ma vie, mais si je
devais en même temps souhaiter l’étrangler de mes propres mains, plus rien
n’aurait de sens. Je crois que toi, avec tes « certitudes », tu ne fais
que violer la vérité juste pour me déstabiliser. »
Bon – ne nous fâchons pas. De fait, tout cela fait référence
à quelque chose de beaucoup plus essentiel et général : ce qui ne va pas
en nous, c’est qu’on ne parvient pas être en accord avec nous-mêmes, que notre
lutte contre nous-mêmes n’a jamais de fin, bref qu’elle nous est
consubstantielle. Là encore, Freud l’a dit très clairement : le conflit
est interne avant d’être externe. Il commence à l’enfance du petit Œdipe, lorsque
nous nous sommes identifiés à celui dont l’amour était le plus essentiel,
c’est à dire notre Père – ou un
substitut quelconque. Etre à la fois l’amant et l’objet aimé, quel pied ! (1). Sauf
que ce couple n’est jamais en paix, et
que si l’un reproche à l’autre de ne pas l’aimer suffisamment, l’autre
répondra qu’il ne sait pas se rendre aimable.
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(1) L’Œdipe féminin est l’objet de bien des débats. Il n’en
reste pas moins que s’il ne comporte pas comme pour le garçon un effet
d’identification, il n’en est pas moins un désir d’être désiré – c’est à dire
désirable.
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