Wednesday, April 13, 2011

Citation du 14 avril 2011

La cruauté, bien loin d'être un vice, est le premier sentiment qu'imprime en nous la nature ; l'enfant brise son hochet, mord le téton de sa nourrice, étrangle son oiseau, bien avant que d'avoir l'âge de raison.

Sade – La philosophie dans le boudoir

On a dit de Sade qu’il était l’anti-Rousseau : on trouve en fait autant de ressemblances que de différences.

- Sade s’accorde avec Rousseau pour dire qu’il y a une nature humaine ; toutefois, celle-ci, au lieu d’être faite de bonté, exprime la plus rigoureuse cruauté. En sorte que si tout ce que fait la nature est bon, alors il faut dire que la cruauté est bonne, en tout cas qu’on n’a pas de justification pour la condamner.

- C’est que, comme Rousseau, Sade ne cherche pas de justification à la nature humaine : elle est faite comme ça, et puis c’est tout. (1)

- Une autre ressemblance : entraver la nature est sans aucun doute le début des malheurs de l’humanité.

Faut-il rappeler alors que pour nous, hommes du XXIème siècle, la violence est désignée comme responsable des désordres sociaux, et que nous sommes persuadés qu’une vie féconde en collectivité repose sur le renoncement à ces pulsions ? Freud a écrit des pages définitives là-dessus, inutile d’y revenir.

Sauf que même Freud – surtout Freud ! – montre qu’on ne renonce pas à la violence mais seulement à ses formes les plus évidentes. Mais que sournoisement, par des voies détournées cette tendance si naturelle, ce premier sentiment qu'imprime en nous la nature, trouve malgré tout toujours à s’exprimer.

D’ailleurs, vous l’avez remarqué : j’ai subrepticement glissé de la cruauté à la violence pour mettre en évidence le fait que cette dernière, même sévèrement refoulée, revient dans ces manifestations d’hostilité. Maintenant rétablissons la formule de Sade : la cruauté, bien loin d’être un vice etc. ; hé bien voilà : la cruauté est la forme tout à fait admise et reconnue de la violence.

Quoi, dira-t-on ? La cruauté admise ???

Et alors ? Croit-on que la cruauté soit bannie de nos familles ? Mais on le sait, la cruauté mentale reste cause de bien des divorces.

Mais surtout, imagine-t-on que la cruauté soit bannie de nos rapports sociaux et professionnels ? Pour se détromper, il suffit de considérer toutes les formes de harcèlement moral, toutes ces pressions psychologiques qu’on dénonce mais qui renaissent sans cesse. Au point que ce qu’on trouve à leur reprocher, dans les entreprises, c’est simplement qu’elles se substituent aux autres manières de manager le personnel (on pense bien sûr à France Télécom).

Faudrait-il en déduire alors que le harcèlement moral purement gratuit, exutoire jouissif de la violence est quant à lui parfaitement toléré ?

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(1) Pour Rousseau, la nature humaine est antérieure aux valeurs morales (qui sont générées pas le développement de la société). On n’a donc pas à la juger, même pas, en toute rigueur, à dire qu’elle est bonne.

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