Thursday, April 14, 2011

Citation du 15 avril 2011

Un peintre bon acteur est capable de convaincre qu'une toile monochrome est une œuvre d'art.

Bernard Werber – La révolution des fourmis

Tuer une œuvre d'art est plus grave que de tuer des hommes. Des hommes, on en refait tant qu'on veut...

Jean Dutourd

Peut-on tuer une œuvre d’art ?

On l’a sans doute déjà bien oublié : en 2007, un fait divers avait alimenté le buzz : une jeune femme avait laissé une trace de rouge à lèvre sur une toile monochrome blanche, œuvre du peintre américain Cy Twombly, en l’embrassant. Comme on le voit sur la photo ci-contre, il s’agissait en fait d’un diptyque : la toile de gauche porte une large trace de peinture rouge et l’autre est intégralement blanche. C’est sur celle-ci que Rindy-Sam a déposé sa trace de lèvres rouges, transformant ainsi la toile et plus encore le diptyque.

Laissons de côté la provocation consistant pour un spectateur à redéfinir le contenu de l’œuvre d’un artiste (fut-ce en déposant une trace de rouge à lèvre), et attachons-nous à ces œuvres qui consistent en un « rien », blanc de la toile pour la peinture, objet manufacturé pour sculpture (1), silence pour la musique. S’agit-il encore d’œuvres d’art ? Fallait-il restaurer la toile blanche maculée par le rouge à lèvre de Rindy-Sam, ou bien suffisait-il de racheter une autre toile chez le marchand de couleurs du coin ?

L’inconvénient pour ce genre d’œuvres, c’est que n’importe qui peut se prétendre artiste : ainsi de Lady Gaga signant à son tour un urinoir et posant complaisamment à côté (voir ici)…

On a bien souvent dénoncé comme des supercheries ces « œuvres » monochromes surtout quand elles sont blanches. Mais les peintres ne sont pas les seuls en cause : on pense aussi, dans le domaine musical, à John Cage et à sa composition : 4’33’’… de silence.

Pour interpréter cette œuvre, inutile d’avoir fréquenté le Conservatoire de musique : il suffit de disposer d’un Steinway ou – mieux – d’un orchestre symphonique et d’une baguette de chef. (voir ici)

Toutes ces œuvres ne valent que par le discours qu’on tient à leur propos : les 4’33’’ de Cage ne dérogent pas à cette règle. Je reviens donc sur le propos de Jean Dutourd : contrairement à lui, je considère qu’il n’y a aucun inconvénient à détruire une « œuvre d’art » si le discours du critique d’art épuise son contenu. Supposez un instant que tout ce qu’on a écrit sur la Joconde suffise à dire la totalité de ce qu’elle suscite comme pensées, à éveiller toutes les émotions dont elle est la source, etc. Eh bien il n’y aurait aucun regret à la voir disparaitre en fumée dans un incendie. Seulement, voilà : une œuvre d’art n’est telle que parce qu’elle est une inépuisable réserve de sensations et de sens.

A défaut d’autre chose, voilà un critère pour établir si une toile blanche est ou non œuvre d’art.

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(1) On songe bien sûr à l’urinoir signé par Marcel Duchamp comme s’agissant d’une œuvre d’art.

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