Blague. – Pour le pur intellect, rien n'est futile, rien n'est important. C'est pourquoi les hommes très intellectuels et le plus véritablement intellectuels plaisantent aisément. Et ils plaisantent de façon habituelle - en quelque sorte sans plaisanter, par le jeu détaché de leurs organisations verbales et plastiques. Ils font jouer les groupes de similitudes, et les possibilités séparées des parties de leur avoir psychique comme d'autres font leurs muscles.
Ce mode scandalise les gens lents et les gens avides. Ceux qui ignorent combien une foule de traits, de rapports fortuits, de rapides fantaisies inutiles déblaient l'esprit et l'apprêtent à situer une "question", à éclairer ses innombrables tenants, à la dépolariser, à la sonder jusqu'à l'essentiel.
Paul Valéry / Cahiers I – Gladiator
Le rire et la politique III
Réhabilitons aujourd’hui la blague, mise à mal hier par les Goncourt.
Que nous dit Valéry ?
Pour le pur intellect, rien n'est futile, rien n'est important ; les gens sérieux, les gens lents et les gens avides sont quant à eux incapables d’imagination, cette imagination créatrice qui fait les inventeurs. On reconnait ces derniers justement, à ce qu’ils blaguent sans cesse – du moins si on admet avec Valéry que blaguer, c’est mettre en œuvre la liberté de son esprit qui, jouant avec des idées ou des mots, formule entre eux des rapports nouveaux et fortuits. Si le blagueur, comme l’enfant, joue avec les mots, c’est qu’il refuse de se laisser enfermer dans le carcan de la réalité, parce que pour son esprit il y a bien d’autres possibilités que celles qui se sont réalisées. C’est grâce à cela nous dit Valéry qu’il dépolarise (1).
Qu’on imagine le mathématicien dans son espace à (n)
- Et alors ? Et nos hommes politiques ?
Pour eux, rien ne doit être futile et tout est important : la blague ne les concerne pas – la blague, c’est de la com’ : on s’en servira dans les joutes oratoires ou dans les rencontres avec les journalistes, mais pas dans les adresses à la Nation.
Alors bien sûr cela n’empêche pas que le cerveau de certains hommes politiques soit accessible à ce genre de gymnastique et qu’il y montre sa souplesse et ses performances – mais ça, on l’a déjà dit.
Reste ceci : la blague est un plaisir que s’offre le pur intellect. Pas sûr que le politicien prenne son plaisir comme ça.
Jouissance du politicien… J’imagine que le vrai politicien, le monomaniaque de la politique, ne jouit que du pouvoir et s’il rêve de quelque chose, c’est de se voir en Président de la République.
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(1) Selon le contexte, il semble que Valéry prenne ce terme non dans son sens technique (passage d’une cellule vivante d’un état de repos à un état actif) mais dans son sens imagé : échapper à une fixation exclusive sur un fait.
3 comments:
jean pierre vous pouvez réutiliser le même mail
lamangou@yahoo.fr
il est à nouveau sécurisé
à bientôt
Wow et rewow ! Oui, je sais. Vous ne trouverez pas ce mot dans les dictionnaires.
Je découvre votre blogue suite à votre commentaire laissé sur le blogue : Impulsive Montréalaise.
Quel érudit vous faites ! Vous voyez, je connais quand même un autre mot que Wow !
C'est ma première visite, mais certainement pas ma dernière.
Marjo
Si je fais l'érudit, il faut me le dire : c'est que ça m'aura échappé, malgré ma vigilance.
Après 40 années d’enseignement de la philosophie, j'ai décidé de laisser là ma toge de prof et d'inventer - si faire se peut - une autre façon de communiquer avec les gens.
Mais il y a forcément des rechutes...
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