Monday, February 06, 2012

Citation du 7 février 2012

La vie a mis longtemps à devenir courte.

Franquin

Car la mort envisagée dans le sérieux est une source d'énergie comme nulle autre ; elle rend vigilant comme rien d'autre.

Kierkegaard – Traité du désespoir (lire l’extrait ici)

La vie a mis longtemps à devenir courte… Ça ne vous rappelle rien ? Oui, L'éternité, c'est long, surtout vers la fin. (Woody Allen) : c’est ça.

- Mais non : ce n’est pas ça du tout ; ça n’a même rien à voir.

La vie, c’est l’avenir – vivre, c’est avoir un horizon qui donne un sens à ce que nous faisons. Elle est cet espace de temps, cette durée qui nous sépare de la mort. Lorsque cette durée dépasse plusieurs années alors la vie n’est plus du tout imaginée comme ce qui nous sépare de la mort, mais est un espace neutre où nous pouvons inscrire n’importe quel projet (envisagé sous le rapport de sa durée). L’idée de Franquin est que seuls les vieillards envisagent leur vie comme le temps qui leur reste à vivre, alors que les plus jeunes la considèrent comme cet indéfini temporel.

Ma question est : est-ce un avantage ou un inconvénient ?

La réponse spontanée est qu’il vaut mieux bien sûr éviter de penser au moment de sa mort, car ces représentations sont angoissantes et qu’elles qui nous font endurer la mort durant toute la vie : et ça fait long. C’est ce que disait Epicure.

Mais Kierkegaard (reprenant peut-être une vieille thèse religieuse déjà connue de la contre-réforme) souligne que l’essentiel de la vie, c’est l’urgence qui nous le fait vivre (1). Il y a urgence à vivre, il y a urgence à agir, et – pour le misérable libertin – il y a urgence à jouir. Or c’est par la représentation de la mort (ou plutôt de notre mort) que nous prenons conscience de la brièveté de la vie, du fait que sa durée n’est pas indéfinie.

C’est dans la courte vie que nous agissons, et que nous jouissons des fruits de l’action. D’ailleurs comme on le sait, Franquin était un dépressif chronique : il ne m’étonnerait pas que sa remarque soit faite sur le ton du regret.

La sagesse consiste donc à se savoir mortel, ou plutôt promis à la mort – et à en tirer une raison d’agir et de jouir de notre action, au lieu de le déplorer.

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(1) C’est ce qu’il appelle le sérieux de la vie, ce que Heidegger reprendra avec son concept de souci (Sorge)

2 comments:

Anonymous said...

Je ne suis pas du même avis que Epicure. Penser à la mort nous aide à l'apprivoiser - un peu comme le Renard et le Petit Prince.

Je crois qu'il faut bien vivre sa vie pour accepter d'être mortel.

Marjo

Jean-Pierre Hamel said...

« bien vivre sa vie pour accepter d'être mortel »
- Oui, c’est en effet ce que dit Kierkegaard, en inversant l’ordre : il faut accepter d’être mortel pour bien vivre sa vie. Mais bien sûr, ce n’est pas la même vie que celle qui est proposée par Épicure. Choisis ton camp, camarade !

« Penser à la mort nous aide à l'apprivoiser »
- En effet, pourquoi pas ? Reste que :
1 – Il faut savoir où passe la frontière entre la « bonne pensée » de la mort et l’obsession morbide. Rappelons les prêcheurs de la Contre-Réforme qui disaient à leurs ouailles : « Pense en mangeant, que tu manges pour nourrir les vers qui vont bientôt te ronger » Pouah !
2 – Ça ne peut se faire que si on a une crainte de la mort à apprivoiser. Ce qu’ n’avait certes pas le Sage épicurien. Mais n’est pas épicurien qui veut.