Presque tous les esprits errent autour de la chose qu’ils
veulent exprimer, sans aller jusqu’à elle, ou sans l’entamer entière. De là
vient peut-être qu’en matière d’esprit, on a nommé sublime ce qui n’est que cet
excellent vrai toujours manqué.
Marivaux.
Commentaire I
Le sublime : paradoxalement, c’est quand nous
échouons à le penser, que nous paraissons l’être. Bizarre.
Selon Marivaux, le sublime, c’est le manqué de l’esprit. C’est-à-dire cet au-delà de notre propos, ou
de notre écrit, qui projette son ombre dessus et qui nous fait dire « c’est
sublime ! »
Philosophes abscons ou poètes obscurs, ils ont tous profité
de cette disposition pour attirer les louanges sur leurs œuvres. Comme le
disait Nietzsche, « ils ont troublé
leurs eaux pour qu’elles paraissent profondes ».
On devine que ce n’est pas là ce que Marivaux veut dire.
Selon lui, c’est dans l’effort authentique pour dire l’indicible que le sublime
est atteint – ou plutôt est supposé atteint.
Une réflexion sur le sublime esthétique (1) – chez Kant
en particulier – montre qu’il est toujours inaccessible pour l’être humain,
mais qu’en même temps il est ressenti comme l’objet d’un désir (comme dans Cet obscur objet du désir le film de
Buñuel). Pourtant, il faut bien que quelque chose précise cette intuition du
sublime pour qu’on sache ce dont il s’agit : l’objet du désir n’est jamais
complétement obscur, qu’il s’agisse de la saveur du chocolat ou du velouté
élastique de la peau de la femme aimée, il y a toujours quelque chose qui fait
que cet objet est désiré. Pour le sublime, ce qui le fait désirer, c’est
précisément qu’il nous dépasse – ou plutôt qu’il stimule et qu’il dépasse le
pouvoir de notre imagination. Le sublime est ce qui nous donne une idée de
l’absolu, en nous faisant voir qu’il y a quelque chose qui existe au-delà de
nos limites.
L’écrivain qui atteint au sublime est celui qui déplace
ces limites, mais qui en même temps nous
montre qu’elles existent toujours, et que, si loin de nous que les
artistes les repoussent, nous restons encore en-deçà.
-----------------------------------------
(1) Voir par exemple cet intéressant exposé.
No comments:
Post a Comment