Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image.
Jean-Luc Godard (1)
[Séquence prise
de tête : juste pour voir ce que ça fait.]
Il en est de ces
phrases emblématiques de Godard comme des dogmes de la révélation : on
s’incline bien bas devant en pensant que plus la révérence sera profonde et
moins on viendra nous demander ce que tout ça veut dire.
Je ne crois pas
trahir le respect qui lui est dû en affirmant que pour comprendre Godard il
vaut mieux aller voir ailleurs.
Par exemple chez
Deleuze qui développe une conception de
l’image assez proche – pour autant que j’en juge – de celle qui est suggérée
ici. (2)
Deleuze
considère qu’il faut déconnecter les images de leur valeur de communication ou
de représentation : ce ne sont pas des images justes
(ressemblantes, informant avec exactitude), ce sont juste des images,
c’est-à-dire un champ de forces qui appelle une interprétation du spectateur
pour exister.
Une image, c’est
de la couleur, des formes, une place dans un enchaînement, quelque chose qui a
une texture (du grain, des pixels), une marge… Et au cinéma : une
bande-son, un montage.
Alors que pour
Platon, l’image n’est au mieux qu’un reflet de la réalité, chez Deleuze et sans
doute aussi Godard, l’image est pleine de réalité, elle doit se voir comme
l’aboutissement d’une synthèse entre toutes ces forces (3) qui la traversent ou
qui l’environnent.
Ne risque-t-on
pas de jeter un beau et gros bébé avec l’eau du bain en disant cela ? Quid
de la vision du monde, de la spiritualité que certains tableaux nous donnent à
voir ? Va-t-on dire avec Maurice Denis : « qu’un tableau, avant d’être une femme nue,
un cheval de bataille ou une quelconque anecdote, est d’abord une surface plane
recouverte de couleurs en un certain ordre disposées. » ? Bien
sûr il serait grotesque de dire que l’image – juste une image – n’est que formes et couleurs, qu’elle n’est que
ce que saisira le balayage du scanner.
C’est que ce qui
s’ajoute aux tâches de couleur et qui font la signification du tableau (ou de
la photo) ne sont à coup sûr pas tels quels dans la réalité, et que c’est
précisément cette synthèse opérée par le spectateur qui le fera apparaitre.
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(1) Vent
d’Est, co-écrit avec Daniel Cohn-Bendit, est conçu comme un faux
western. « Ce n'est pas une image
juste, c'est juste une image », lit-on sous forme de carton.
(2) On pense à Pourparlers
de Gilles Deleuze.
(3) Rappel :
une synthèse, c’est quand le tout est plus que la somme des parties.
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