Ils n'ont rien appris ni rien oublié.
Attribué à Talleyrand à propos des immigrés (durant la révolution française) – Voir ici
Voilà une question bien piquante : faut-il savoir oublier pour pouvoir apprendre ?
Si apprendre est un processus qui de déroule dans le temps, ne va-t-on pas oublier ce qu’on vient d’apprendre, juste pour pouvoir le réapprendre ? Stupide !
En plus : la première chose qu’on a apprise l’a été sans aucun oubli, puisqu’on ne savait rien, on n’avait rien à oublier…
Et puis, à supposer qu’il nous faille oublier, ce serait oublier quoi au juste ?
Procédons par ordre :
- D’abord à propos des immigrés dont parle Talleyrand : il s’agit des ci-devant nobles qui ont fui la révolution française pour éviter la guillotine et qui ne rentreront en France qu’après la restauration : on comprend bien que ce qu’ils ne parviennent pas à oublier ce sont leurs privilèges et la monarchie absolue. Du coup ils n’ont rien appris, puisque pour apprendre il fallait admettre les changements impulsés par la Révolution.
Maintenant généralisons: de la même façon, l’adulte n’apprendra à l’être qu’à la condition d’oublier qu’il a été l’enfant gâté que sa maman secourait au moindre bobo.
- Ensuite, en actualisant la pensée de Talleyrand : tous les pédagogues le disent, pour enseigner, il faut d’abord faire table rase des idées reçues par enfants dans leur milieu socio-culturel, parce que ces préjugés sont beaucoup plus forts que les enseignements du maître. En outre, ces préjugés sont d’autant plus forts qu’ils ont été confortés par l’habitude : plus on les attaque tard, plus ils sont difficiles à défaire.
Bien entendu, il ne s’agit pas de dire qu’apprendre, c’est se former de nouveaux préjugés. A quoi bon oublier si ce qu’on apprend ne vaut pas mieux que ce qu’on a rejeté ?
Pour apprendre, il faut donc se déprendre de la trompeuse sécurité de l’évidence.
Disons mieux : ce qu’il faut oublier, c’est la confiance aveugle dans les promesses de l’évidence : évidence des paroles des parents, évidence des règles édictées par les maîtres spirituels (ou par le chef de la bande), évidence de l’apparence.
C’est à la démarche scientifique que l’on doit d’avoir mis cela en pratique : d’abord douter de l’évidence pour ensuite la vérifier par expérience.
On aura reconnu la méthode cartésienne. Reste comme question subsidiaire de savoir si l’on doit oublier (les préjugés) une fois et une seule dans l’existence (ce que croit Descartes) ou bien si c’est à chaque étape du progrès du savoir que c’est nécessaire (ce que pense Bachelard).
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