Tuesday, November 23, 2010

Citation du 24 novembre 2010

Si les singes savaient s'ennuyer, ils pourraient devenir des hommes.

Goethe

« Parle et je te baptise »

Cardinal de Polignac

Cette injonction du Cardinal de Polignac s’adressait à un orang-outang rencontré dans le jardin du roi. (Voir Post du 27 janvier 2006)

Je ne rappelle la phrase du cardinal de Polignac que pour souligner combien est ténue la frontière entre l’animal et l’homme, mais aussi combien elle est étanche.

Ténue, parce qu'on fait comme si elle ne tenait qu'à un seul critère (1). Etanche parce que ce critère se veut révélateur de la nature de l’homme qui est ainsi distingué de l’animal.

C’est ainsi qu’on a dit que le rire était l’un des critères d’humanité, ce que certains contestent, mais l’important c’est quand même qu’en disant ça on élève ce signe à la hauteur de l’humanité. Au fond ce qu’on dit, c’est que le rire est essentiel à l’homme, et qu’il importe de ne pas le confondre avec des caractéristiques accessoires. C’est Jakobson qui disait que si on prenait la couleur de la peau comme critère pour classer les êtres humains, alors il faudrait mettre dans le même ensemble les bébés et les cochons roses.

Bon – Revenons à notre citation du jour : l’ennui est un critère d’humanité tel qu’il suffirait que les singes s’ennuyassent (2) pour devenir humains.

L’ennui est un de ces mots de la langue française qui change de sens en passant du singulier au pluriel. Quand je parle de mon ennui, je ne parle pas de la même chose que quand je dis avoir des ennuis. C’est à peu près comme pour l’amour : le sens est plus fort au singulier qu’au pluriel.

L’ennui est un signe d’humanité parce qu’il est un état de conscience (d’où la différence avec les ennuis qui peuvent être des faits). Je ne m’ennuie que quand j’ai conscience de … mais de quoi au fait ?

Si on laisse de côté les époques où l’ennui était une posture élégante (le mal du siècle), on constate qu’en général, l’ennui est considéré comme une prise de conscience de la vacuité de l’existence. Que l’ennui soit une vacuité signifie donc qu’il ne s’identifie pas forcément à la passivité (comme dans l'ennui scolaire) ni à l’inactivité (il y a bien des travaux prenants mais ennuyeux).

Reste donc que l’ennui soit la conscience du décalage entre ce que l’on est et ce que l’on devrait être – conscience qui se livre peut-être d’abord dans un sentiment confus mais qui tend à se clarifier dans la durée comme le paysage qui émerge de la brume avec la montée du soleil.

Maintenant, je voudrais dire pour conclure que Goethe, tout génie de l’humanité qu’il soit, paraît bien ignorant de la réalité de la vie d’un singe en cage. Moi j’ai toujours eu l’impression qu’ils s’ennuyaient profondément – principalement les grands singes, les orangs-outangs.

C’est vrai qu’en même temps ces singes sont ceux qui nous ressemblent le plus.

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(1) Je parlerais volontiers de signe diacritique si je ne craignais de me faire traiter de pédant.

(2) Pour ceux de nos lecteurs qui vivent en dehors de nos frontières, je précise que c’est Notre-Président qui a remis au goût du jour l’imparfait du subjonctif.

Pour en savoir plus :

- Pour les amoureux du subjonctif, lire Alphonse Allais, Complainte amoureuse adressée à la danseuse Jane Avril. (à lire à la fin de ce savant exposé)

- Pour connaître les surprises grammaticales des prochains discours de Notre-Président, voir le surjonctif (imaginé par Raymond Queneau)

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