Baudelaire est un citadin : pour lui la vraie eau, la vraie lumière, la vraie chaleur sont celles des villes - déjà des objets d’arts, unifiés par une pensée maîtresse.
Sartre – Baudelaire (lire la suite ci-dessous)
Il y a deux catégories d’êtres humains : les citadins et les ruraux. Les premiers ne peuvent vivre que dans une ville ; les seconds ne s’épanouissent qu’à la campagne.
On imagine que Sartre parle en connaissance de cause : qui donc pourrait être plus citadin que lui ? En plus on a parfois dit que les philosophes étaient comme Socrate, leur père spirituel, qui ne sortait pratiquement jamais des murs d’Athènes (sauf pour faire la guerre – et sauf pour parler d’amour, comme avec Phèdre).
L’avantage de Sartre, c’est qu’il ne se contente pas de relever cette particularité de l’humanité, mais qu’en plus il en donne une explication : la ville est le domaine de l’ustensilité, en ce sens que chaque chose s’y définit par son utilité et l’homme y a une place assignée, soit comme usager, soit comme ustensile lui-même. Si la ville résulte d’un plan, celui-ci doit être strictement humain : la ville est une collection d’objets techniques.
C’est réconfortant, parce que quand il est dans la nature, l’homme n’a plus de place assignée, il est là de façon arbitraire, comme « la touffe de genêt » (cf. texte infra). Si jamais il s’imagine avoir été désigné pour y occuper une certaine place, alors il doit avoir l’image angoissante d’une maître de la nature, qui la survole et le surveille. De quoi donner des sueurs froides à n’importe quel paranoïaque… (1)
- Reste un petit problème : sauf erreur, Baudelaire est ce poète qui a écrit : Homme libre, toujours tu chériras la mer (voir ici). Or, la mer, justement c’est l’endroit où on ne peut reconnaitre aucun plan, aucun lieu – la mer, c’est comme le dit Sartre dans le texte ci-dessous, une immense existence amorphe et gratuite. La mer est plus encore que la campagne, l’exact opposé de la ville.
Le citadin Baudelaire était-il conciliable avec le poète Baudelaire ?
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(1) La ville aussi résulte d'un plan organisé et qui a autorité sur les individus. Mais alors que la ville résulte d'un plan humain, le plan dont résulterait la nature serait issu soit de Dieu soit de la Nature elle-même, mais de toute façon transcendant par rapport à l'homme. On voit bien comment nous nous inclinons aujourd'hui devant les exigences écologiques de la Planète.
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Annexe : le texte de Sartre
« Baudelaire est un citadin : pour lui la vraie eau, la vraie lumière, la vraie chaleur sont celles des villes - déjà des objets d’arts, unifiés par une pensée maîtresse. C’est que le travail leur a conféré une fonction et une place dans la hiérarchie humaine. Une réalité naturelle, lorsqu’elle est travaillée et passée au rang d’ustensile perd son injustifiabilité. L’ustensile a une existence de droit pour l’homme qui le considère ; une calèche, dans la rue, une vitrine existent précisément comme Baudelaire souhaiterait exister, elles lui offrent l’image de réalités appelées à l’être par leur fonction et qui sont apparues pour combler un vide, sollicitées par ce vide même qu’elles devaient combler. Si l’homme prend peur au sein de la nature, c’est qu’il se sent pris dans une immense existence amorphe et gratuite qui le transit tout entier de sa gratuité : il n’a plus sa place nulle part, il est posé sur terre, sans but, sans raison d’être comme une bruyère ou une touffe de genêt. Au milieu des villes, au contraire, entouré d’objets précis dont l’existence est déterminée par leur rôle et qui sont tous auréolés d’une valeur ou d’un prix, il se rassure : ils lui renvoient le reflet de ce qu’il souhaite être : une réalité justifiée. » SARTRE Baudelaire
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