Friday, November 12, 2010

Citation du 13 novembre 2010


Comment Cupidon fait-il? Quel secret a-t-il pour ne point sortir de l'enfance? C'est que, se moquant du sérieux et du solide, il s'en tient uniquement au badinage.
Erasme – Eloge de la folie (1508)

Vénus et Cupidon (détail du Triomphe de Vénus de Bronzino 1540-1545) (1)
Comment être comme Cupidon un éternel enfant, comment rester jeune ?
Erasme nous répond : Tenez-vous en au badinage
Oui, mais qu’est-ce que ça veut dire : badiner ?
Voyez justement Cupidon dans ce tableau de Bronzino : c’est un jeune garçon, on lui donne 7 ou 8 ans pas plus. Le voici saisi par le peintre dans une attitude fort équivoque avec Vénus.
Equivoque, le mot est peut-être mal choisi :
- Voyez comment Vénus en réponse au baiser de l’enfant glisse le bout de sa langue entre ses lèvres (vous ne me croyez pas ? Agrandissez l’image et regardez mieux).
- Voyez la main comme elle tient le sein de Vénus (doigts écartés pour laisser voir le téton).
Tout cela, c’est de la polissonnerie… Et rien de plus ? Même si Cupidon est un garçonnet ? Même si Vénus est sa maman ? (2)
Là, ça coince un peu, n’est-ce pas ?
Bien sûr, on dira que je fais semblant d’oublier qu’il s’agit d’une allégorie mythologique, et – plus encore – que je cache le reste du tableau qui en fait un ensemble très moralisateur (voyez la note).
Certes. Mais n’oublions pas que le mot badiner signifie (à l’époque d’Erasme) : « folâtrer, s'amuser, se livrer à des jeux puérils ou galants » (TLF). Autrement dit tout ceci n’a pas de profondeur, ces gestes, saisis dans l’instant, ne sont rien d’autre que des sensations échangées.
--> Vérification : la langue de Vénus, juste sur le bord des lèvres de Cupidon ; la main de l’enfant juste posé sur le sein. Pas de langue pénétrante ; pas de main pétrissante. L’effleurement – juste de l’effleurement.
Plutôt que de dire qu’on est dans la superficialité, je préférerais en effet parler de « métaphysique de l’effleurement » (pour plus de détail, lire ici).
Le badinage enfantin : qu’importe sur quoi il porte, parce qu’il oublie à chaque instant ce sur quoi il vient de glisser.
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(1) Voir le tableau entier sous le titre « Le Triomphe de Vénus » ici (= en bas de l’article).
- A propos de ce tableau, une note de Vasari, (peintre et historien florentin XVIe siècle), qui écrit : « Il [Bronzino] fit une peinture d’une beauté singulière, qui fut envoyée en France, au roi François [1er], dans laquelle était une Vénus, nue, embrassée par Cupidon, le plaisir sur un côté et de l’autre, la fraude, la jalousie, et les autres passions de l’amour. » L’Allégorie du triomphe de Vénus, n’a d’ailleurs jamais figuré dans les collections royales françaises.
- Les curieux qui voudraient un décodage de l’ensemble en trouveront un ici.
- Ceux qui voudront rire un peu liront ce commentaire qui fait du tableau de Bronzino une allégorie représentant la mère castratrice…
(2) On peut imaginer que Bronzino avait en tête ce passage d'Apulée : "Vénus, de ses lèvres mi-closes presse ardemment celles de son fils." (L'âne d'or - IV, 28)

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