Ai-je dit quelque sottise, qu'ils m'applaudissent ?
Plutarque – Vie de Phocion, chap. XII (1)
Ce qu’il y a d’édifiant avec Plutarque, c’est que les situations qu’il nous décrit n’ont pas changé depuis son époque, mais que leur signification est carrément inversée. Car voilà qu’on aime tellement les applaudissements qu’on est prêt à dire n’importe quoi (même des sottises) pour être applaudi.
La preuve ? En lisant notre citation du jour, ne voyez-vous pas mentalement tel ou tel de nos hommes politiques se rengorgeant avec complaisance pendant que l’assemblée (ou simplement le panel de spectateurs réunis sur le plateau TV) l’applaudissent à tout rompre ?
Vous croyez peut-être encore que la phrase de Phocion ne vaut que pour sa lointaine époque ?
Que nenni ! Et voici ce qui me fait penser cela :
- On vient d’enterrer Georges Frêche, dirigeant la province du Languedoc. Cet homme a été célèbre de son vivant pour ce qu’on nomme un peu partout des « dérapages verbaux » tels que ses propos nauséabonds sur les stalags ou la « sous-humanité » des harkis algériens. Et on dit à présent de lui qu’il était un vrai socialiste, un humaniste et un universitaire respecté : donc on ne comprend pas qu’il ait pu laisser ainsi filer de tels propos.
Hé bien, c’est pourtant simple. Cet homme, fin lettré, avait sûrement lu et médité Plutarque. Et il s’était dit : appliquons la proposition de Phocion. Pour être applaudi il suffit de dire des sottises. Et voilà…. (2)
Beaucoup d’hommes politiques pratiquent cette recette et je ne leur ferai pas l’honneur de les citer (3) ; mais on voit bien qu’ils soignent souvent leur déficit de notoriété de cette façon. Comme s’il était peu important d’être connu pour des propos déshonorant – l’essentiel c’est d’être connu.
Une remarque pour finir : certains diront peut-être que Georges Frêche a été de son vivant plus souvent conspué qu’applaudi pour ses « sottises ». Mais voyez-vous, cela ne fait que confirmer notre propos : être conspué, c’est aussi une forme de notoriété ; on dirait aujourd’hui que ça sert à faire du Buzz…
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(1) Voici le contexte, tel que rapporté sur le site « Les mots qui restent » [Dont je ne saurais trop conseiller la consultation aux amateurs (que nous sommes tous ici) de mots d’esprit et de citations proverbiales ainsi qu’aux curieux de leur explication.]
- Plutarque attribue ce trait à Phocion, général athénien (400 ? — 317 av. J.-C), et voici en quels termes il le rapporte (trad. Amyot) :« Une autre fois il lui advint de dire une opinion devant l'assemblée du peuple, laquelle fut universellement approuvée et receuë de tout le monde, et voyant que toute l'assistance se trouvoit ainsi tost de son advis, il retourna devers ses amis, en leur demandant : « Hélas ! mes amis, ne m'est-il point eschappé de dire quelque mauvaise chose en n'y pensant pas. »
(2) Il voulait dire qu'il s'adressait à des sots, et donc que pour leur plaire, il convenait de dire des sottise. "J'ai toujours été élu par une majorité de cons" : retrouvez cette déclaration dans son interview ici.
(3) Je ferai une exception pour Eric Raoult.
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