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Michel Rocard – Interview-débat – Le Monde.fr (25-11-2010) (1)
On a inventé les partis politiques pour limiter la violence…
Voilà le genre de phrase que j’aime à rencontrer, parce qu’au lieu de chercher à nous indigner, elle nous remet en ligne avec la réalité.
L’un des aspects de la vie politique – et peut-être le seul qui soit universel – est la conquête et la conservation du pouvoir : on le répète au moins depuis Machiavel. Simplement nous avions peut-être cru que, puisque depuis Machiavel justement on avait remisé le poison et la dague, alors la conquête du pouvoir était devenue une affaire qui se réglait par le consensus, au sein des partis politiques – ou bien dans les urnes.
Hé bien, non !
Rien n’a changé, sauf que les perdants dans la compétition politique peuvent refaire surface après une « traversée du désert » alors qu’avant, avec la dague plantée dans le dos, c’était un peu plus difficile.
Regardez un peu ce qui se passe dans notre pays. Plutôt que de ressasser l’histoire du « bal des ego » au PS, faisons un tout petit saut en arrière : nous sommes en 1993 et Edouard Balladur est premier ministre RPR, grâce à Jacques Chirac, l’homme fort du parti. Tout le monde suppose qu’il y a un deal entre les deux hommes : à Balladur le soin de gouverner avec l’impopularité qui risque de s’en suivre ; à Chirac de se mettre en réserve de la République pour se présenter aux présidentielles de 1995.
Oui, mais Balladur sentant que les sondages lui sont – contre toute attente – favorables, trahit son « ami de 30 ans » et se présente lui-même à la présidence. On connaît la suite et elle ne nous intéresse pas ici, puisque c’est à la trahison, cette violence spécifique à la démocratie que nous nous attachons.
Une dernière remarque : dans les pays où l’on ne pratique pas la démocratie, le poison et la dague ont été rangés au magasin des accessoires obsolètes. On les a remplacés avantageusement par le lance-roquette et le char d’assaut
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(1) Voici le passage :
Question : Comment jugez-vous le bal des ego au PS ?
Michel Rocard : Dans la compétition inévitable pour le pouvoir, l'instrument de travail avait longtemps été le poison, la dague et le meurtre. On a inventé les partis politiques pour limiter la violence du processus.
Leur métier est donc d'offrir sa place au bal des ego et de proposer des règles du jeu pour parvenir à désigner le meilleur. Je commence à être fatigué de ces critiques absurdes du rôle même de la politique. Si vous voulez revenir au poignard, dites-le ! Le problème n'est pas là.
Le problème est la correspondance entre des ego et des projets. Or l'humanité vit une conjonction de crises rarissime et il n'y a pas encore de bon projet de réponse simultanée. Du coup, le bal des ego reprend un caractère artificiel, qu'il a partout.
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