Le reflet est pour les couleurs ce que l'écho est pour les sons.
Joseph Joubert
Reflet 4 –
Décidément, il est impossible de clore cette série consacrée au reflet sans considérer son statut dans la célèbre allégorie de la caverne (1).
On pourrait croire que Joubert s’inspire de ce célèbre passage, où Platon imagine des prisonniers enchainés au fond d’une caverne, où le monde extérieur ne se manifeste que par des ombres et des échos. Mais justement : ne confondons pas l’ombre et le reflet. Si le reflet est pour les couleurs ce que l'écho est pour les sons, c’est que précisément à la différence de l’ombre il porte en lui des traces de la couleur. D’ailleurs, la distinction entre les deux est faite expressément par Platon dans ce passage où sont relatées les étapes franchies par le prisonnier libéré :
« Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. D'abord ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux. » (2)
Reste que l’appariement couleur/sons peut aussi être envisagé aujourd’hui sous l’angle de leur reproductibilité. Nous qui vivons à l’époque de l’enregistrement de l’image et du son, nous sommes habitués à ce que le même support nous fournisse et le son et l’image – depuis 1927 au moins le cinéma nous a habitués à ça. Mais pour Joubert, qui écrivit ces lignes sans doute au début du 19ème siècle, voilà qui devait être bien moins évident.
L’avènement de ces techniques, sorte de miracle permanent, nous a habitués à ce tour de passe-passe : le vue et l’ouïe sont les deux sens qui peuvent fort bien être stimulés en l’absence de la réalité. Un enregistrement de Caruso, mort en 1921 (3) ; une photographie de Isadora Duncan (ci-contre), morte en 1927 – et voilà ressuscités des sensations qui sans être la réalité, en sont pourtant un décalque. Reflet ? Oui, mais alors pas un reflet "faute de mieux" : un reflet de la réalité qui survit à la réalité.
Autant dire que le rapport de hiérarchie établi depuis Platon entre la réalité et son reflet se trouve inversé : la réalité disparait, pas son reflet.
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(1) Platon – République VII, 514a-519b – Qu’on peut lire ici.
(2) Il en résulte (ce qu’on n’a peut-être pas remarqué avec assez de force) que les prisonniers vivent dans la caverne dans un monde en noir et blanc, ou si l’on préfère dans un univers où les couleurs sont remplacées par des valeurs monochromes.
(3) Je vous propose cet enregistrement de Caruso. Et en plus, vous pourrez le diffuser à vos enfants pour Noël : merci La Citation du jour !
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