Chaque objet est le miroir de tous les autres.
Maurice
Merleau-Ponty – Phénoménologie de la perception
… Et comme une même ville regardée de différents côtés
paraît tout autre et est comme multipliée perspectivement, il arrive de même
que par la multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de
différents univers qui ne sont pourtant que les perspectives d’un seul selon
les différents points de vue de chaque monade.
Leibniz –
Monadologie – Article 57
J’ai repêché cette citation de Merleau-Ponty que j’avais
rappelée récemment, parce que je n’y rendais pas vraiment compte de la pensée
du philosophe. Occasion de me racheter, même si on risque de mettre les pieds
dans de la gross Metaphysik…
L’idée c’est que chaque réalité est un point de vue sur
l’ensemble de ce qui existe : ce qui est relativement évident s’agissant
des hommes. Par exemple, comme le dit Merleau-Ponty, ce paysage qui est devant
nous, nous paraitra différent selon notre actualité, nos soucis, nos désirs. La
montagne est escarpée de différente façon, selon que je pense à l’escalader, ou que je
remarque comment ses plans s’articulent pour un tableau que je cherche à
peindre.
Cézanne – La
montagne Sainte-Victoire vue de Lauves
Seulement, voilà : il s’agit de faire le même
constat pour chaque objet qui du coup est supposé être la source d’un point de
vue sur le monde : un peu comme les monades de Leibniz, chaque objet pour
Merleau-Ponty forme un système relié à sa façon à tout le reste, et si nous l’oublions
facilement c’est que nous croyons qu’il n’y a qu’un seul point de vue : le
nôtre.
Les Chrétiens (ceux d’autrefois du moins) pensaient que
tout dans la nature était l’expression de la volonté divine et devait
s’interpréter de ce point de vue. Les « Indiens » d’Amérique, eux,
considéraient tout ce qui existe comme l’expression d’une intention de la
nature qu’il s’agissait de ne surtout pas déranger ; Leibniz comme on
vient de le voir croyait que chaque objet constituait un foyer de perspective
sur tout le reste. C’est plus compliqué, certes – mais c’est aussi un peu plus
excitant.
Qui donc a gâché cette joyeuse poésie du réel ?
Selon Heidegger, c’est la technique pour la quel il n’y a
qu’un point de vue : le nôtre, pour lequel la nature n’est qu’un stock de ressources
à gérer.
C’est ce qu’il appelle « l’oubli de l’être ».
Quand je vous disais qu’on allait mettre les pieds dans
de la gross Metaphysik…
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N.B. On peut contester l’emploi de la langue allemande
pour évoquer la métaphysique.
Je me bornerai à rappeler cette citation que je commentai
(ici) il y a trois ans :
« La philo n'est pas mal non plus. Malheureusement,
elle est comme la Russie : pleine de marécages et souvent envahie par les
Allemands. » (Roger Nimier – Le Hussard bleu (1950))