Dans une langue que nous savons, nous avons substitué à
l'opacité des sons la transparence des idées.
Marcel Proust – A
l’ombre des jeunes filles en fleurs
Ce que l'on conçoit
bien s'énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Boileau - Art Poétique (cité le 11 juillet 2006)
Le langage-médiation, simple message porteur de pensée
qu’on peut jeter comme une lettre qu’on froisse après l’avoir lue ?
Quiconque a un tant soit peu lu Proust sait qu’il n’en
est rien. Sinon, comment comprendre ses phrases qui font 20 lignes d’un seul
tenant ? Ou alors ces parenthèses qui n’en finissent plus ? Ces
périodes qu’on s’essouffle à lire à haute voix, au point qu’on se dit que
Proust l’asthmatique devait être incapable de les faire « passer par son gueuloir »
pour parler comme Flaubert…
La conclusion s’impose d’elle-même : c’est que
l’œuvre littéraire, comme la poésie, est écrite dans une langue étrangère – une
langue que nous ne connaissons pas et que nous devons apprendre en lisant. Pour
comprendre « le Proust », ni dictionnaire, ni méthode Assimil, rien
que la lecture : 50 pages de la Recherche
sont bien nécessaires pour y arriver, mais c’est sans certitude – peut-être en
faut-il plus.
Et ce qui est vrai de Proust l’est également de tout écrivain
– voire même de tout philosophe (1).
--> Sauf que, comme on le voit, Boileau disait
exactement le contraire.
Alors je ne reviens pas sur la critique que j’en faisais
dans le Post cité plus haut ; je me contenterai de remarquer (comme
l’aurait fait Mallarmé) que cet usage du langage ressemble fort à la lecture
d’un horaire des chemins de fer. Tout se passe comme si la clarté en matière
langage n’était que le reflet d’une lumière déjà perçue et décryptée ailleurs
ou autrefois.
Parce que, si c’est comme ça, il faudrait dire qu’en
littérature tous les mots sont des mots « fléchés ».
Ce qui est effectivement le cas avec les romans de
Kiosque de gare, dont on sait à l’avance en les achetant ce qu’ils contiennent.
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(1) On devrait s’en offusquer, puisque la langue philosophique
est censée porter en elle-même toute la clarté nécessaire. Mais qu’on se méfie :
quand on passe d’un auteur à l’autre, les concepts ont bien la même allure,
mais quand on leur ouvre l’estomac, on ne trouve pas toujours la même chose.
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