Arthur Koestler
Voilà : qu’est-ce que l’on peut dire de plus ? Que le mensonge est affaire de parole et non de réalité ? Qu’un sentiment est justement une réalité, plus ou moins consistante, plus ou moins durable, mais une réalité quand même ? Que – par exemple – aimer est une chose, dire qu’on aime en est une autre ?Oui, sans doute, nous voilà bien avancés : inutile de s’embarrasser à redire ce que tout le monde sait déjà.
Quoique…Imaginons : me voilà à sonner à la porter d’une belle dont je convoite les faveurs. Je viens avec un bouquet de roses – rouges, bien sûr. Elle m’ouvre sa porte, touchée par ma sollicitude, elle m’ouvre aussi les bras, persuadée de la profondeur de mes sentiments. Lui ai-je menti ? Non, puisque je n’ai rien dit. Par contre je l’ai mise en situation de se tromper elle-même sur le sens de mon comportement : ces fleurs lui donnent à sentir le parfum de mon amour… Mais bien sûr, dès qu’elle aura cédé à mes avances, je vais courir ailleurs pour en séduire une autre.
On va dire qu’il s’agit là d’arguties sans valeur : qu’importe qu’il s’agisse de paroles ou d’actes, la tromperie reste entière : quand bien même, au lieu de lui offrir un bouquet, je lui aurai déclaré ma flamme, avec des mots – voire même avec des poèmes – qu’est-ce que ça aurait changé ?
Ce qui change, c’est que d’un côté nous avons une déclaration qui renvoie à une réalité qui peut très bien ne pas exister : ce sont comme disent les linguistes de signes arbitraires ; alors qu’un sentiment, s’il se manifeste, et pas seulement avec des fleurs, c’est qu’il existe, quoiqu’on en dise, quoiqu’on le taise. Les signes qui l’extériorisent sont des signes naturels qui adhèrent à la chose.
Reste que mon sentiment, pour autrui ce n’est jamais qu’une manifestation telle que la rougeur de mon front ou mon bafouillage lorsque je déclare mon amour. Entre la manifestation d’un sentiment et sa réalité, il y a bien un lien organique, mais ce lien peut être faible, et sa signification peut être ambiguë. Ainsi, je peux rougir et bafouiller en offrant mes fleurs : ça veut dire que je suis ému – mais pourquoi le suis-je ? Parce que j’aime ? Parce que je crains que ma duperie soit démasquée ?
1 comment:
Bonjour,
Bravo pour votre blog...
Il y a des mensonges que l'on désire ardemment,cependant ! même si l'on sait ...
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